Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

Chirac (Jacques), (suite)

La mue est confirmée quand l'ancien signataire de l'appel de Stockholm demande à commander un peloton de spahis en Afrique du Nord. Major de sa promotion à Saumur, il part en Algérie avec le 6e régiment de chasseurs d'Afrique. « L'Algérie a été la période la plus passionnante de mon existence », déclarera-t-il par la suite. Revenu en métropole très favorable à l'Algérie française, il poursuit sa scolarité à l'ENA, dont il sort seizième, et rejoint la Cour des comptes. Il effectue alors, en tant que directeur de cabinet du directeur général de l'agriculture, un second séjour en Algérie (1959-1960). Le partisan de l'Algérie française assiste, d'abord réticent, à la politique gaulliste en faveur de l'autodétermination, puis de l'indépendance, mais l'officier de spahis laisse bientôt place au haut fonctionnaire qui estimera par la suite que « le Général avait raison ».

Sous l'aile de Georges Pompidou.

• Jusqu'alors, il est vrai, le gaullisme n'est entré ni de près ni de loin dans la vie du jeune Jacques Chirac, qui approche la trentaine. En fait, la greffe va s'opérer par l'intermédiaire de Georges Pompidou. Et le parcours, dès lors, sera à la fois classique et accéléré. Classique, en effet, est le passage de l'énarque par un cabinet ministériel. Recommandé à Georges Pompidou par Marcel Dassault, Jacques Chirac est nommé chargé de mission à Matignon à l'automne 1962. À partir de ce moment-là, tout s'accélère : Pompidou remarque le bouillonnant énarque, et s'attache bientôt à ce jeune fonctionnaire, alors que tout, en apparence, oppose les deux hommes : l'âge, le caractère et la formation.

À Matignon, celui que l'on appelle « l'hélicoptère » déploie une énergie débordante, et devient « le bulldozer » - tel est son nouveau surnom, en ce milieu de décennie. Surtout, il part à l'assaut de la circonscription d'Ussel, en haute Corrèze, réputée imprenable, et qu'il conquiert pourtant sans coup férir aux élections législatives de mars 1967. Un mois plus tard, il est nommé secrétaire d'État à l'Emploi. À ce titre, il noue d'étroites relations avec les syndicats et sera, de ce fait, un intermédiaire entre eux et le Premier ministre durant la crise de mai 68. Par la suite, il racontera comment il a secrètement rencontré, avec un pistolet en poche, les dirigeants de la CGT, dans un appartement près de Pigalle. Deux jours plus tard, des négociations officielles commencent, qui vont déboucher, en un week-end, sur les accords de Grenelle.

Dès lors, au fil de la présidence de Georges Pompidou, Jacques Chirac va occuper des postes ministériels de plus en plus importants : d'abord au Budget - où il côtoie et, d'une certaine façon, surveille le ministre de tutelle Valéry Giscard d'Estaing -, avant de devenir ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, en janvier 1971. Surtout, un an plus tard, il prend en charge l'Agriculture, où il va conquérir la sympathie, jamais démentie depuis lors, d'une partie du monde paysan. Il est ministre de l'Intérieur en mars 1974 quand, un mois plus tard, le président de la République meurt en exercice. Dans les rangs gaullistes, Jacques Chaban-Delmas se porte candidat à la magistrature suprême ; mais une partie de l'entourage proche de Georges Pompidou a toujours manifesté envers lui de fortes réticences. Deux éminences grises de l'ancien président, notamment, se sont continûment montrées hostiles : Marie-France Garaud et Pierre Juillet. D'une certaine façon, au fil du quinquennat qui s'achève alors brutalement, Jacques Chirac a été leur protégé. Il partage, en tout cas, leurs réticences vis-à-vis de Chaban-Delmas, et, durant la campagne, manœuvre en faveur de l'autre candidat de la majorité, Valéry Giscard d'Estaing : il conduit la fronde des quarante-trois parlementaires UDR qui publient un communiqué soutenant implicitement le leader des Républicains indépendants. C'est pour lui, expliquera-t-il à ses proches, la seule façon d'empêcher la victoire de François Mitterrand. Et de préserver les intérêts du gaullisme. Mais de l'épisode il tirera, aux yeux de certains barons du gaullisme, une réputation de versatilité, voire de traîtrise.

Un hussard du néogaullisme.

• Pour l'heure, il est nommé Premier ministre à l'âge de 41 ans. La République n'a pas connu de chef du gouvernement plus jeune depuis Félix Gaillard en 1957. Mais, vingt-cinq mois plus tard, il démissionne - cas unique sous la Ve République - et crée, dans la foulée, le RPR. Une fois de plus, l'épisode, même s'il confirme son allant et sa détermination, ne contribue pas forcément à rendre son image plus limpide. Jacques Chirac devient, aux yeux d'une partie de ses concitoyens, une sorte de hussard du néogaullisme. Un hussard qui, en tout cas, s'est substitué aux « barons ». Dès cette époque, en effet, il s'est assuré le contrôle du mouvement gaulliste. Et les objectifs qu'il lui assigne ont au moins le mérite de la clarté : maintenir la prédominance du RPR sur l'UDF dans le camp de la majorité, malgré la perte de la présidence de la République, puis de Matignon ; reconquérir la magistrature suprême.

Une reconquête qui durera vingt ans, ponctuée de hauts et de bas. Moments de triomphe, par exemple, que son succès à Paris aux élections municipales de 1977 ; un succès confirmé en appel à chaque nouvelle échéance ; ou encore les élections législatives de 1986 et celles de 1993, où le RPR apparaît comme le fer de lance de la contre-offensive face à la gauche deux fois victorieuse en 1981 et 1988. Mais, précisément, ces deux dates semblent résonner comme un échec profond et peut-être irrémédiable. 1981, d'abord, avec la rude campagne de premier tour menée tout autant contre Valéry Giscard d'Estaing que contre François Mitterrand, et, de la part des giscardiens, le soupçon de traîtrise, tant le ralliement au second tour fut formulé sans enthousiasme excessif. 1988, ensuite et surtout, année où Jacques Chirac, Premier ministre « cohabitationniste », est sévèrement battu par le président sortant. Cette défaite semble annihiler tous les efforts déployés depuis 1981. Les proches eux-mêmes doutent alors de sa capacité à gravir un jour la dernière marche du pouvoir. Un vent de fronde se lève au sein du RPR, et le fringant hussard, apparemment brisé par deux charges aussi ruineuses qu'inutiles, semble condamné à vieillir dans sa thébaïde de l'Hôtel de Ville.