Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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droits seigneuriaux, (suite)

À partir du XIe siècle, de nouvelles taxes viennent s'ajouter à celles-ci. Leur originalité est double : elles débordent le cadre traditionnel du domaine et sont imposées à l'ensemble de la population d'un ressort territorial, en règle générale beaucoup plus vaste que le territoire domanial ; elles ont un caractère fréquemment arbitraire, et sont exigées par la violence.

Leur apparition s'accompagne d'un transfert massif de la propriété des terres vers les détenteurs du ban : les paysans alleutiers, c'est-à-dire libres propriétaires de leur exploitation, qui constituaient vraisemblablement la majeure partie de la population paysanne jusqu'au XIe siècle, se voient contraints de vendre leurs terres à vil prix - voire de les donner - au détenteur du ban, qui les leur rétrocède en tenures grevées de charges. Le seigneur, parce qu'il détient la force, devient finalement l'unique propriétaire du sol à l'intérieur de sa seigneurie.

C'est la dislocation générale de la puissance publique - elle culmine dans le premier tiers du XIe siècle - qui a rendu possibles ces exactions. Ayant parfois bénéficié de délégations de la puissance publique, les seigneurs réclament pour eux des prestations autrefois requises pour le seul souverain. Le plus souvent, les surprélèvements (appelés fréquemment les « mauvaises coutumes ») ne sont que la traduction matérielle de leur force militaire, qui s'exerce aux dépens des paysans. Les redevances sont innombrables ; les plus fameuses portent des noms évocateurs : par exemple, « tolte » ou « taille », du verbe latin tollere, qui signifie « ôter », « enlever ». En Catalogne, au XIe siècle, le simple fait de prélever une taxe se dit facere forcia, « faire violence ».

Font également partie intégrante de ces droits des monopoles économiques liés à la possession d'équipements lourds et coûteux - le four et le moulin banaux. Le seigneur confisque ceux qui existent et interdit d'en construire de nouveaux. Il contraint ainsi les paysans à se servir des siens - un service qui n'est pas gratuit. À partir du XIIe siècle, les paysans peuvent s'abonner à la plupart de ces charges. C'est encore l'occasion d'un surprélèvement pour le seigneur qui vend très cher cet abonnement, ce qui lui permet de réaliser son capital et de s'assurer d'une rente. Les communautés doivent alors s'endetter.

Les seigneurs prélèvent tout ce qui n'est pas indispensable à la simple survie des paysans et à la reproduction de leur force de travail. Ils ont recours, pour se faire obéir, aux services de spécialistes de la guerre, les chevaliers. Ceux-ci font régner sur la paysannerie une véritable terreur qui lui ôte toute velléité de résistance.

Les droits seigneuriaux ont été appelés par les juristes de l'époque moderne « droits féodaux », même si la féodalité n'était plus qu'un souvenir. Leur caractère arbitraire les a rendus d'autant plus odieux qu'ils entravaient la vie économique. Les droits seigneuriaux plus symboliques - le monopole de la chasse ou le droit de justice - furent également de moins en moins acceptés par les non-privilégiés au XVIIIe siècle. La célèbre nuit du 4 août 1789 sera l'aboutissement de cette contestation antiféodale.

drôle de guerre (la),

période de la Seconde Guerre mondiale qui s'étend du 3 septembre 1939 au 10 mai 1940, caractérisée par l'absence de combats.

En septembre 1939, le général Maurice Gamelin mobilise toutes les classes d'âge jusqu'à 50 ans, soit cinq millions d'hommes : deux millions d'« affectés spéciaux » travaillent dans les usines de l'arrière pour satisfaire les besoins économiques ; trois millions sont maintenus sur le front, derrière la ligne Maginot, dans une inactivité totale. Daladier leur fait distribuer des milliers de ballons, Joséphine Baker et Maurice Chevalier animent des soirées, certains soldats plantent des rosiers sur la ligne Maginot.

Cette inaction est due à la priorité accordée par les généraux à une stratégie défensive qu'approuvent les hommes politiques - Édouard Daladier exalte « l'héroïsme de la défense » - et les Français. En effet, tous sont marqués par la saignée de la Grande Guerre et entendent épargner le sang français. Gagner du temps permettra, espère-t-on, de pallier l'infériorité aérienne des armées franco-britanniques, d'équiper les régiments d'outre-Manche, d'asphyxier l'économie du Reich en la privant de ses approvisionnements en fer (opération sur Narvik) et en pétrole (projet de bombardement de Bakou), voire d'attendre une aide américaine.

Mais le moral des hommes se détériore peu à peu : les cantonnements sont inconfortables, les permissions rares, et l'ennui gagne. À l'arrière, l'opinion accepte mal les mesures prises pour la mettre en condition : affiches de propagande, distribution de masques à gaz, exercices d'alerte, suppression des bals, cartes de rationnement (mars 1940), n'entraînent pas une adhésion sans faille à la guerre. L'union sacrée n'existe pas. Une partie de la droite profasciste, le ministre des Affaires étrangères Georges Bonnet, partisan de l'apaisement, la CGT, souhaitent la paix, tout comme le Parti communiste, lié par le pacte germano-soviétique et dissous le 17 septembre 1939 ; quant à la SFIO, elle est divisée entre le pacifiste Paul Faure et Léon Blum. Le Parlement se déchire ; Daladier - « sans boussole », selon le président du Sénat Jules Jeanneney - perd sa popularité et démissionne en mars 1940 sous la pression conjointe des pacifistes et des bellicistes. Paul Reynaud le remplace, sans pouvoir néanmoins imposer sa politique. Il démissionne le 9 mai, puis revient sur sa décision le 10, quand les Allemands déclenchent l'offensive à l'ouest.

Selon les mots de François Bédarida, « face à une stratégie allemande audacieuse, mêlant professionnalisme et esprit d'innovation, le pivot de la stratégie alliée a été de vouloir faire la guerre en s'efforçant de prendre les moyens de ne pas la faire ».

Drouet (Jean-Baptiste),

homme politique (Sainte-Menehould, Marne, 1763 - Mâcon, Saône-et-Loire, 1824).

Ce modeste maître de poste doit sa carrière politique au rôle qu'il joue en 1791 dans l'arrestation de Louis XVI lors de sa fuite. C'est en effet lui qui, dans la soirée du 21 juin, identifie le fugitif, qui a fait une halte à son relais, et qui court avertir les autorités de Varennes. Célébré comme un héros, il est élu député suppléant de la Marne à la Législative, puis entre, en 1792, à la Convention, où il siège avec les montagnards. Membre du premier Comité de sûreté générale en octobre 1792, régicide, envoyé en mission à l'armée du Nord, il est fait prisonnier en octobre 1793 par les Autrichiens, qui l'échangent, avec sept autres conventionnels, contre la fille de Louis XVI en décembre 1795. Réélu député au Conseil des Cinq-Cents, il participe à la conjuration des Égaux, ce qui lui vaut d'être arrêté en mai 1796 avec les babouvistes. Cependant, il s'évade avant le procès - sans doute grâce à la complicité de Barras, soucieux de ménager l'opinion publique émue par l'arrestation de l'homme de Varennes -, se réfugie aux Canaries et, jugé par contumace, est acquitté en mai 1797. Il ne revient à Paris qu'en octobre, après le coup d'État du 18 fructidor an V, et retrouve les néojacobins à la Société du Manège, qu'il préside. Commissaire du Directoire à Châlons-sur-Marne en 1799, il devient, de 1800 à 1814, sous-préfet de Sainte-Menehould, arrondissement où il place d'anciens révolutionnaires. Fidèle à Napoléon et élu député pendant les Cent-Jours, il est proscrit sous la Restauration et finit ses jours dans la clandestinité.