Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

château. (suite)

La vue de châteaux aujourd'hui dégarnis de mobilier donne à penser qu'il ne s'agit plus que de coquilles de pierre. Or nombre de ces édifices n'étaient guère plus meublés aux temps mêmes de leur occupation. En effet, les seigneurs possèdent souvent plus d'un château, et se rendent de l'un à l'autre suivant la saison ou leurs obligations. Entre deux déplacements, à l'exception des châlits de bois, la demeure se vide de son mobilier comme de ses habitants. Le mode de vie itinérant de l'aristocratie impose l'usage d'un mobilier aisément transportable, ou pliant : les tables sont alors de simples plateaux de bois disposés sur des tréteaux, que l'on installe au moment des repas - d'où l'expression « mettre la table ». Les tabourets pliants, les coffres, servant à la fois de bagages et de rangements domestiques, sont emportés lors de chaque changement de résidence. L'armoire massive n'existe pas, et les dressoirs ne datent que de la fin du Moyen Âge. Avant la diffusion tardive du verre à vitre, on obture simplement les fenêtres avec du papier huilé, à l'arrivée du seigneur et de sa famille, on pourvoit à la hâte les salles de nattes de paille tressée, tandis que tapis, tentures, tapisseries et coussins voyagent de résidence en résidence. Ce mode de vie nomade n'empêche en rien le déploiement d'un grand luxe dans la décoration du château et dans l'aménagement des chambres. Outre les fresques et les peintures des poutres et des plafonds, les textiles, de couleurs vives, peints ou armoriés, et les carrelages somptueux, à motifs héraldiques, courtois ou animaliers, contribuent au confort et à la beauté des pièces. De multiples accessoires améliorent l'habitabilité : des pare-feu d'osier tressé, le luminaire, une vaisselle souvent ornée de motifs animaliers ou anthropomorphes, des verreries importées d'Italie, des céramiques de provenance parfois lointaine, islamique, voire extrême-orientale. En outre, dans les châteaux princiers, jardins, pièces d'eau, fontaines, et parfois un zoo, comme chez le roi René d'Anjou, le duc de Berry ou les rois de France, flattent le goût des puissants pour l'exotisme.

Le château n'abrite pas seulement les proches du seigneur. En l'absence de ce dernier, un concierge est parfois seul à y résider. En cas de besoin, une garnison réduite y séjourne. Lorsque le château est occupé, le nombre de serviteurs ou de commensaux croît : domestiques pour le service et le ménage, nourrices et gouvernantes pour les enfants, chapelain pour servir l'office dans la chapelle castrale et pour enseigner aux jeunes de 6 à 15 ans ; « galopins » d'écurie, fauconniers, veneurs, valets de chiens, pour s'occuper des chevaux, faucons et chiens de guerre ou de chasse ; enfin, un cuisinier et ses apprentis, les « enfants de cuisine », pour nourrir tout ce monde. S'ajoutent à la famille les serviteurs chargés des tâches administratives, scribes et officiers, et, dans les châteaux des seigneurs importants, des enfants pages. On comprend que très tôt les châteaux, de défensifs, se soient transformés en résidences d'un haut niveau de confort. Le château fort n'est donc pas seulement l'« image de pierre des guerres médiévales » (A. Chatelain), mais aussi une forteresse habitée.

Renaissance ou décadence ?

Cette évolution du château vers la demeure de plaisance est pleinement achevée à la Renaissance : les fonctions militaire et résidentielle tendent à se dissocier définitivement. Au début du XVIe siècle, le château, autrefois enfermé dans ses remparts, s'ouvre sur l'extérieur, recherche la lumière et l'ornementation : pinacles au sommet des toitures, galeries et escaliers à loggia ; des jardins recouvrent les fossés, qui sont donc aplanis. L'aspect fortifié s'atténue : on remplace les archères par de larges fenêtres à tous les niveaux, et l'échelle de bois menant à la porte fait place à un escalier monumental en pierre. De telles modifications sont dues, en grande partie, à un engouement de l'aristocratie pour l'architecture italienne ; il est suscité, dès la fin du XVe siècle, par les expéditions militaires françaises. Ainsi, le décor intérieur tout comme l'organisation spatiale des premiers châteaux italianisants, bâtis en Val de Loire, transforment profondément l'apparence de ces édifices. Toutefois, jusque dans les années 1530, ceux-ci constituent des exceptions.

En effet, le château de type médiéval ne disparaît pas pour autant et, sous l'effet des guerres de Religion, la poliorcétique se modernise même efficacement. On adopte le principe des tours d'angle à plan losangé, inspirées des bastions à l'italienne, et on élargit les fossés, qui conviennent tant à la défense qu'à la plaisance. En sous-sol sont installées des casemates de tir adaptées aux canons : la défense active, autrefois organisée du haut des tours, se déplace au ras du sol. Au XVIIe siècle encore, le château de type médiéval reste en fonction. Même si Vauban édifie de nouvelles citadelles avec bastions avancés de plan polygonal, nombre de forteresses sont simplement restaurées ou aménagées dans le respect des principes médiévaux, avec pont-levis, tours, hourds de bois et mâchicoulis. En revanche, dans les châteaux résidentiels, la noblesse de l'époque privilégie l'élégance au détriment du caractère à la fois militaire et rural des châteaux médiévaux. Ainsi, le château de Grignan, cité dès 1035, et dans lequel réside six siècles plus tard la marquise de Sévigné, est transformé en « palais d'Apollidon ». Cependant, même aménagés, les châteaux anciens ne peuvent rivaliser avec ceux édifiés après le Moyen Âge, et nombre d'entre eux disparaissent alors : déjà en ruine, ou volontairement démantelés, ils servent de carrières aux paysans ; des donjons sont transformés en tours de moulins à vent, comme en Forez ; des faïenciers installent leurs fours dans leurs bâtiments, comme à Vincennes ; enfin, les plus solides des anciennes forteresses, souvent de construction royale, qui sont les plus inconfortables aux yeux des hommes modernes, ne conservent que leur fonction de prison, à l'instar de la Bastille.