Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
V

Vercingétorix, (suite)

Quant à la légitimité de Vercingétorix, César insinue - dans le contexte de guerre civile larvée que connaît Rome à cette époque - qu'elle ne repose pas sur sa naissance mais sur l'intrigue et la manipulation ; l'aristocrate romain insiste aussi sur la cruauté du chef arverne, qui châtie durement les récalcitrants et obtient par la terreur certains ralliements. Ainsi s'expliquerait d'autant mieux cette révolte générale, qui marque d'abord l'échec grave de la politique de pacification, par les armes et la diplomatie, menée jusque-là par César.

Mais Vercingétorix fait aussi montre de réelles qualités de tacticien. Conscient de la faiblesse manœuvrière des armées gauloises en rase campagne, face à des légions romaines aguerries, il instaure - et c'est sans doute l'une des premières fois dans l'histoire - une politique de « terre brûlée ». Villages, fermes, champs et même oppidums du pays biturige (l'actuel Berry) sont détruits par le feu, privant César de tout ravitaillement. Néanmoins, sensible aux supplications des Bituriges, qui estiment leur capitale imprenable, il laisse intact l'oppidum fortifié d'Avaricum (l'actuelle Bourges). César profite de l'erreur et, après avoir ravagé et incendié Cenabum, foyer de la révolte, il met le siège devant Avaricum en mars et prend la ville au bout d'un mois. Presque tous les habitants sont massacrés, mais les légions romaines sont à nouveau ravitaillées.

L'erreur d'Alésia.

• Ces événements n'incitent guère les autres peuples gaulois à la reddition : même les Éduens, pourtant « amis et frères du peuple romain », jusque-là les plus fidèles alliés de César, rejoignent la révolte. « La cupidité excite les uns, les autres obéissent à leur comportement naturel et à la légèreté qui est le trait dominant de la race », commente César, mortifié (De bello gallico, VII, 42), avec une indéniable mauvaise foi. César tente ensuite de prendre Gergovie, la capitale des Arvernes, mais échoue. Dans le même temps, les Éduens s'emparent de tous les bagages, vivres et otages que César avait laissés en confiance dans l'une de leurs places fortes, Noviodunum. La défection des Éduens donne l'ultime signal d'une révolte générale à laquelle tous les peuples gaulois se joignent, à l'exception des Rèmes et des Lingons, restés fidèles à Rome, et des Trévires, trop éloignés. Les Éduens tentent même, en vain, de ravir le commandement suprême à Vercingétorix, qui est confirmé dans sa fonction lors d'une assemblée des peuples gaulois réunie à Bibracte (il semble d'ailleurs que son nom même, « roi des héros », soit plus un titre qu'un patronyme).

Ainsi, au milieu de l'été 52, il ne reste plus à César qu'à tenter de gagner, si possible en bon ordre, la Narbonnaise, province romaine du midi de la Gaule. Vercingétorix cherche à le harceler et à l'affamer, tandis qu'il lance une offensive, infructueuse, contre cette province. Il commet alors l'erreur, souvent commentée, d'attaquer l'armée romaine frontalement. Défait, il se replie dans un oppidum voisin, Alésia, sur le territoire des Mandubiens, dans l'actuelle Côte-d'Or. Tirant immédiatement parti de ce retournement inattendu, César entreprend le siège méthodique de la place forte ; il fait édifier les fameuses lignes de circonvallations, combinaison continue, sur 15 kilomètres de circonférence, de fossés, tours, palissades, trous, pièges, etc. L'armée de secours, qui aurait réuni près de 250 000 hommes face aux 50 000 soldats romains, arrive au bout de quatre semaines, mais elle est finalement mise en déroute. Il ne reste plus aux assiégés, affamés, qu'à se rendre. « Vercingétorix, dit César, convoque l'assemblée : il déclare que cette guerre n'a pas été entreprise par lui à des fins personnelles, mais pour conquérir la liberté de tous ; puisqu'il faut céder à la fortune, il s'offre à eux, ils peuvent, à leur choix, apaiser les Romains par sa mort ou le livrer vivant. On envoie à ce sujet une députation à César. Il ordonne qu'on lui remette les armes, qu'on lui amène les chefs des cités. Il installe son siège au retranchement, devant son camp ; c'est là qu'on lui amène les chefs ; on lui livre Vercingétorix, on jette les armes à ses pieds » (De bello gallico, VII, 89).

L'ensemble de la garnison est réduit en esclavage, à l'exception des Arvernes et des Éduens, dont César, conscient de leur puissance politique, ne désespère pas de retrouver les bonnes grâces. Il prend ensuite ses quartiers d'hiver à Bibracte (mont Beuvray), capitale des Éduens, et y rédige le De bello gallico. Quant à Vercingétorix, après six années de cachot à la prison Mamertine, à Rome, il figure au triomphe du dictateur dont il suit le char enchaîné et à pied, avant d'être étranglé.

Réalité historique et mythe national.

• Ainsi, le rôle historique de Vercingétorix n'aura pas excédé quelques mois. César nous décrit, on l'a vu, ses traits les plus sombres : cruauté et manipulation. Ses qualités stratégiques et politiques n'apparaissent qu'indirectement, dans l'allusion aux revers successifs subis par le proconsul. Même sa reddition, qui dans nos livres d'images ne manque pourtant pas de panache, est « expédiée » en quelques courtes phrases, rédigées à la forme passive : « Vercingétorix est livré [deditur] », et ses ultimes paroles sont rapportées au style indirect. L'historien grec Dion Cassius, qui écrit deux siècles plus tard mais a peut-être bénéficié de sources indépendantes, relate que Vercingétorix aurait d'abord servi dans les campagnes de César et que les deux hommes se connaissaient. Ainsi s'expliquerait la vindicte de César, dont Christian Goudineau a remarqué qu'elle s'appliquait particulièrement à ceux qui l'avaient « trompé », c'est-à-dire confronté à ses propres erreurs.

Pour le reste, c'est la sobriété même du récit césarien qui autorise toutes les interprétations. Vercingétorix n'eut jamais à jouer le rôle d'un homme d'État. Il fut placé presque par hasard à la tête d'une coalition dont la cause essentielle était l'exaspération des différents peuples gaulois - une soixantaine d'États indépendants se partageaient alors le territoire de la Gaule - à la suite de six années d'exactions. L'année précédente encore, César avait méthodiquement ravagé le territoire de plusieurs peuples belges et fait exécuter publiquement, dans les supplices, le chef gaulois Acco, coupable de conjuration.