Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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peste.

Attesté dans la Bible et dans l'Iliade, le mot « peste » est une appellation générique (pestis, « fléau ») sous laquelle ont été confondues, au moins jusqu'à l'ère chrétienne, diverses maladies infectieuses.

La première véritable épidémie pesteuse - où se conjuguent forme bubonique, survenant après piqûre d'un parasite infecté, et forme pulmonaire, contagieuse d'homme à homme - date de 543 et frappe l'ensemble du Bassin méditerranéen.

La Peste noire.

• Disparue d'Occident après le VIe siècle, la peste ressurgit durant la seconde moitié de l'année 1347 : son foyer d'origine se situe en Asie centrale et des bateaux gênois, infectés par des rats contaminés, l'introduisent de Crimée en France au mois de novembre en débarquant à Marseille. À partir de cette ville, la maladie se propage en Provence et dans le Languedoc, et atteint des régions plus septentrionales dès l'été 1348. Paris est touchée en août. Dite « Peste noire » ou « Grande Peste », elle gagne l'ensemble de l'Europe occidentale de 1348 à 1357, associant, comme l'épidémie précédente, forme bubonique et forme pulmonaire. La période d'incubation est courte - de quelques heures à quelques jours - et l'évolution est généralement fatale. Le processus physiologique est d'autant plus foudroyant qu'il frappe des organismes affaiblis par de longues périodes de disette : « L'affaiblissement de l'économie, écrit Fernand Braudel, dès la crise frumentaire et les famines de 1315-1317, a précédé l'épidémie et favorisé sa sinistre besogne. » Les dévastations causées par la guerre de Cent Ans contribuent également au progrès de la Grande Peste.

Par son ampleur catastrophique, la maladie frappe l'imagination des contemporains : le spectacle macabre des charrettes qui déversent leurs morts dans les charniers devient quotidien ; au plus fort de l'épidémie, 500 malades meurent chaque jour à l'Hôtel-Dieu de Paris et sont ensevelis au cimetière des Saints-Innocents. S'il est clair que la Peste noire fait entrer la France dans une longue phase de dépression démographique, il est difficile, en l'absence de données fiables, d'évaluer le taux de mortalité. Le chroniqueur Jean Froissart écrit que « la tierce partie du monde » a succombé à la maladie. Une évaluation globale demeure cependant malaisée, car le potentiel destructeur de la maladie connaît à la fois des variations locales - des régions montagneuses, telles les Pyrénées, sont relativement peu touchées - et des fluctuations temporelles, au gré des vagues épidémiques et de leur reflux. Dans des régions comme la Provence, le Dauphiné ou la Normandie, une diminution d'environ 60 % des « feux » (foyers fiscaux) est enregistrée. Les historiens estiment que, selon les localités, la Peste noire a décimé entre 1/3 et 1/8 de la population française. Tout aussi désastreux est l'impact social, politique et économique de l'épidémie : villes abandonnées dans la panique, paralysie souvent durable des échanges commerciaux, effondrement de l'appareil administratif et des institutions publiques.

Face à un tel fléau, qu'une prophylaxie balbutiante et rudimentaire ne peut endiguer, la recherche de boucs émissaires s'impose dans la population. L'antijudaïsme se déchaîne : les juifs sont accusés de jeter du poison dans les puits et les cours d'eau. En février 1349, 900 israélites sont brûlés à Strasbourg. Nombreux sont ceux qui discernent dans l'événement un signe de la volonté divine : l'intercession de saint Roch et de saint Antoine est implorée, tandis que les flagellants, organisés en confréries, déroulent de longues processions au cours lesquelles ils s'infligent des coups de fouet pour expier leurs fautes.

Une maladie endémique.

• D'autres épidémies suivent celles de 1348 : en 1361, puis en 1461. La maladie s'installe en France, où elle poursuivra ses assauts jusqu'au début du XVIIIe siècle. Pendant les guerres de Religion, les opérations militaires et la désorganisation de la vie économique favorisent le retour de la peste bubonique : c'est le cas à Bordeaux, en 1585 - la maladie contraint Montaigne, maire de la ville, à fuir avec sa famille -, ainsi qu'en Picardie et en Champagne, onze ans plus tard. Les thérapies demeurent impuissantes, malgré les succès ponctuels enregistrés par un Nostradamus en Provence, au seuil du XVIe siècle. C'est que la notion de contagion, quoique professée par certains esprits, n'est pas dotée du statut expérimental et scientifique qui lui permettrait de s'imposer à tous et de régir les pratiques. L'étiologie de la maladie, partagée entre théorie des miasmes et hypothèse de la transmission infectieuse, reste encombrée de considérations éthiques et spirituelles. Ambroise Paré, qui insiste dans son Traité de la peste, de la petite vérole et rougeole (1568) sur la notion de contagion, n'érige pas moins la peste en fléau de la colère divine contre les péchés des hommes : « Sachons que c'est ici le principal antidote contre la peste, que la conversion et amendement de nos vies. »

Ultimes offensives.

• En mai 1720, après l'accostage à Marseille d'un navire venu de Syrie, une épidémie frappe la ville. Des cas de peste ont été signalés à bord, mais les intérêts commerciaux en jeu incitent les autorités à passer outre à la mise en quarantaine. Le vice-légat du pape, inquiet, fait édifier, à l'est d'Avignon, un mur pour empêcher la circulation des personnes. Mais l'épidémie, favorisée par la chaleur estivale, gagne Avignon, Toulouse, le Limousin, et fait environ 40 000 victimes. Une dernière grande épidémie, née en Asie en 1894 - date à laquelle le microbiologiste Alexandre Yersin (1863-1943) découvre à Hongkong le bacille spécifique de la maladie -, atteint à nouveau Marseille après la Première Guerre mondiale. Une centaine de cas sont signalés à Paris en 1920.

La peste, aujourd'hui, n'est plus un sujet d'inquiétude pour la France et les pays d'Europe occidentale. Disparue de l'horizon de nos peurs, elle a déserté progressivement la scène artistique et littéraire où le Moyen Âge finissant lui avait fait une place de choix. Présente dans les images votives, les tableaux, les sculptures et la poésie du XIVe siècle, ne constituait-elle pas la représentation la plus fulgurante d'une mort égalisatrice, niveleuse des états sociaux ? La seule allégorie moderne de la peste qui puisse se mesurer aux sombres et inquiétantes évocations médiévales n'est certes pas le roman du même nom d'Albert Camus (1947) - où le fléau n'est guère que le prétexte d'un questionnement philosophique - mais les pages consacrées par Antonin Artaud, au début du Théâtre et son double (1938), à l'impact social destructeur de la maladie : « Il y a dans le théâtre comme dans la peste quelque chose de victorieux et de vengeur. Cet incendie spontané que la peste allume où elle passe, on sent très bien qu'il n'est pas autre chose qu'une immense liquidation. »