appelé anciennement cimetière de l'Est. Situé sur l'ancienne résidence d'été des jésuites où le Père de La Chaise, confesseur de Louis XIV, avait sa maison, il est l'un des trois cimetières généraux parisiens « hors les murs » - avec ceux de Montmartre et Montparnasse - dont l'établissement avait été envisagé sous l'Ancien Régime pour répondre à l'insalubrité des cimetières paroissiaux.
Son inauguration, en 1804, coïncide avec la publication du décret du 23 prairial an XII qui met fin au régime millénaire des traditions funéraires : le cimetière extra-urbain remplace le sanctuaire apud ecclesiam ; d'exceptionnelle, la sépulture particulière devient la règle commune ; la forme du jardin s'impose ; l'administration du cimetière est confiée à l'autorité municipale.
Si elle répond d'abord à une préoccupation hygiéniste et rationaliste, cette réglementation exprime surtout une laïcisation des funérailles et un nouveau rapport entre les vivants et les morts, dont le cimetière du Père-Lachaise, dès sa fondation, constitue le modèle. Ses promoteurs, le préfet de la Seine Frochot et l'architecte Brongniart, lui assignent une triple fonction : galerie des morts illustres (Molière, La Fontaine, Beaumarchais y sont transférés dès 1817), espace scénographique du souvenir, et parc-promenade. Bien que l'extension de la ville ait fini par englober le cimetière « hors les murs » dans l'espace urbain (1859), le Père-Lachaise est d'abord un musée-jardin conforme à l'esthétique des ruines chère au XVIIIe siècle. Cependant, son rapide succès auprès de la haute société transforme dès 1823 le parc à l'anglaise primitif de 17 hectares en vaste glyptothèque de 44 hectares, où rivalisent les styles égyptien, romain, gothique et la forme chapelle. Consacré à la religion laïque du souvenir, il n'en échappe pas moins aux turbulences politiques du XIXe siècle : lieu de ralliement des libéraux en 1820, de protestation lors de funérailles patriotiques (celles de Victor Noir, en 1870), il sert de dernier bastion aux fédérés durant les combats de mai 1871 (147 d'entre eux, acculés contre le mur est, y sont fusillés, et plus de mille inhumés sur place). Mais ce haut lieu du martyrologe communard est aussi un gotha minéralisé : depuis sa création, il accueille la plupart des gloires durables ou éphémères de l'art, de la politique et du spectacle. Aussi, sa visite, offerte dès 1836 à la curiosité par une brochure touristique, appelle-t-elle autant la contemplation d'une théâtralité funéraire qu'une lecture plurielle : celle des archives d'une histoire intime et collective, celle de la généalogie d'une sensibilité, ou encore - Rastignac ne s'y était pas trompé - celle de l'envers de la comédie humaine.