Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
P

Pétain (Philippe),

maréchal de France, chef de l'État vichyssois - l'« État français » - de 1940 à 1944 (Cauchy-à-la-Tour, Pas-de-Calais, 1856 - île d'Yeu, Vendée, 1951).

Un « grand chef militaire », révélé par la Grande Guerre.

• Issu d'une famille paysanne aisée de tradition conservatrice, Philippe Pétain est reçu à l'école d'officiers de Saint-Cyr, dont il sort en 1878. Admis à l'École de guerre, dont il suit les cours entre 1888 et 1890, il y professe entre 1901 et 1907. Mais son enseignement sur l'infanterie, qui met l'accent sur l'importance de la notion de puissance de feu, paraît en contradiction avec la doctrine de l'offensive à tout prix alors en vogue dans les hautes sphères militaires. Colonel depuis 1910, nommé à la tête de la 4e brigade d'infanterie en mars 1914, il n'a gravi que lentement les échelons de la carrière militaire. Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, il bénéficie des promotions décidées par le généralissime Joffre pour remplacer de nombreux officiers rendus responsables des revers survenus durant la phase de la « bataille des frontières » (19-23 août 1914) : Pétain est nommé général de brigade le 27 août, puis général de division le 14 septembre. Cet avancement, particulièrement rapide, distingue un officier dont les qualités ont été révélées sur le champ de bataille - « ténacité, calme au feu, constante intervention dans les moments difficiles », selon les termes d'une citation dont il est honoré en septembre 1914.

Nommé général de corps d'armée en octobre 1914, puis général d'armée en juin 1915, Pétain participe à la stratégie offensive destinée à aboutir à la percée du dispositif ennemi, notamment lors de la bataille de Champagne, en septembre 1915 : tacticien brillant, il remporte des succès ponctuels mais sans lendemain, le rapport des forces interdisant d'envisager tout résultat déterminant. Ces opérations, inutilement meurtrières, mettent en valeur, aux yeux du fantassin qu'est Philippe Pétain, l'importance du matériel et la prise en compte du moral des combattants, soumis à des conditions d'existence d'une exceptionnelle dureté. Nommé commandant du secteur fortifié de Verdun le 24 février 1916 - trois jours après le déclenchement de l'attaque allemande -, il gagne sa réputation de grand chef militaire dans cette bataille défensive : la protection dont est entourée la « Voie sacrée », qui relie Verdun à Bar-le-Duc, permet d'assurer l'approvisionnement et la relève des troupes par le système de la « noria » (la plupart des unités françaises participent ainsi à la bataille). Ces mesures touchant la logistique comme le moral des soldats sont bien le fruit de ses initiatives. Sa nomination comme commandant du groupe d'armées du Centre, le 2 mai 1916, apparaît comme une promotion, mais elle est aussi le signe de son désaccord avec Joffre : ce dernier envisage de prélever des unités pour mener une action offensive dans la Somme, alors que Pétain reste partisan d'une priorité donnée à la défensive.

Après l'échec de l'offensive de la Somme et la mise à l'écart de Joffre, le nouveau commandant en chef, le général Nivelle, tente, en avril 1917, dans le secteur du Chemin des Dames, une percée qui devait être rapide et décisive, mais qui échoue totalement. Aussi, Pétain est-il nommé en remplacement, le 15 mai 1917, alors que se déclenchent les mutineries de soldats excédés par ces offensives inutilement sanglantes. Le nouveau commandant en chef réprime le mouvement de rébellion avec un minimum de sanctions et se préoccupe du sort matériel des combattants en améliorant les tours de permission et en assurant un meilleur confort dans les cantonnements. Surtout, plutôt que de chercher une irréalisable rupture frontale, il préconise de contenir l'avance allemande, tout en mettant l'accent sur la nécessité, avant toute nouvelle tentative offensive, d'une modification du rapport de forces en faveur des Alliés, grâce à l'emploi d'armes nouvelles (les chars) et à l'arrivée des troupes américaines. Cette redéfinition de la stratégie, ce souci d'épargner les hommes, constituent, avec le commandement de Verdun, les principaux titres de gloire de Pétain pendant la Grande Guerre. Si, en 1918, le commandement unique des forces alliées est confié au général Foch, réputé plus « optimiste » et plus offensif que lui, ce sont bien ses vues sur la supériorité en hommes et en matériel qui permettent le refoulement méthodique des troupes allemandes à partir de juillet 1918 et le dénouement - survenu le 11 novembre 1918 (signature de l'armistice).

Du militaire au politique.

• Élevé le 19 novembre 1918 à la dignité de maréchal de France, Philippe Pétain joue durant l'entre-deux-guerres un rôle essentiel dans la définition de la politique militaire du pays. Vice-président du Conseil supérieur de la guerre en janvier 1920, inspecteur général de l'armée en 1922, il est conduit à élaborer une stratégie défensive qui correspond aux vœux des hommes politiques, conscients de l'épuisement démographique du pays, et aux souhaits de l'opinion, pénétrée de pacifisme. Si ses conceptions sont moins statiques qu'on ne l'a dit - il s'intéresse au rôle de l'aviation et envisage un système défensif n'excluant pas la mobilité en vue d'une éventuelle contre-offensive -, il participe de très près à l'élaboration de la ligne défensive « Maginot », ensemble de fortifications érigées entre 1930 et 1935 le long de la frontière franco-allemande. Sur sa recommandation, la ligne ne s'étend pas à la zone du Massif ardennais, qu'il juge « infranchissable » par les chars. Quand, en 1931, le maréchal cède au général Weygand la vice-présidence du Conseil supérieur de la guerre, tout en conservant pour trois ans encore - il a 75 ans - la charge d'inspecteur général de la défense aérienne, son influence reste considérable sur le haut commandement et les milieux dirigeants du pays.

À la suite de l'émeute du 6 février 1934, le nouveau président de Conseil, Gaston Doumergue, animé du souci de réaliser l'unanimité nationale et de se concilier les anciens combattants, demande au maréchal d'accepter la charge de ministre de la Guerre. Pétain passe alors pour un officier républicain : il a, de fait, toujours observé en matière politique la plus grande prudence, respectant en cela la tradition républicaine qui fait de l'armée la « grande muette ». Préoccupé au premier chef par les aspects techniques de sa fonction, le maréchal n'hésite pas, toutefois, à aborder la question du « redressement moral » du pays, et particulièrement de sa jeunesse, qu'il estime influencée de manière nocive par un corps enseignant jugé par lui beaucoup trop pacifiste : il est, en cela, proche de la droite conservatrice. Le renversement de Doumergue, en novembre 1934, à la suite de l'échec du projet de réforme de l'État, renforce sa méfiance envers le régime parlementaire et l'incite à opposer un refus à Flandin, successeur de Doumergue. Cité parfois comme un recours dans certains milieux de droite, il conserve une attitude circonspecte, acceptant seulement d'assurer, à la demande d'Édouard Daladier, la fonction d'ambassadeur auprès du général Franco, après la reconnaissance par la France du gouvernement du Caudillo en 1939.