Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
G

Gui (Vittorio)

Chef d'orchestre italien (Rome 1885 – Florence 1975).

Il fit ses débuts en 1907 dans La Gioconda de Ponchielli, dirigea pour la première fois à la Scala en 1923 sur l'invitation de Toscanini, et fonda en 1928 à Florence l'orchestre Stabile, autour duquel se créa en 1933 le Mai musical florentin (il fut le directeur artistique de cette manifestation jusqu'en 1936). Il joua un rôle de premier plan, à partir de 1949, aux festivals de Glyndebourne et d'Édimbourg, attachant en particulier son nom à la renaissance de Rossini. Comme compositeur, il fut spécialement influencé par la musique française du début du XXe siècle.

Gui d'Arezzo, en italien Guido d'Arezzo

Moine bénédictin et théoricien italien (Arezzo vers 990 – ? après 1033).

Il fit ses études en devenant moine à l'abbaye de Pomposa (Ferrare). Il provoqua une véritable révolution dans la tradition musicale (jusqu'alors basée sur le principe de l'imitation du maître) en inventant une nouvelle méthode de notation par laquelle il précise les intervalles à chanter, se servant de six syllabes extraites d'un hymne à saint Jean-Baptiste :

utqueant laxis    resonare fibris

mira gestorum    famuli tuorum

solve pollutis    labii reactum,

ces syllabes formant ainsi l'hexacorde. Les remous qu'il suscite l'obligent à quitter Pomposa. Il se rend probablement en France, à l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés où il serait entré en contact avec des théoriciens aussi avancés que lui. Ensuite, il retourne en Italie et s'installe à Arezzo (l'origine de son nom, Guido d'Arezzo), où il rencontre l'évêque de cette ville, Théobald, qui le nomme professeur à l'école de la cathédrale pour le chant et la théorie musicale. Sa réputation s'étend jusqu'à Rome, où il fut reçu par le pape Jean XIX. L'essentiel de ses idées et de son enseignement est contenu dans les ouvrages suivants : Prologus in antiphonarium-Micrologus de musica ; Regulae rhythmicae ; Epistola ad Michaelem. L'importance de ces ouvrages ne saurait être sous-estimée, car leur influence s'étendit sur tout le Moyen Âge. Néanmoins, il est difficile de déterminer exactement ce qui est purement des inventions de son esprit et ce qu'il a déduit ou développé à partir des travaux des autres, par exemple, la portée que Gui d'Arezzo aurait plutôt perfectionnée, ou encore la célèbre « main guidonienne ».

guidon

Signe de notation employé en plain-chant, consistant à esquisser, à la fin d'une ligne de portée, la première note de la ligne suivante, de manière à « guider » le lecteur pour lui rendre l'enchaînement plus facile.

Guignon (Jean-Pierre)
ou Giovanni Pietro Ghignone

Violoniste et compositeur français, d'origine italienne (Turin 1702 – Versailles 1774).

Élève de Giovanni Battista Somis, il débuta au Concert spirituel en 1725. Naturalisé en 1741, il devint la même année « Roy et maître des ménétriers et joueurs d'instruments », charge tombée en désuétude depuis 1685 et qui lui conférait un droit d'inspection dans toutes les corporations de musique et de danse du royaume. Il devait l'occuper jusqu'en 1750, non sans avoir été professeur de Madame Adélaïde (1746) et du dauphin. Diffuseur de la musique italienne en France, brillant représentant de l'école française de violon, il publia divers recueils de sonates. Des concertos sont restés manuscrits. Une Grande Simphonie à cors de chasse aurait été exécutée au Concert spirituel en 1748.

Guilain (Jean Adam Guillaume Freinsberg, dit)

Organiste, claveciniste et compositeur français, d'origine allemande (XVIIIe s.).

Sa famille était originaire d'Allemagne (c'est, d'ailleurs, à Berlin que l'on a retrouvé des copies manuscrites de ses œuvres). À Paris où il vécut, il fut l'élève et le suppléant de Louis Marchand à l'orgue de Saint-Honoré, puis à celui des Cordeliers. D'avant 1707 date la publication d'une messe à cinq voix, In te cantatio semper (perdue), et de 1706 celle de Pièces d'orgue pour le magnificat sur les huit tons de l'église. En 1739, il publia un Livre de pièces de clavecin d'un goût nouveau, après quoi sa trace est perdue. Son livre d'orgue réunit quatre suites de versets destinés, selon la pratique courante, à alterner avec le chant des fidèles. Chaque suite correspond à l'un des tons ecclésiastiques : un deuxième livre devait donc succéder à celui-ci, dont on n'a pas connaissance. Ces pièces sont concises et imagées, élégantes et subtiles. À l'orgue comme au clavecin, Guilain n'échappe pas aux tournures italiennes à la Corelli ; mais ce disciple de Marchand n'ignore rien du grand style polyphonique français, pas plus que de la sensibilité décorative des grands clavecinistes de son temps.

Guilels (Emil)

Pianiste soviétique (Odessa 1916 – Moscou 1985).

Il fit ses études avec Reingbald au conservatoire d'Odessa, puis avec H. Neuhaus au conservatoire de Moscou, où il fut lui-même nommé professeur en 1951. En 1936, il remporta le second prix au concours de Vienne, et en 1938 le premier prix au concours Ysaye de Bruxelles. En 1954, il reçut le titre d'artiste du peuple de l'U. R. S. S. Il se produit en Europe depuis 1945 et aux États-Unis depuis 1955. Son répertoire, très éclectique, va de Bach et Scarlatti jusqu'aux auteurs du XXe siècle, avec, cependant, certaines préférences : Mozart, Beethoven, Brahms, Prokofiev. Guilels fut le premier interprète de la Huitième Sonate de Prokofiev en 1944.

Guillaume de Machaut
ou Guillaume de Machault

Compositeur, poète et chroniqueur français (Reims ? v. 1300 – Reims ? v. 1377).

Il est considéré comme le plus grand représentant en France du courant de l'Ars nova (théorisé par Philippe de Vitry). On le rapproche souvent à ce titre de son contemporain, l'Italien Francesco Landini (1325-1397), vivant à Florence. On pense qu'il étudia la théologie, à Paris probablement, après quoi il reçut le titre de « magister ». Il entra vers 1323 au service de Jean Ier de Luxembourg, dit l'Aveugle, roi de Bohême (1310-1346), qu'il accompagna comme « secretarius » durant ses nombreuses campagnes militaires en Europe (Silésie, Flandre, Lituanie ­ siège de Znaïm ­, Russie, Italie, etc.). À partir de 1330, il reçut, comme son frère Jean, diverses charges de chanoine : à Verdun (1330), à Arras (1332), à Reims (1333), et de nouveau définitivement à Reims (1337), ville où on suppose qu'il se fixa dans ses dernières années, menant une vie plus paisible. Il resta cependant secrétaire de Jean de Luxembourg, devenu aveugle, jusqu'à la mort de ce dernier à la bataille de Crécy (1346), après quoi il entra au service de sa fille Bonne de Luxembourg, épouse de Jean II le Bon et mère de Charles V le Sage. Il fut également employé auprès de Charles, roi de Navarre, dit le Mauvais, du roi Charles V et du duc de Berry. Il acquit une grande réputation comme poète et musicien, publiant diverses chroniques et des recueils poétiques (le Dit du Vergier, œuvre de jeunesse, Confort d'ami, 1357, dédié à Charles de Navarre, Fontaine amoureuse, 1360-1362, dédiée à Jean, duc de Berry, et le Remède de Fortune, long poème narratif et allégorique contenant diverses petites pièces lyriques avec leur musique, lais, ballades, rondeau, complainte). Vers la fin de sa vie, à l'âge de soixante ans, il vécut une passion amoureuse avec une jeune fille d'une vingtaine d'années, Péronne d'Armentières, attirée (dit-il) par sa réputation et sa valeur d'artiste. Il allait faire de cette histoire un livre, le Veoir dict (« dit de vérité ») écrit entre 1362 et 1365, et contenant des lettres de leur correspondance intime et un long poème. « Toutes mes choses ont été faites de votre sentement, et pour vous especialement », écrivit-il à Péronne.

   L'œuvre, considérée comme complète, de Machaut musicien nous est parvenue à travers une trentaine de manuscrits : elle est surtout composée de chansons profanes sur des thèmes amoureux (virelais, rondeaux) et, cependant, c'est son unique messe, la Messe de Notre-Dame (1349 ?-1364 ?), qui assure aujourd'hui sa célébrité au-delà du cercle des mélomanes connaisseurs et des professionnels. On a longtemps cru que cette messe à quatre voix (avec accompagnement instrumental par doublure des parties, pour certains mouvements) avait été écrite pour le sacre de Charles V, en 1364. Il est à peu près établi, aujourd'hui, que ce ne fut pas le cas, et certains pensent qu'il a pu l'écrire pour qu'elle soit jouée plus tard à sa propre mémoire et à celle de son frère. Cette messe comprend les 6 mouvements de l'ordinaire : Ite missa est, Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus. Le Gloria et le Credo adoptent la forme du conduit avec une « teneur » librement inventée, tandis que les autres mouvements sont conçus comme des motets isorythmiques. À tort ou à raison, elle est considérée comme la première messe polyphonique de l'histoire de la musique occidentale, conçue comme un tout par son auteur, avec une unité organique créée par le retour de certains motifs rythmiques ­ mais pour en décider, il faudrait avoir conservé tout le répertoire de l'époque, ce qui n'est pas le cas. On la rapproche parfois, à ce titre, de la Messe de Tournai, 1323, œuvre anonyme qui est une compilation d'éléments divers par un copiste. En tout cas, la vie rythmique et la générosité ornementale de cette œuvre lui valent encore un certain succès.

   Parmi ses 23 Motets, en majorité profanes, 17 ont un texte français et 6 un texte latin, qui chante souvent les bienfaits de la paix. Mais pour la plupart ils abordent des thèmes d'amour courtois et ils comprennent généralement, selon le modèle du motet isorythmique fixé par Philippe de Vitry, une voix principale chantée et ornementée, soutenue par deux ou trois voix d'accompagnement instrumental. Certains sont bilingues et comportent, aux deux voix supérieures, deux textes différents. Les 42 Ballades, la plupart avec une partie chantée et une ou deux parties instrumentales (jouables par l'orgue, la cornemuse, ou d'autres instruments ad libitum), traitent également de thèmes courtois. Parmi ses 22 Rondeaux, à deux, trois ou quatre voix (également du type « mélodie accompagnée », sur un sujet amoureux, mais plus léger), le rondeau Ma fin est mon commencement est devenu spécialement célèbre comme exercice d'écriture rhétorique : il s'agit d'un « canon à l'écrevisse » qui, comme son titre l'indique, fait se répondre deux voix dont l'une reproduit l'autre, lue de la dernière à la première note, comme dans un miroir, et qui de surcroît est chanté sur un texte livrant la clef du rébus ­ comme si la musique « parlait », pour se définir elle-même dans son autosuffisance : « Ma fin est mon commencement, et mon commencement ma fin / Et teneure vraiment se rétrograde ainsi. » Cette pièce a fasciné notamment les compositeurs de l'école française postwebernienne, qui y trouvaient une sorte de modèle dans le passé, légitimant leurs propres recherches abstraites. Du reste, si Machaut fut souvent joué et cité dans des associations de musique contemporaine comme le Domaine musical de Pierre Boulez, à titre de grand ancêtre, c'est en vertu de cette assimilation qui faisait des compositeurs modernes se « reconnaître » dans la démarche de l'Ars nova.

   Les 33 Virelais et les 19 Lais, pièces monodiques syllabiques dont le texte, comme pour les autres pièces, est de Machaut, dérivent de chansons à danser, toujours sur des thèmes amoureux. Les lais sont des pièces assez développées, en douze strophes ou paires de strophes. On a également de Machaut une complainte monodique, « Tel rit au matin qui soir », et une Chanson royale, « Joie plaisance et douce norriture », toutes deux insérées, avec leur musique, dans le recueil poétique du Remède de Fortune ; ainsi qu'une pièce isolée, vraisemblablement instrumentale, à trois voix, le Hoquet David, ainsi nommée parce qu'elle utilise le mélisme « David », et qui témoigne de la survivance de la forme déjà en désuétude du « hoquet ».

   Selon certains musicologues, Guillaume de Machaut aurait cherché dans certaines de ses pièces lyriques et poétiques, de sujet profane, à introduire la polyphonie et l'écriture savante, et ce compositeur demeure, aux origines de l'histoire de la musique occidentale, comme une figure de chercheur, une sorte de Christophe Colomb de la polyphonie classique. Son œuvre est considérée comme un pivot dans la naissance (mystérieuse) d'une conscience verticale de la musique, non seulement comme superposition de lignes, mais aussi comme succession de blocs harmoniques. L'Ars nova, certes, apportait l'usage des intervalles de tierce et de sixte pour enrichir les combinaisons harmoniques, mais les intervalles de quinte et d'octave dominent encore dans son œuvre. Selon Jacques Chailley, « c'est peut-être la première fois dans l'histoire de la musique que l'on se trouve devant de véritables suites d'accords se présentant aussi nettement comme un bloc harmonique, et non plus comme résultante occasionnelle de lignes de contrepoint ». Peut-être la recherche d'ornementation favorise-t-elle ici la variété des rencontres harmoniques. Le souci de réaffirmer de temps en temps (pour éviter la dispersion du sentiment tonal) un accord à la stabilité prononcée est peut-être à l'origine de cette phrase musicale ponctuée, phrasée, découpée par ce que Pierre Boulez appelle des « clausules harmoniques ». L'usage abondant des syncopes et d'une certaine variété rythmique, dans une œuvre polyphonique comme la Messe de Notre-Dame, produit une espèce de fourmillement de petites durées, vivant et sans martèlement, sans pesanteur, qui là encore a séduit les musiciens français sériels, dans l'après-guerre, redonnant à cette ancienne musique une jeunesse nouvelle ­ quoique fondée sur l'inévitable malentendu qui fait entendre le passé avec les références du présent.