Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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droite (suite)

Depuis les années cinquante, c'est pour l'essentiel en dehors du gaullisme et souvent contre lui que s'est affirmée la tendance la plus dure du national-populisme. Le mouvement Poujade est à la fois antifiscal et violemment antiparlementaire. Au nom de l'Algérie française, des militaires tentent un coup d'État (1961), et les hommes de l'Organisation armée secrète (OAS) pratiquent un activisme qui les mène à l'organisation d'attentats terroristes. Leur échec en 1962 réduit alors l'extrême droite, pour deux décennies, à une existence groupusculaire. Mais, à partir de 1983-1984, le rejet violent par une partie de l'opinion de l'expérience socialiste ou, au contraire, les déceptions que celle-ci a provoquées, et surtout la persistance d'une crise que ni la gauche ni la droite modérée ne parviennent à juguler lui ont ouvert un espace politique. En exploitant les thèmes de l'immigration, de l'insécurité, de l'identité française menacée, en mettant en avant ses projets de « préférence nationale », le Front national de Jean-Marie Le Pen parvient, avec des scores de 10 à 15 % des voix, à s'imposer comme une composante stable de la vie politique. Il obtient de grands succès dans l'ancienne clientèle « poujadiste » des PME, mais plus encore parmi les employés, les ouvriers et les chômeurs. S'il ne s'agit pas de fascisme, son appartenance au « national-populisme » ne fait pas de doute.

Persistance des clivages ?

On peut, en conclusion, évoquer trois grands problèmes. Celui de la persistance du clivage droite-gauche, tout d'abord. On annonce son effacement en invoquant l'effondrement des idéologies « totalisantes », ainsi que les contraintes de l'économie mondialisée qui limitent la liberté des choix politiques. Mais, même si c'est parfois avec scepticisme, la grande majorité des Français continuent de s'inscrire dans le cadre de l'affrontement droite-gauche : la plupart des élections révèlent, surtout au second tour, la persistance de cette bipolarisation.

On a, d'autre part, remis en cause la tripartition de la droite française. Jean Touchard et Jean Charlot, l'un et l'autre fins connaisseurs du gaullisme, ont ainsi contesté son rattachement au « bonapartisme ». Certes, des nuances s'imposent. L'influence relative des trois grands courants a changé. Le « légitimisme » est devenu résiduel. Le rapprochement, depuis le début des années quatre-vingt, du libéralisme conservateur d'ascendance « orléaniste » et du gaullisme aux lointaines affinités « bonapartistes » est incontestable. La division de la droite autoritaire, déjà notée par René Rémond, entre une tendance plutôt conservatrice et une autre plus violemment protestataire se concrétise dans l'opposition actuelle entre le néogaullisme et le Front national. Mais, globalement, la cohérence et la valeur explicative de la théorie des « trois droites » paraissent peu contestables à nombre d'historiens et de politologues.

Enfin, une évolution du rapport des forces entre droite et gauche a marqué les deux siècles de leur existence. La Révolution a été une défaite de la droite traditionaliste, dont la revanche n'a guère duré qu'une dizaine d'années (1820-1830). Ce sont l'orléanisme puis le bonapartisme qui lui ont succédé de 1830 à 1870-1848 n'ayant été qu'une parenthèse. De la crise du 16 mai 1877 (quand les tenants de l'Ordre moral sont remplacés par des républicains) jusqu'à la Première Guerre mondiale, les droites sont restées minoritaires et écartées du pouvoir, si l'on excepte quelques années de gouvernement des « progressistes ». L'entre-deux-guerres leur a été plus favorable : alliées ou non aux radicaux, elles ont dominé durant une quinzaine d'années sur vingt. À partir de 1946, et sauf à quatre reprises (1956, 1981, 1988, 1997), elles ont été toujours majoritaires dans le corps électoral. Très solidement implantées dans les classes dirigeantes, la paysannerie, les classes moyennes non salariées, elles peuvent en effet s'appuyer aussi sur une minorité appréciable des salariés non manuels et même de la classe ouvrière.

droits de l'homme et du citoyen (Déclaration des),

texte adopté par l'Assemblée nationale constituante le 26 août 1789, et énonçant les droits et devoirs de tout citoyen. Placée en tête de la Constitution de 1791, cette déclaration fondatrice est reprise en préambule des Constitutions de 1946 et de 1958.

Une généalogie complexe.

• En 1902, un vif débat oppose Émile Boutmy, fondateur de l'École libre des sciences politiques, au grand juriste allemand Georg Jellinek. Ce dernier prétend retracer la généalogie de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : elle serait fille des premières déclarations américaines, elles-mêmes enfantées par la Réforme protestante. Dans un contexte de rivalité intellectuelle franco-allemande, cette interprétation provoque un tollé : Jellinek tente de démontrer que les « droits de l'homme », dont la IIIe République française est si fière, sont issus de la Réforme, fruit de l'esprit allemand et des premières affirmations de la liberté de conscience. Boutmy réplique alors, non pas en attaquant le modèle protestant - auquel il est attaché -, mais en réaffirmant l'originalité radicale de la Déclaration française, universelle, au regard de ses devancières américaines. Cette polémique illustre au plus haut point l'un des rôles historiques des droits de l'homme : ils ont pris forme à travers un corpus de textes dont les origines sont extrêmement diverses, et dont la force de légitimité joue pleinement dans l'affirmation politique des démocraties occidentales. La quête des origines, les filiations, les oublis, les contournements et les résurgences : autant de formes possibles pour l'étude des genèses contrastées des droits de l'homme ont ainsi agité périodiquement les milieux intellectuels occidentaux depuis le XIXe siècle.

Les généalogies défendues par Jellinek et Boutmy peuvent être à la fois confirmées et contestées. Elles peuvent également être concurrencées par d'autres. Stéphane Rials (la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 1988), en posant à l'Ancien Régime religieux et monarchique la question : « L'homme a-t-il des droits face à Dieu et face au roi ? », soutient ainsi, textes à l'appui, que les racines de la Déclaration des droits de l'homme plongent jusqu'aux écrits théologiques de la fin du Moyen Âge, puis jusqu'au cœur des problématiques de la Contre-Réforme catholique du XVIIe siècle. En rencontrant les Indiens des Amériques, certains missionnaires n'ont cessé, en effet, de s'interroger sur la nature humaine de ces êtres, sur leurs droits, sur un monde où l'homme serait propriétaire de sa personne et de ses libertés. De la même manière, l'on peut chercher des sources à la Déclaration des droits de l'homme dans les chartes que se sont octroyées certaines cités européennes depuis le Moyen Âge, et parfois certaines communautés villageoises. On pourrait également en déceler des prémices dans les règles de protection de l'intégrité de la personne humaine - tel l'habeas corpus (1679) - que la tradition politique anglaise a mises en place tout au long du XVIIe siècle, tradition dont Locke expose clairement les éléments dans des traités qui influenceront profondément le mouvement des Lumières au siècle suivant.