Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
H

Herr (Lucien),

philosophe, théoricien du socialisme, bibliothécaire de l'École normale supérieure (Altkirch, Haut-Rhin, 1864 - Paris 1926).

Petit-fils de paysan, fils d'un instituteur alsacien ayant opté pour la France, Lucien Herr est un bon représentant du modèle de la réussite scolaire mis en place par la République. Admis en 1883 à l'École normale supérieure, il est reçu deuxième à l'agrégation de philosophie en 1886. En 1888, il obtient, sur sa demande, le poste de bibliothécaire de la rue d'Ulm, poste qu'il conservera durant trente-sept années consécutives.

Grâce à cette fonction relativement modeste, il exerce une influence intellectuelle - il est, notamment, un admirable connaisseur de la philosophie allemande - et politique sur des générations de normaliens. En 1889, il adhère à la Fédération des travailleurs socialistes, parti possibiliste hostile aux guesdistes, puis, en 1890, au Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) du typographe Jean Allemane. Il joue un grand rôle lors de l'affaire Dreyfus en mobilisant nombre d'intellectuels de gauche, qu'il convainc de l'innocence du capitaine Dreyfus. Il fréquente alors très régulièrement Jaurès et Blum - qui se lient d'amitié -, ou Péguy, qu'il tire d'embarras financiers, avant de se brouiller avec lui. Herr est favorable à la participation du socialiste Millerand au gouvernement Waldeck-Rousseau, pour enraciner la République avec le soutien de « l'énergie socialiste » (Jaurès). On lui attribue d'avoir trouvé le titre du journal que Jaurès fonde en 1904 : l'Humanité. Il y écrit des articles de politique internationale jusqu'en 1905. Il soutient la création du parti socialiste unifié (SFIO), mais se tient à l'écart de toute action partisane, restant cependant fidèle, jusqu'à sa mort, à ce qu'il appelait « l'idée socialiste ».

Herriot (Édouard),

homme politique (Troyes 1872 - Saint-Genis-Laval, Rhône, 1957).

Fils d'un officier sorti du rang, promu par la méritocratie républicaine qui le conduit du lycée de La Roche-sur-Yon à l'École normale supérieure, Édouard Herriot est, selon l'historien Serge Berstein, « la République en personne ».

Entré en politique lors de l'affaire Dreyfus, il conquiert en 1905 la mairie de Lyon, ville qu'il dirige magistralement pendant plus d'un demi-siècle et dont il transforme l'urbanisme grâce à l'architecte Tony Garnier. Parallèlement à cette forte implantation locale, la carrière nationale d'Herriot débute en 1916, lorsqu'il devient ministre du gouvernement Briand. Mais c'est sa nomination à la tête du Parti radical, en 1919, qui le place au premier plan de la scène politique. Désireux de reconstruire le parti, il l'oriente à gauche tout en privilégiant les notables aux dépens des militants. La victoire du Cartel des gauches en 1924 le porte à la présidence du Conseil mais s'achève par une forte crise financière, qui entraîne la chute du gouvernement en avril 1925. Après une deuxième tentative infructueuse en 1926, Herriot accepte le ministère de l'Instruction publique dans le cabinet d'union nationale de Poincaré. Cependant, sous la pression de l'aile gauche du Parti radical dirigée par Daladier, il doit démissionner deux ans plus tard. L'échec d'une nouvelle expérience gouvernementale en 1932 et les contestations du groupe réformateur des « Jeunes Turcs » achèvent de donner de lui l'image d'un homme attaché à des valeurs révolues. Ministre dans plusieurs cabinets de droite au lendemain du 6 février 1934, réservé à l'égard du Front populaire, il est néanmoins élu président de la Chambre des députés en juin 1936. Antimunichois, il s'abstient pourtant lors du vote des pleins-pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, après avoir soutenu Reynaud dans l'espoir de sauver la IIIe République. Son attitude durant l'Occupation sera faite d'hésitations, ce qu'explique notamment son incapacité à rompre avec une version légaliste de la politique, et, donc, à se rapprocher du général de Gaulle.

Exilé dans un sanatorium à Berlin en août 1944, Herriot retrouve la mairie de Lyon à son retour en 1945, ainsi que la présidence honorifique du Parti radical. Par ailleurs, président de l'Assemblée nationale de 1947 à 1954, impuissant à endiguer le déclin du parlementarisme jadis triomphant, Édouard Herriot continue de symboliser, aux yeux de ses contemporains, une IIIe République déshonorée par la défaite de 1940.

Hetzel (Jules),

homme de lettres (Chartres 1814 - Monaco 1886).

Éditeur dont la carrière fut interrompue par huit ans d'exil (1851-1859), Hetzel mêle les éditions de luxe aux « livraisons à quatre sous », « la littérature pour les mioches » aux textes littéraires, savants ou politiques, accordant toujours une grande importance à l'image.

Commis de librairie chez A. Paulin en 1836, Hetzel devient son associé en 1838. Outre son aptitude à saisir l'air du temps, il apporte soin et talent au choix des textes, des illustrations et à la fabrication des livres (cartonnages). L'appui financier de Furne, Dubochet et Paulin, et un important fonds religieux lui permettent de devenir indépendant en 1842. En février 1848, il se lance dans la révolution : chef de cabinet de Lamartine, Hetzel ne verra pas son rêve républicain survivre aux émeutes de juin. Exilé après le coup d'État du 2 décembre 1851, il rencontre Hugo à Bruxelles, fait publier Napoléon-le-Petit avant d'éditer les Châtiments dans la clandestinité. Auteur lui-même et traducteur - sous la signature de P.-J. Stahl -, il collabore avec les plus grands illustrateurs : Grandville (Scènes de la vie privée et publique des animaux, 1842), Gavarni (Œuvres choisies, 1846 ; le Diable à Paris), Tony Johannot (le Voyage où il vous plaira), Cham, Bertall, puis Doré (les Contes de Perrault, 1861), Schuler, Frœlich (Albums de Mademoiselle Lili), Riou, Neuville. Au moment de lancer les séries du Diable à Paris, du Magasin des enfants (devenu en 1864 le Magasin d'éducation et de récréation), Hetzel publie la Comédie humaine de Balzac (1842) et participe à la célèbre préface. Il édite, entre autres, les œuvres de Sue, Dumas, Nodier, Janin, Musset, Gautier, Stendhal, Hugo, Sand, Erckmann-Chatrian (le Conscrit de 1813), Daudet, Reclus, Karr, Proudhon, A. Laurie, Stevenson (l'Île au trésor, 1884) et, en 1862, Cinq semaines en ballon, le premier des 56 volumes des Voyages extraordinaires de Jules Verne (plus de mille éditions). Hetzel est alors tel que l'a saisi Gavarni : foulant Paris aux pieds, il règne en monarque diabolique et génial sur les auteurs et illustrateurs qui font le XIXe siècle.