Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
G

grève. (suite)

Les syndicats et la grève.

• C'est dans la spontanéité de la grève que s'affirme le mieux l'idéal d'une autonomie ouvrière, antérieure aux appareils. À vrai dire, les syndicats sont très vite présents, avant même d'avoir une existence légale (1884). Mutuelles et coopératives, fondées antérieurement, fournissent déjà militants et subsides ; elles sont relayées, à compter des années 1860, par les sociétés de résistance, syndicats avant la lettre qui entendent prendre en main la défense des intérêts ouvriers. Même si, par la suite, leur volonté d'en être les seuls représentants face au patronat les conduit à se méfier d'une forme d'action qui débouche souvent sur l'échec. Combien de syndicats nés avant ou à l'occasion d'une grève disparaissent avec la défaite, voire ne survivent pas à la victoire ? La CGT, née en 1895, appelle volontiers à la prudence, la grève ne constituant à ses yeux qu'une préparation à la lutte finale, au « grand soir ».

La création et le développement des grandes centrales syndicales, au XXe siècle - CGT, CFTC, CFDT, Force ouvrière - modifient totalement la nature de la grève. Ces organisations se défient des manifestations spontanées de la base, devenues ces grèves « sauvages » qui entraînent des débordements en juin 1936, en 1946-1948, en mai 68, et dans ces années soixante-dix où l'on dénonce la sclérose syndicale. Les grandes vagues du XXe siècle ne sont pas, comme avant 1914, des agrégats de mouvements divers mais des lames de fond suscitées, ou en tout cas contrôlées après coup, par les grandes confédérations. En 1919-1920, c'est la CGT qui lance au combat ses différentes fédérations dans l'espoir d'une révolution ; en 1936, elle prend le contrôle d'un élan revendicatif d'une ampleur exceptionnelle pour négocier, au sommet, les accords Matignon ; en 1968 encore, même si elle n'est plus seule, elle mène les négociations qui aboutissent aux accords de Grenelle, comme elle l'avait fait en 1947-1948, bien que l'initiative ne fût pas venue d'elle.

Désormais, les grandes vagues de grèves s'inscrivent donc bien au-delà de l'affirmation d'une autonomie ouvrière. Certes, la conjoncture économique demeure un facteur explicatif : c'est après l'inflation de la Grande Guerre qu'explose le mouvement de 1919-1920 ; c'est au lendemain d'une baisse du pouvoir d'achat et de l'emploi que se déclenchent les grands remous de 1936 : 16 607 grèves dans l'année, plus de 2,4 millions de grévistes ; quant aux événements de 1947-1948, ils interviennent à la suite de privations d'autant plus intolérables que le gouvernement invite à un effort inégalé de production. Mais on remarquera que 1919-1920 constitue une mise en cause révolutionnaire du système capitaliste ; que juin 1936 accompagne la victoire parlementaire du Front populaire ; que les années 1947-1948 sont concomitantes de la naissance de la guerre froide et de l'offensive communiste au niveau mondial. Le contexte politique semble prendre désormais une importance prépondérante, comme si la grève était un moyen privilégié d'expression politique pour le monde ouvrier, que celui-ci marque son hostilité ou son adhésion.

En revanche, sous la IVe puis la Ve République, la grève prend un caractère nouveau, même si la spontanéité ouvrière ne disparaît pas. Elle emprunte de plus en plus la forme de mouvements d'ensemble, qui peuvent toucher un seul secteur - celui des mineurs par exemple, en 1963 -, mais prend le plus souvent l'allure de journées intercorporatives, consacrées à des objectifs précis et limités, ce qui lui fait perdre de son flamboiement. À ce déclin de la grève, plusieurs explications sont possibles. La législation sociale a multiplié les occasions de conciliation préalable, qui la rendent inutile ; la spécificité ouvrière s'est délitée, la grève devenant l'instrument de catégories sociales auxquelles elle était étrangère : employés, représentants des professions libérales, voire petit patronat indépendant ; surtout, depuis 1973-1975, c'est la classe ouvrière elle-même qui se disperse en raison des restructurations de l'économie et de la montée du chômage. Depuis vingt-cinq ans, toutes les courbes statistiques relatives aux grèves sont à la baisse, et il n'est pas étonnant que les dernières résurgences d'ensemble ait été, en décembre 1995, en mai-juin 2003 et en février-mars 2006, le fait des fonctionnaires et des salariés des services publics.

Grève (place de),

nom de la place de l'Hôtel-de-Ville de Paris jusqu'en 1803.

Cet ancien fief des comtes de Meulan fut vendu en 1141 par Louis VII aux bourgeois parisiens pour 70 livres : « Nous cédons à perpétuité cette place voisine de la Seine, que l'on appelle la Grève, où existe un ancien marché, afin qu'elle reste vide de tout édifice ou de tout autre objet qui pourrait l'encombrer. » Séparée en deux par des palissades en bois, puis par un mur qui devait limiter les dégâts occasionnés par les crues de la Seine, la Grève accueillait en sa partie basse le marché aux vins et au charbon, et, sur sa partie plus élevée, l'artillerie de la ville lors des cérémonies officielles ou le gigantesque bûcher qu'on allumait à l'occasion des fêtes de la Saint-Jean. La place servait aussi de lieu d'exécution : Ravaillac y fut écartelé (1610), Damiens, roué (1757), Cadoudal, guillotiné (1804). Elle fut aussi le théâtre de nombreuses « émotions » populaires, de la révolte des Maillotins aux guerres de Religion, de la Fronde à la Révolution, jusqu'au « baiser républicain » (Chateaubriand) de La Fayette au duc d'Orléans. Des combats décisifs pour la prise de l'Hôtel de Ville s'y déroulèrent en 1830, 1848, 1871 et 1944.

Si la Grève tire son nom de sa situation riveraine de la Seine, elle le lègue à son tour au vocabulaire courant avec un sens nouveau : dès le XVe siècle, en effet, les ouvriers en quête d'ouvrage s'assemblaient sous les galeries formées par les piliers des maisons de la place en quête d'ouvrage. Ils « faisaient la grève », expression qui perdure jusqu'aux années 1850 - la grève au sens actuel étant alors appelée « sédition ».