Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Dobias (Václav)

Compositeur tchèque (Radčice 1909 – Prague 1978).

Instituteur autodidacte, il ne vint que tard à la musique, et n'entra qu'en 1937 au conservatoire de Prague, où il reçut l'enseignement de Joseph Bohuslav Foerster, de Vitezslav Novák et de Alois Haba, avant de devenir un musicien officiel de la République démocratique tchécoslovaque. Son œuvre, quantitativement importante, a oublié peu à peu les leçons de Haba, dont Dobias s'était inspiré jusqu'à la guerre, et s'en tient globalement au conformisme des commandes d'État. Il fut à partir de 1969 le président de l'Union des compositeurs tchécoslovaques.

Doblinger

Maison d'éditions musicales à Vienne et, depuis 1959, à Munich.

À l'origine, il s'agissait d'une bibliothèque musicale de prêt, fondée en 1816 par J. Mainzer. Après sa mort, elle fut reprise ­ en 1857 ­ par Ludwig Doblinger (1816-1876), puis par Bernhard Herzmansky, en 1876. Le fils de ce dernier en resta propriétaire jusqu'en 1954, date où la maison fut reprise par Christian Wolff. Elle connut une période particulièrement faste lors de la vogue de l'opérette viennoise dans les premières années du XXe siècle.

   Depuis 1950, elle consacre une partie importante de son activité aux compositeurs contemporains, mais aussi à la musique classique, avec la série Diletto musicale, ainsi qu'aux ouvrages didactiques.

Dobronic (Antun)

Compositeur yougoslave (Jelsa, Croatie, 1878 – Zagreb 1955).

Il fit ses études au conservatoire de Prague avec Novák et devint professeur au conservatoire de Zagreb en 1921. Il composa de nombreuses œuvres pour la scène, dont des opéras (Mara, l'Homme de Dieu, Goran, Rkac) et le ballet le Cheval géant ; 4 symphonies ; des poèmes symphoniques (les Noces ; Au long de l'Adriatique ; Rhapsodie bosnienne, quintette avec piano). Sa musique, imprégnée de folklore, est d'une écriture qui oscille entre le néoromantisme et l'expressionnisme.

Dobrowolski (Andrzej)

Compositeur polonais (Lwów 1921 – Graz 1990).

Il commence des études d'orgue, de clarinette et de chant au conservatoire de Varsovie ; après la guerre, il poursuit ses études de composition avec Artur Malawski et de théorie musicale avec Stefania Ðobaczewska à l'École nationale supérieure de musique de Cracovie. Secrétaire général de la Société des compositeurs de Pologne de 1957 à 1969, il enseigne ensuite la composition et la théorie à l'École supérieure de musique de Varsovie, et participe aux activités du Studio expérimental de la radio polonaise. Auteur de plusieurs œuvres instrumentales ­ Trio pour hautbois, clarinette, basson (1965) ; Symphonie concertante pour hautbois, clarinette, basson et orchestre à cordes (1960) ; Musique pour cordes et 4 groupes d'instruments à vent (1964) ; Musique pour orchestre no 3 (1972-73), etc. ­, Dobrowolski a également exploité les sources électroniques (Passacaglia, 1960) et électroacoustiques (Musique pour bande magnétique et hautbois solo, 1965 ; Musique pour bande magnétique et piano, 1972). Son passage progressif d'une écriture « classique », souvent inspirée du folklore, à l'utilisation des techniques contemporaines fait de lui une figure très représentative des compositeurs polonais de sa génération.

dodécaphonique (musique)

Nom donné aux musiques atonales utilisant les 12 degrés chromatiques, et, plus particulièrement, à toute musique composée selon le système dodécaphonique sériel mis au point par Arnold Schönberg entre 1908 et 1923 (SÉRIELLE [MUSIQUE]). Ce système utilise en effet les 12 sons chromatiques (dodécaphonique signifie : de 12 sons), selon des lois que Schönberg a peu à peu dégagées, et qui ont été modifiées, affinées, compliquées ou détournées par ses élèves (Berg, Webern, Eisler), ses successeurs, et lui-même. D'autres compositeurs, comme Joseph-Mathias Hauer ou Falke, ont conçu des systèmes dodécaphoniques différents du sien, mais qui n'ont pas été adoptés ou repris.

   Dodécaphonique est un terme forgé à partir du grec et à l'usage des Français par René Leibowitz, propagateur en France de la musique sérielle, pour désigner de façon concise ce que les Allemands, et Schönberg lui-même, nommaient la musique de douze sons (Zwölftonmusik), et qu'ils nomment plus rarement, après Leibowitz, Dodekaphonische Musik. De fait, une musique dodécaphonique peut n'être pas sérielle (ce fut le cas des œuvres composées par Schönberg, Berg, Webern, avant l'invention de la série), et une musique sérielle peut n'être pas dodécaphonique, c'est-à-dire, par exemple, utiliser des séries de moins ou de plus de douze sons (micro-intervalles) ou appliquer le principe sériel à tout autre caractère du son que la hauteur. Cependant, on utilise en français les deux termes « dodécaphonique » et « sériel » de manière interchangeable, ce qui est la source de bien des malentendus.

Pourquoi le nombre douze ?

Parce qu'il y a 12 sons chromatiques dans la gamme, de demi-ton en demi-ton ­ le demi-ton étant l'intervalle le plus petit admis dans le système tempéré occidental. C'est avec ces 12 sons que la musique occidentale jouait de plus en plus librement, en respectant de moins en moins les règles traditionnelles qui en limitent ou en fixent l'usage. Il n'y a donc 12 sons que depuis l'adoption d'un tempérament égal selon le système défini par Werckmeister, où l'octave est divisée en 12 demi-tons égaux, et non, comme d'autres systèmes le proposaient, en 53 neuvièmes de ton, ou 43 septièmes de ton. L'œuvre de Bach, le Clavier bien tempéré, fêtait l'adoption du tempérament, avec deux fois 12 préludes et fugues (dans les 12 tons majeurs et les 12 tons mineurs).

   Hérité de la tradition tonale, ce nombre de 12 pouvait apparaître vite contraignant et arbitraire. Boulez chercha rapidement à s'en échapper. Il écrivait en 1953 : « La série n'est pas un ultrathème lié à jamais aux hauteurs (…). Elle n'est donc fixée sur aucun chiffre particulier. » Et de moquer la croyance fétichiste au « salut par le nombre 12 » chez les dodécaphonistes académiques. Le nombre 12 comporte pourtant bien des propriétés intéressantes. D'abord, c'est un multiple de 2 et de 3. Une série de 12 sons peut se décomposer en 6 groupes de 2, 4 groupes de 3, 3 groupes de 4, 2 groupes de 6, ce qui ouvre des possibilités de symétrie, d'imitation, de construction à l'intérieur même de la série. Possibilités que Schönberg, Berg, Webern surtout, n'ont pas manqué d'utiliser. Certaines séries de Webern, en particulier, sont elles-mêmes déjà de petites compositions sérielles à partir de cellules de 3 ou 4 sons, transposées, rétrogradées, etc., à l'intérieur de la série, ce qui limite ainsi le nombre de ses variantes possibles (sur les 48 proposées dans le cadre sériel), et aussi le nombre des figures d'intervalles, rendant le discours peut-être plus perceptible et renforçant le sentiment d'unité. On pourrait dire, à la limite, que certaines pièces dodécaphoniques de Webern sont construites à partir de microséries de 3 ou 4 sons.

   La divisibilité par 12 est une des plus prégnantes pour l'esprit humain, pour employer un terme emprunté à la psychologie de la perception : elle se perçoit bien. Elle se retrouve aussi bien dans la division du temps (12 mois dans une année, ou 4 saisons de 3 mois, ou 2 périodes de 6 mois entre les deux solstices ; 2 fois 12 heures dans la journée, et 12 heures entre midi et minuit) que dans la versification (à l'hexamètre latin ­ vers de 6 pieds, ou 2 fois 3 pieds ­ correspond l'alexandrin ­ vers de 12 pieds ­, qui est le plus utilisé dans la littérature française, à partir du XVIe siècle, et qui se divise, comme la série, en 2 hémistiches, ou en 3 sections de 4 pieds, etc.). Il y a aussi les 12 signes du zodiaque, les temples dodécastyles, à 12 colonnes, etc. Ce n'est pas là « mystique des nombres », mais simple constat des propriétés et des commodités propres au chiffre 12, qui ont certainement été déterminantes pour l'adoption du système tempéré à 12 demi-tons, et donc pour la musique dodécaphonique, qui les reprend tels quels.

Dodécaphonisme et panchromatisme

Les 12 sons mis en situation d'égalité de principe par les règles sérielles (cette « égalité » a été brillamment mise en doute par les analyses d'Edmond Costère) constituent ce que l'on appelle le « total chromatique », et la musique qui l'utilise peut être dite « panchromatique ». Or ce n'est un « total » que selon la convention héritée du système tempéré, et liée au principe tonal ; l'oreille occidentale elle-même perçoit bien plus de sons dans une octave. Les musiciens sériels avaient donc à assumer le paradoxe d'utiliser un matériau de 12 sons hérité d'un système dont, par ailleurs, ils cherchaient par tous les moyens à éviter les réminiscences (règles de non-répétition, interdictions d'octave, pour « brouiller » toute polarisation tonale). Il y avait de quoi se sentir en porte à faux, et cela explique peut-être, d'une part, l'évolution de Schönberg vers un « dodécaphonisme tonal » réintégrant les fonctions tonales, et, d'autre part, la fuite en avant des ultras du sérialisme vers une surenchère de complexité, à l'opposé de Webern, dont ils se réclamaient et qui, lui, simplifiait sa musique autant que possible. D'autres enfin cherchaient des divisions plus petites de l'octave, dans les micro-intervalles. Comme s'il s'agissait, par différents moyens, de saturer le champ de travail, les possibilités d'emploi des hauteurs (saturer, c'est-à-dire rendre tel qu'un supplément de la chose ajoutée soit impossible ou inutile). Derrière cette idée d'un épuisement des possibles, il y avait un fantasme de totalité que rend bien le terme de « pantonal » appliqué par Schönberg à la musique dodécaphonique. Or, une fois atteint et dégagé des règles tonales qui semblaient l'emprisonner (c'est Boulez qui parle de la tonalité comme d'une « servitude »), le total chromatique des 12 sons se révélait n'être pas plus un « total » qu'un univers de 6 sons ou de 24 sons.