Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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République (IIIe). (suite)

Ce régime, d'implantation encore récente et fragile, doit affronter une première vague de contestation de grande ampleur à la fin des années 1880. Les difficultés économiques, liées à la dépression du dernier quart du XIXe siècle, affectent les classes moyennes et le prolétariat ouvrier. Ce dernier, dont une large fraction a apporté son appui électoral à la République, s'estime lésé par ce régime au conservatisme social avéré. Enfin, l'instabilité ministérielle et l'omnipotence du législatif contribuent à forger l'image d'un régime d'impuissance et d'immobilisme, qui déçoit et inquiète les nationalistes, pour lesquels la priorité est la revanche contre l'Allemagne. En outre, la politique de conquête coloniale, engagée sur une vaste échelle par les « opportunistes », fait l'objet de vives critiques de la part des conservateurs comme des républicains « avancés ». Le nationalisme, les aspirations sociales et l'antiparlementarisme sont les trois ressorts de l'agitation boulangiste. Sous l'égide du général Boulanger, ancien ministre de la Guerre dans un cabinet « opportuniste », se noue une coalition disparate de conservateurs, de catholiques et de monarchistes (qui n'acceptent pas la laïcité et espèrent se servir du général pour renverser la République), d'une fraction de l'extrême gauche radicale (qui voit en lui un « jacobin botté » soucieux de réformes sociales), et de nationalistes (qui, groupés dans la puissante Ligue des patriotes, caressent leur projet de « revanche »). Le général, qui aspire à l'établissement d'un régime plébiscitaire, obtient tout au long de l'année 1888 un grand succès populaire, en se présentant à plusieurs élections partielles successives. Mais le caractère hétéroclite de ses soutiens et sa propre indécision entraînent l'échec de son entreprise. Sa fuite, en avril 1889, permet aux républicains de l'emporter aux élections de septembre.

L'échec de Boulanger conforte la République, mais l'épisode n'en est pas moins révélateur d'une désaffection de certains milieux populaires à l'égard du régime, désaffection confirmée par la poussée du socialisme, pendant la seconde partie des années 1880 et au début des années 1890. Les socialistes sont divisés : les uns sont antiparlementaires, les autres, proches de l'extrême gauche radicale, sont favorables aux institutions démocratiques, et voient dans le socialisme l'achèvement de l'idéal républicain. Leur succès est conforté lors des élections de 1893, à l'issue desquelles près de cinquante socialistes entrent à la Chambre. Rompant avec les radicaux, les républicains de gouvernement - ex-« opportunistes », qui se désignent désormais sous le vocable de « progressistes » -, avant tout préoccupés par le maintien de l'ordre social qui leur semble menacé par la vague d'attentats anarchistes des années 1890-1893, cherchent alors un appui du côté de la droite. Celle-ci subit, elle aussi, un processus de recomposition. Une partie des conservateurs catholiques, répondant à l'appel lancé en 1892 par le pape Léon XIII, décident d'accepter la forme républicaine de gouvernement, tout en restant très réservés à l'égard de la législation laïque. Les « ralliés » n'en forment pas moins une droite assagie, dont les républicains les plus modérés acceptent le concours dans leur lutte contre l'extrême gauche.

Dans le même temps, alors que le scandale de Panamá (1892-1893) entraîne la mise à l'écart de figures de première importance, modérées ou radicales, comme Georges Clemenceau, une nouvelle génération accède au pouvoir à la suite des élections de 1889 et 1893, tels Raymond Poincaré et Louis Barthou.

La Belle Époque et la Grande Guerre (1893-1918)

La contestation antidreyfusarde, la défense républicaine et le Bloc des gauches.

• À l'extrême fin du siècle, alors que la République semble avoir trouvé un équilibre avec le gouvernement des « modérés », l'affaire Dreyfus déclenche une deuxième grande vague de contestation contre le régime. Les controverses autour de la condamnation pour espionnage au profit de l'Allemagne du capitaine Alfred Dreyfus, à la fin de 1894, ne gagnent le devant de la scène publique qu'en 1898, avec la publication du « J'accuse... ! » d'Émile Zola, dénonciation de l'acharnement du haut état-major à l'encontre d'un innocent. En août 1898, après la découverte d'un faux fabriqué par les services du 2e bureau pour accabler Dreyfus, une violente polémique oppose les « révisionnistes » - ou « dreyfusards » -, partisans de la révision du procès au nom de la défense du droit et de la justice, aux « antirévisionnistes » - ou « antidreyfusards » -, qui prétendent défendre l'honneur et l'autorité de l'armée en s'opposant à toute remise en cause de la chose jugée. Les premiers, qui agissent, notamment, au sein de la Ligue des droits de l'homme, bénéficient du soutien d'hommes politiques de gauche, tels Jean Jaurès et Georges Clemenceau, et de beaucoup d'« intellectuels ». Les seconds se regroupent dans des ligues nationalistes : la Ligue des patriotes, antiparlementaire et favorable à une République plébiscitaire, la Ligue de la patrie française, conservatrice et traditionaliste, la Ligue antisémitique, qui incarne un nationalisme populaire, « révolutionnaire » et xénophobe. Les républicains de gouvernement, dans le souci de ménager le haut état-major, manifestent d'abord une très grande prudence devant les demandes de révision. Mais l'agitation nationaliste prend, au début de 1899, des formes ouvertement factieuses. Paul Déroulède, chef de la Ligue des patriotes, tente, pendant les obsèques du président Félix Faure le 23 février, d'entraîner la troupe sur l'Élysée. Aussi, nombre de parlementaires modérés envisagent-ils une nouvelle formule d'alliance, incluant les radicaux, voire les socialistes, autour d'un programme de « défense républicaine ». Dans le gouvernement présidé par Pierre Waldeck-Rousseau, formé en juin 1899, les « républicains de gauche » - la dénomination « progressistes » étant désormais réservée aux modérés hostiles à la nouvelle formule - sont associés à des radicaux et à un socialiste (Alexandre Millerand, nommé ministre du Commerce et de l'Industrie). Cette nouvelle coalition - le Bloc des gauches - sort victorieuse des élections de 1902. Les radicaux, devenus la force principale de la majorité, accèdent à la présidence du Conseil après la démission de Waldeck-Rousseau, remplacé par Émile Combes en juin 1902. Une politique de laïcisation d'une extrême vigueur est alors menée par la majorité du Bloc, solidement organisée à la Chambre autour d'une « délégation des gauches », dans laquelle figurent les représentants de toutes ses composantes. Toutefois, les socialistes quittent cette délégation dès 1905 - année de la création de la SFIO -, à l'exception des socialistes « indépendants », qui refusent de se soumettre aux directives de l'Internationale. Si les élections de 1906 confirment la prédominance des radicaux, qui assument la responsabilité du pouvoir sous la direction de Georges Clemenceau (octobre 1906-juillet 1909), l'hostilité des socialistes, mécontents du caractère limité des lois sociales et soucieux de ne pas soutenir un gouvernement « bourgeois », empêche la reconduction de la formule du Bloc des gauches. Mais il faut attendre la chute de Clemenceau, remplacé par Aristide Briand, et les élections de 1910 pour assister à un véritable infléchissement vers le centre.