Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

croisades. (suite)

Le bilan des croisades est donc mince. L'historien Jacques Le Goff, en une boutade bien connue, le limitait à ... l'abricot. D'un point de vue politique, il est clair que les États latins d'outre-mer n'ont pas survécu après 1291. Au niveau socioéconomique, le bilan n'est pas meilleur. L'Occident chrétien, de même que son adversaire musulman, a englouti dans ces expéditions lointaines, toujours à recommencer, de nombreuses vies humaines et de grandes richesses. Les échanges commerciaux qui se sont développés alors entre l'Occident et le Proche-Orient sont pourtant bien réels : ils ont surtout profité aux villes marchandes d'Italie (Venise, Gênes, Pise...). On a souvent évoqué l'attrait pour les épices qui, venu d'Orient, se serait répandu en Occident à l'époque des croisades ; il n'est pas exclu de penser que cet attrait serait redevable aux seuls pèlerinages, et acquis d'une manière moins violente. En revanche, on peut dire que la perte des États latins d'outre-mer a contraint l'Occident à se procurer des épices, devenues indispensables, sans l'intermédiaire des États musulmans. En ce sens, c'est plus l'échec des croisades que les croisades elles-mêmes qui a suscité les grands voyages de découverte destinés à trouver la « route des Indes », et qui a conduit à la suprématie de l'Occident à partir du XVe siècle.

En matière culturelle, il ne semble pas que les croisades aient beaucoup contribué aux échanges entre l'Islam et la Chrétienté : la société chrétienne d'outre-mer, comme toute les sociétés de type « colonial », avait somme toute peu de rapports avec les autochtones. Les échanges culturels furent plus intenses en Espagne ou en Sicile. En revanche la croisade, comme la Reconquista, a poussé l'Occident à mieux s'informer sur l'Islam, ne serait-ce que pour mieux s'y opposer : cet élan d'intérêt, né au XIIe siècle avec l'abbé de Cluny Pierre le Vénérable, s'amplifia par la suite avec le Catalan Raymond Lulle, mais il se développa plus encore avec l'idée franciscaine de « conversion » des infidèles qu'avec l'idée de croisade, à laquelle elle se substitua peu à peu.

Au plan religieux, la croisade a évidemment creusé davantage l'antagonisme entre Chrétienté et Islam, plus que la reconquête de l'Espagne, mieux admise par les musulmans, car relevant de la guerre entre voisins. Mais elle a aussi durablement écartelé le monde chrétien : après la première croisade, et surtout après 1204 et la prise de Constantinople, catholicisme et orthodoxie se dissocient pour plusieurs siècles. Enfin, dans le domaine des idéologies et des mentalités, les croisades eurent une formidable et durable influence. En Occident, elles marquent le point culminant de la sacralisation de la guerre menée au nom de la religion, l'aboutissement d'une véritable révolution doctrinale. En mettant en avant la nécessité de délivrer les Lieux saints, l'Église se dotait d'une idéologie de la guerre sainte qui, curieusement, rejoignait une doctrine depuis longtemps admise dans l'Islam : celle du jihad. Dans le monde musulman, les croisades provoquèrent - et provoquent toujours - un profond traumatisme. La croisade y apparaît en effet comme une conquête de type colonialiste menée sous le couvert de la religion, et non comme une expédition de reconquête de la Terre sainte. Tandis que le mot s'est associé, dans le monde musulman, à l'idée d'un expansionnisme hypocrite, il en est venu, en Occident, à désigner un juste combat contre l'erreur ou l'obscurantisme.

Croix (la),

mensuel lancé, en avril 1880, par le Père d'Alzon, fondateur de la congrégation des Augustins de l'Assomption, au moment où l'Église catholique souhaite disposer d'un organe de combat face aux républicains triomphants.

Devenue un quotidien en 1883, la Croix gagne lentement en audience, et dépasse les 100 000 exemplaires en 1889. Fort conservatrice, boulangiste, antidreyfusarde, antisémite, elle fait campagne contre Waldeck-Rousseau en 1898. Menacée dans son existence après l'interdiction des assomptionnistes, elle reste fidèle à la ligne définie par l'Église, tout en modérant sa virulence. Proche de l'Action française après la Grande Guerre, le quotidien est en plein désarroi lorsque, en 1926, le Vatican condamne le mouvement maurrassien ; ses ventes chutent alors brusquement, mais le journal retrouve très vite un tirage à 140 000 exemplaires. Jusqu'en 1939, il s'efforce de demeurer à l'écart des controverses politiques, même s'il témoigne de la bienveillance à l'égard de Mussolini ou de Franco. Sous l'Occupation, la Croix s'installe à Limoges. Autorisée à reparaître en février 1945 (le tirage avoisine alors 160 000 exemplaires), elle tend, au fil des années, à refléter tous les courants de pensée du catholicisme français. En novembre 1956, elle supprime le crucifix qui ornait la manchette. Rebaptisée en mars 1968 le Journal la Croix, et optant pour le demi-format, elle devient la Croix-l'Événement en février 1975. Témoin de l'érosion du lectorat catholique, le quotidien du soir du groupe Bayard Presse connaît un net déclin au fil des années, passant de 133 000 exemplaires en 1971 à 65 000 en 1995.

Croix-de-feu,

organisation d'anciens combattants créée en 1927, et transformée en ligue dans les années trente.

L'Association nationale des combattants et des blessés de guerre cités pour action d'éclat, ou Croix-de-feu, se veut « antirévolutionnaire et antidéfaitiste ». Elle ne compte à l'origine que 2 000 adhérents, bien qu'elle modère son élitisme et s'ouvre en 1929 aux « briscards » qui ont passé six mois en première ligne. En 1931, le colonel de La Rocque accède à la présidence et, en 1932, étend le recrutement aux « fils et filles des Croix-de-feu », puis, en 1933, à la « Ligue des volontaires nationaux ». L'association connaît enfin le succès avec plus de 30 000 inscrits fin 1932, sans doute 300 000 fin 1935. C'est la plus puissante des ligues de droite et, pour la gauche de l'époque, le symbole d'un fascisme français. Cependant, malgré le culte du chef, les manœuvres en ordre serré et les troupes de choc, son programme, présenté par La Rocque dans Service public (1934), ne relève pas du fascisme mais d'une droite patriote, paternaliste, d'inspiration catholique. Républicaine et légaliste en dépit de son antiparlementarisme, elle appuie les gouvernements modérés, se mêle peu aux autres ligues, manifeste séparément et dans le calme le 6 février 1934 ; son aile réellement fasciste, dirigée par Pierre Pucheu, préfère rejoindre Doriot en 1935. Dissoute en juin 1936, transformée en Mouvement social français, puis, en juillet, en Parti social français (PSF), l'organisation attire une vingtaine de députés et abandonne tout aspect paramilitaire. Premier parti français de masse à droite, ayant ses syndicats, ses groupes universitaires et ses associations de loisirs, le PSF s'implante chez les paysans et les ouvriers. En 1937, il compte plus de 800 000 adhérents, peut-être un million et demi en 1939, fédère les droites conservatrices et pourrait espérer cent députés aux élections prévues pour 1940. Sous le gouvernement de Vichy, rebaptisé « Progrès social français » et interdit en zone occupée, il est maréchaliste mais anti-allemand. Quant à La Rocque, il se rallie à la Résistance et sera déporté. À la Libération, suite à l'effondrement de la droite et à la mort de son chef, le PSF devient le petit Parti républicain et social de la réconciliation française. Il défend les valeurs chrétiennes, la participation populaire et une rénovation des institutions. Représenté par quelques députés en 1951, il rejoint le Centre national des indépendants en 1959. Réponse non pas fasciste mais conservatrice et sociale à la crise des années trente, le mouvement, même s'il n'a pu s'adapter à de nouvelles conjonctures, préfigure certains aspects du gaullisme, et en particulier du RPF.