Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Strauss (Richard)

Compositeur et chef d'orchestre allemand (Munich 1864 – Garmisch 1949).

Son père, Franz, était un corniste réputé, appartenant au Théâtre de la cour de Munich. Il apprit les rudiments de la musique avec divers membres de sa famille (le piano avec sa mère, le violon avec son oncle), puis la composition avec F. W. Meyer. Ses premières œuvres, écrites lorsqu'il était très jeune, témoignent de l'influence de Mendelssohn et de Schumann. À l'âge de seize ans, il rencontre Hans von Bülow qui lui fait découvrir Wagner. À dix-huit ans, il assiste à la création de Parsifal qui fait sur lui une impression définitive. Bülow dirige les premières œuvres marquantes de Richard Strauss, dont son premier concerto pour cor (1885), avec son père comme soliste.

   La même année, Bülow le recommande à Meiningen, où il est nommé d'orchestre. En 1886, il part pour l'Italie d'où il rapportera son poème symphonique Aus Italien, œuvre originale et colorée où sa personnalité s'affirme d'emblée. À son retour, il accepte le poste de troisième chef d'orchestre à Munich. Il y reste trois ans, durant lesquels il compose deux nouveaux poèmes symphoniques, Macbeth et surtout Don Juan qui passe pour son chef-d'œuvre dans le domaine de la musique orchestrale. En 1889, il quitte Munich pour Weimar où on lui offre le poste de Kapellmeister. Mort et Transfiguration est de cette même année. Une grave maladie l'oblige à interrompre pendant quelques mois son activité. Durant sa convalescence, il voyage en Grèce et en Italie, où il ébauche son premier opéra Guntram. Très influencé par Wagner, cet ouvrage fait fiasco à Weimar, lors de sa création en 1894. Richard Strauss s'y intéresse de nouveau à la fin de sa vie et le remanie. En 1894, il dirige Tannhäuser au Festival de Bayreuth, puis revient à Munich, comme premier chef d'orchestre. Il y reste jusqu'en 1898. De cette période datent Till Eulenspiegel, Ainsi parla Zarathoustra et Don Quichotte (variations pour violoncelle et orchestre qui constituent, en même temps, une suite de tableaux descriptifs retraçant la vie du héros de Cervantès). Son sens particulier de la polyphonie s'épanouit dans ces trois œuvres à programme de façon exceptionnelle. En 1898, Richard Strauss est nommé chef de l'Orchestre royal de Prusse à Berlin. Il y termine la Vie d'un héros, autobiographie symphonique, dans laquelle sa maîtrise du coloris orchestral atteint un sommet.

   Son deuxième opéra, Feuersnot, marque un nouveau retour à Wagner, mais, cette fois, le succès remporté à Dresde en 1901 répond aux espérances du compositeur. À noter que Richard Strauss a été son propre librettiste pour ses deux premiers ouvrages lyriques. Cependant la réputation internationale du compositeur commence à s'établir : en 1904, il dirige à New York la première de sa Symphonie domestique, qui correspond à la partie familiale de son autobiographie symphonique, sans pour autant renoncer au grandiose.

   Enfin, en 1905, c'est le triomphe, mitigé de scandale, obtenu par Salomé, où Richard Strauss avait mis en musique une pièce particulièrement osée, écrite en français par Oscar Wilde. Désormais, soit pendant la seconde moitié de son existence, Strauss se consacre presque exclusivement au théâtre dont il devient le compositeur majeur de la première moitié du XXe siècle. Avec Elektra (1909), il poursuit plus avant cette veine du réalisme légendaire passant par Freud, en s'attaquant à une tragédie de Hugo von Hofmannsthal.

   Convaincu que la musique de Strauss apportait à ses préoccupations un approfondissement, Hofmannsthal consacre les trente années qui lui restent à vivre à écrire des livrets pour Richard Strauss. Et ce fut là, pour le compositeur, un apport qu'on ne saurait sous-estimer. Cependant, après avoir atteint dans Elektra une violence et une intensité inconnues dans l'opéra, Strauss effectua avec le Chevalier à la rose (1911) la plus extraordinaire volte-face. C'en est fait désormais du wagnérisme qu'il s'est efforcé d'abord de dépasser. Enjambant à reculons le romantisme, il reprend la tradition viennoise de l'opéra de caractères que Mozart avait, avec les Noces de Figaro, porté à un degré de perfection jamais dépassé. Dans le Chevalier à la rose, Strauss recherche un style néobaroque qu'on retrouve, sous une autre forme, dans Ariane à Naxos (1912, version rév. 1916), où le mélange des genres (commedia dell'arte et opera seria) donne lieu à une synthèse essentiellement moderne. L'œuvre, écrite pour un orchestre réduit à une trentaine de musiciens, trouve son origine dans la musique de scène composée pour une traduction en allemand, par Hofmannsthal, du Bourgeois gentilhomme de Molière. L'opéra de Strauss était primitivement destiné à remplacer la cérémonie turque, située à la fin de la pièce. Un prologue lyrique composé ultérieurement fut joué ensuite à la place de la comédie de Molière. La Légende de Joseph, composée pour Diaghilev, constitue une des rares incursions de Richard Strauss dans le domaine du ballet. C'est une de ses œuvres les moins intéressantes avec la Symphonie alpestre, énorme partition qui semble destinée au cinéma avant la lettre.

   En 1919, Strauss est nommé à la direction artistique de l'Opéra de Vienne. Il inaugure son poste avec la création de Die Frau ohne Schatten (« la Femme sans ombre »), sur un livret d'Hofmannsthal, qui demeure son opéra le plus ambitieux par des préoccupations symbolistes et métaphysiques. Citons encore le ballet viennois Schlagahers et Intermezzo (1924), une comédie bourgeoise inspirée par une aventure personnelle de Strauss, où il se met lui-même en scène avec sa femme, l'ex-cantatrice Pauline de Ahna.

   En 1925, le compositeur quitte l'Opéra de Vienne, commet le moins bon des opéras de sa maturité, Hélène d'Égypte (1928), et une version remaniée d'Idoménée de Mozart. En 1933, il se rachète avec Arabella qui retrouve avec bonheur la manière viennoise du Chevalier à la rose. C'est le dernier livret qu'écrivit pour lui Hofmannsthal, qui mourut en 1929. Richard Strauss ne parviendra jamais à le remplacer et, en dépit des réussites musicales évidentes, ses derniers opéras manqueront du sens théâtral particulier d'Hofmannsthal. Cela n'est pas tout à fait vrai pour Die schweigsame Frau (1935), fort adroitement adapté par Stefan Zweig, d'après Ben Jonson. Strauss y aborde avec bonheur un genre nouveau pour lui : l'opera buffa dans la manière de Don Pasquale. Malheureusement, Stefan Zweig devra s'exiler devant la montée du nazisme et c'est Josef Gregor, poète davantage prolixe que dramaturge, qui lui fournira ses trois livrets suivants, Friedenstag (1938), opéra politique à thèse, Daphné (1938) et Die Liebe der Danae (1944, création officielle 1952) que la mythologie grecque inspire de nouveau. Du point de vue musical, le climat pastoral de Daphné est merveilleusement créé et contribue, malgré l'artifice des situations, à en faire une œuvre marquante.

   C'est pourtant dans sa dernière œuvre lyrique, Capriccio (1942), que Richard Strauss, à près de quatre-vingts ans, parvient encore à se surpasser. Composé sur un livret qu'il écrivit lui-même en collaboration avec son ami, le chef d'orchestre Clemens Krauss, Capriccio constitue un dernier hommage à cette culture française que Richard Strauss honora plusieurs fois au cours de sa carrière. Que le musicien ait consacré cette période, particulièrement tragique de l'histoire universelle (Capriccio fut donné à Munich en 1942), à mettre en musique un sujet qui est la querelle esthétique des gluckistes et des piccinnistes, peut paraître surprenant. Richard Strauss était évidemment le contraire d'un compositeur « engagé ». Dans ce cas particulier, on peut même dire qu'il avait cherché le dérivatif le plus frivole possible pour l'éloigner d'un monde en train de s'effondrer.

   Quel est l'élément primordial de l'opéra : la musique ou les paroles ? La réponse est : leur juste équilibre. Telle est la thèse défendue par Richard Strauss avec un brio qui fait de Capriccio l'œuvre théâtrale majeure de sa dernière période. Il lui reste pourtant à composer en 1945 Metamorphosen, étude pour 23 instruments à cordes, qui est peut-être le chef-d'œuvre musical de toute sa vie, en même temps que le point final mis consciemment au romantisme par un des plus grands compositeurs du XXe siècle. Quelques mois avant sa mort, survenue en 1949, Richard Strauss écrira ses 4 dernières mélodies pour soprano et orchestre qui constituent le plus bel adieu possible à cette vie qui l'avait tant comblé.

   En cette époque de révolution du langage musical que fut la première moitié du XXe siècle, il faut constater que Richard Strauss ne fut en aucune façon un novateur comme Schönberg où Stravinski. Du point de vue de l'esthétique et du style, son importance est cependant considérable. En prolongeant une tradition héritée du XIXe siècle, il réalise une synthèse essentiellement moderne : celle d'un romantisme à la poursuite de l'idéal classique. Cet idéal, il l'atteindra dans ses meilleures œuvres, alors que ses moins bonnes compositions, dans lesquelles les procédés transparaissent, sont presque toujours sauvées par la sincérité et la générosité de l'inspiration, unies à la noblesse et à l'élégance de la forme. Hitler, qui avait choisi d'opposer la musique de Richard Strauss à la musique dite « décadente » de compositeurs comme Schönberg et son école, en avait fait, bien malgré lui, le musicien national de son régime. Loin de profiter de cette position, Strauss s'en servit pour aider les artistes persécutés.