Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
V

vin. (suite)

Changement des représentations et pressions de l'étranger

Paradoxalement, leur tanin permettait à ces vins « grossiers », auxquels on mêlait l'âpre jus du pressoir, de se conserver plus longtemps que les « vins de mère goutte ». Ces derniers, qui s'écoulaient du raisin ni pressé ni même foulé aux pieds, étaient estimés les plus délicieux. Même en Bourgogne, dont les vins un peu âpres n'étaient souvent bus, voire expédiés et commercialisés qu'après un an de tonneau, il y en avait qui, comme les « vins français », aigrissaient au bout de quelques mois. Ainsi le volnay, un beau vin œil-de-perdrix, longtemps tenu pour le meilleur des vins de Beaune, ne pouvait se conserver toute l'année.

Les vins de plus longue conservation, qui sont apparus au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, sont moins le résultat d'un progrès technique, comme on le croit souvent, que d'un changement des représentations - lié au déclin de la physique d'Aristote et de la diététique hippocrato-galénique - et de la pression des marchands hollandais et anglais, qui avaient besoin de vins de garde et dont la clientèle avait d'autres goûts que les Français.

Les Hollandais ont poussé les producteurs trop éloignés des marchés du Nord à distiller leur production de petits vins, le prix de l'eau-de-vie permettant d'amortir les frais de transport plus facilement. Cet alcool était ensuite bu par les marins des régions septentrionales, ou servait à remonter, dans les entrepôts bataves, des vins jugés trop faibles. Ce sont aussi les Hollandais qui ont convaincu les vignerons d'Anjou, de Montbazillac ou de Sauternes de retarder les vendanges jusqu'à l'extrême maturité des raisins. Bien que les Hollandais aient aussi acheté la plus grande partie des vins de Bordeaux (44 000 tonneaux pour eux et leurs clients du Nord vers 1710, contre 1 000 seulement pour les Anglais), c'est aux amateurs londoniens qu'allaient tous les vins les plus chers. Habitués aux portos, qui constituaient l'essentiel des vins bus en Angleterre, ces gourmets d'outre-Manche souhaitaient sans doute des vins plus foncés, plus lourds et de meilleure garde que les traditionnels clairets. Au reste, on sait que pendant deux siècles les marchands anglais n'ont pas hésité à mélanger ces grands crus, qu'ils jugeaient encore trop légers, à des vins espagnols, plus alcoolisés. Sans doute est-ce eux également qui ont obtenu, à la fin du XIXe siècle, une hausse très sensible du degré de ces grands bordeaux à la production.

L'influence des clients du Nord est encore bien visible sur l'envolée des prix des sombres côtes-de-nuits et sur la régression des côtes-de-beaune à partir de 1726 - certains amateurs français dénonçant ce renversement de la hiérarchie des crus. Elle s'est aussi vraisemblablement exercée en Champagne, où le contrôle de la mousse ne résulte pas d'une découverte miraculeuse du bouchon de liège et de bouteilles résistant bien à la pression : ces progrès techniques ont été patiemment recherchés pour répondre à l'attente d'une clientèle étrangère qui reconnaissait le champagne à sa mousse.

Maladies, crises, et nouvelle donne

Après un siècle d'essor de sa production commercialisée, le vignoble français va être détruit, à partir de 1850, par une série de maladies venant toutes d'Amérique. L'oïdium, champignon signalé en Angleterre dès 1845, atteint la France en 1849 et y fait des ravages de 1850 à 1863. Le soufrage des vignes, expérimenté depuis 1852, finit par s'imposer et à venir à bout du mal. La croissance de la production reprend.

Puis vient le phylloxéra, un puceron au cycle de vie compliqué, qui s'attaque aux racines de la vigne et a fait échouer toutes les plantations de vignes européennes en Amérique depuis le XVIe siècle. Arrivé en France en 1863, il envahit progressivement les vignobles à partir du Gard et de la Gironde, de 1870 jusqu'après 1890. L'injection dans le sol de sulfure de carbone, méthode trop onéreuse pour la plupart des vignerons, a constitué une solution pour les plus grands vins : par crainte d'une baisse de qualité, certains l'ont utilisée jusqu'après la Première Guerre mondiale (premiers crus du Médoc et de Chambertin), voire jusqu'à la Seconde (Romanée-Conti), avant de devoir, comme les autres, se résoudre à replanter sur des porte-greffe américains plus résistants (la première récolte du romanée-conti reconstitué date de 1952). Dès les années 1880 dans certains cas, mais surtout après 1890, on n'a donc pas pu empêcher la destruction quasi générale des vignes, et l'implantation de nouveaux plants.

Troisième maladie, le mildiou est dû à un champignon. Il est arrivé en France en 1878, en pleine crise du phylloxéra, et ses ravages prennent de l'importance à partir de 1882. Pour en venir à bout, on met au point un mélange de sulfate de cuivre et de chaux, la « bouillie bordelaise ». Tout le Médoc l'utilise à partir de 1886, en pulvérisant de 300 à 400 litres à l'hectare. Enfin, une autre maladie cryptogamique américaine prend de l'extension à la fin du siècle : le black-rot, qui dessèche les grains de raisin. Le sulfate de cuivre a une certaine efficacité contre elle, ainsi que la destruction par le feu des grappes contaminées. Mais elle reste aujourd'hui encore dangereuse dans les régions froides et humides.

Les conséquences de cette crise sont graves. La production viticole française, qui était de quelque 52 millions d'hectolitres en 1870-1879, est passée à environ 30 millions dans la décennie suivante. Des traitements ont été trouvés, qui, depuis lors, tiennent en respect les quatre maladies, mais ils coûtent cher et ont très sensiblement élevé le prix de revient du vin. Nombre de petits vignerons, incapables de cet effort financier, ont disparu dans la tourmente. D'autres ont, pendant un temps, abandonné les vignes françaises pour les hybrides producteurs directs (non utilisés comme porte-greffe), beaucoup plus résistants mais qui produisaient un mauvais vin destiné à une consommation familiale ou populaire.

Ne furent replantées que les régions où les vins étaient chers (Champagne, Bourgogne, Bordelais, etc.) ou de hauts rendements (Languedoc et autres vignobles méridionaux). En outre, ces vignobles une fois reconstitués se sont heurtés à la concurrence du vignoble algérien, dont la production, dopée par la pénurie des vingt dernières années du XIXe siècle a oscillé entre 5 millions et 10 millions d'hectolitres de 1900 à 1914, alors qu'elle n'était que de 1 million en 1885.