Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Contre-Révolution, (suite)

À l'intérieur du pays, leur influence reste grande, grâce à des journaux, tels l'Ami du roi ou la Gazette de Paris, qui font connaître leurs positions et ridiculisent les mutations révolutionnaires. Ils sont en relation avec des agitateurs - Froment dans le Midi, La Rouërie en Bretagne - qui poussent les mécontents à l'insurrection. Ils tentent d'infléchir la politique étrangère des souverains européens, pour les amener à déclarer la guerre à la France, et restaurer la monarchie absolue. Jusqu'en 1792, ils n'obtiennent que des résultats limités, mais ils réussissent, cependant, à rassembler autour d'eux tous les déçus de la Révolution et à radicaliser les luttes politiques. La guerre que la France déclare à l'Autriche (20 avril 1792) et à la Prusse représente pour eux une opportunité. L'armée des émigrés, sous les ordres de Condé, entre dans les provinces de l'Est. Leur désunion, leur volonté de revenir à la situation d'avant 1789, leur médiocre valeur militaire, ne leur permettent pas, toutefois, de jouer le rôle qu'ils espéraient, et ils doivent rentrer en Allemagne, après la bataille de Valmy. Déconsidérés, divisés en groupes rivaux, progressivement rejetés par les populations locales, ils rencontrent des difficultés croissantes, alimentées par les victoires régulièrement remportées par les troupes révolutionnaires. Les émigrés, dont les frères du roi, doivent s'enfoncer à l'intérieur de l'Europe, perdant prestige et argent, dépendant de plus en plus du bon vouloir des souverains étrangers - l'Angleterre, partisane d'une royauté parlementaire, leur est hostile -, abandonnant peu à peu l'espoir d'une restauration rapide de la monarchie par les armes. Cependant, ils demeurent mobilisés dans une lutte quotidienne, par tous les moyens, contre la France révolutionnaire. En 1795, les échecs des débarquements de Quiberon et de l'île d'Yeu, ainsi que de l'insurrection royaliste à Paris, sonnent le glas de leurs espérances. Les réseaux d'espionnage - notamment autour du comte d'Antraigues - et d'agitation occupent une place prépondérante dans leurs activités, mais le recours au jeu politicien n'est pas exclu, comme l'atteste l'action du Club de Clichy. Le comte de Provence se proclame roi, sous le nom de Louis XVIII, à la mort du dauphin dans la prison du Temple (8 juin 1795) ; mais le régime républicain, secoué par des coups d'État, résiste. La politique de Bonaparte confirme la rupture révolutionnaire. Politiquement, la Contre-Révolution nobiliaire échoue à reconquérir le pouvoir avant 1814.

Réfractaires et mécontents

• . Mais l'appui le plus indéfectible à la Contre-Révolution est apporté par les mécontents de tous bords qu'engendre la Révolution, et dont les principales cohortes se composent de membres du clergé réfractaire au serment, à partir de 1791. Ce ralliement est essentiel, puisque la cause de la monarchie absolue fait corps avec la défense de la catholicité : une alliance qui constituera l'un des axes de la vie politique française au XIXe siècle. Même si la majorité des prêtres partent en exil, une minorité plus ou moins active cristallise l'opinion, notamment dans l'Ouest insurgé. À partir de 1792, le deuxième groupe d'opposants s'organise dans les campagnes, refusant les mesures économiques et religieuses de la Révolution. La Contre-Révolution spontanée connaît son apogée avec la guerre de Vendée, les chouanneries bretonne et normande, les agitations rurales dans le sud et l'est du Massif central. Ces soulèvements se politisent rapidement et composent, à partir de 1794, la Contre-Révolution populaire, qui tient nombre de campagnes, et dont la trace perdure au XIXe siècle. Les élections de 1795 montrent que les idées contre-révolutionnaires influencent la majorité des Français. Les contre-révolutionnaires exploitent également le refus des mesures montagnardes exprimé par les Lyonnais ou les Toulonnais en canalisant les insurrections et en leur donnant une tonalité royaliste.

Les exclus de la Révolution

• . À ces groupes hétéroclites, unifiés par leur lutte acharnée contre les principes révolutionnaires, le terme « Contre-Révolution » adjoint les révolutionnaires modérés - feuillants, monarchiens -, rejetés par leurs rivaux plus radicaux. Les « patriotes » qui refusent la violence populaire, tel Jean-Joseph Mounier, abandonnent le pouvoir et émigrent : ils sont considérés comme des contre-révolutionnaires par les hommes demeurés au pouvoir. Mais ils ne sont pas pour autant acceptés par les contre-révolutionnaires avérés, qui leur reprochent leur réformisme initial et leur volonté de conserver une monarchie parlementaire. À cet égard, la trajectoire du général La Fayette est exemplaire : patriote reconnu, mais qui échoue dans sa tentative de contenir la Révolution, il passe à l'étranger en 1792 ; les Autrichiens l'incarcèrent alors pendant cinq ans, à la demande des émigrés. En 1793, quelques révolutionnaires « fédéralistes » mis en difficulté par les montagnards intègrent les rangs de la Contre-Révolution ; l'un d'eux, Puisaye, réussit à devenir commandant de la chouannerie bretonne. Après 1795, les contre-révolutionnaires entreprennent d'attirer dans leur camp des notabilités révolutionnaires déçues par la tournure des événements, tels Carnot ou le général Pichegru.

Du « fourre-tout » à la Contre-Révolution théorisée

• . Ainsi, la Contre-Révolution n'a pas formé un bloc, mais elle a rassemblé, selon les époques, des courants plus ou moins convergents, sans réelle unité. Cette hétérogénéité correspond à l'usage du mot dans le cours même de la Révolution. Le terme « Contre-Révolution » est forgé pour exclure les opposants et les stigmatiser. Hormis les militants hostiles à toute réforme, rares sont ceux qui auront revendiqué l'appellation. En revanche, la qualification de « Contre-Révolution » est employée pour retrancher de la communauté nationale les éléments susceptibles d'en rompre l'unité recherchée. L'adéquation du mot avec la réalité idéologique compte moins que les rivalités et les calculs. Ainsi, l'ostracisme dont les patriotes modérés sont frappés par les jacobins en 1790-1791 les incite à émigrer, alors qu'ils n'arriveront jamais à s'intégrer aux réseaux de la Contre-Révolution active. De même, les ruraux de l'Ouest insurgés en 1793 procèdent plus d'un courant antirévolutionnaire que vraiment contre-révolutionnaire. Mais leur proximité avec d'authentiques militants de la Contre-Révolution - autant que le refus de toute concession de la part des autorités révolutionnaires - les conduira à soumettre leurs objectifs aux visées idéologiques des contre-révolutionnaires avérés. Ainsi, de façon paradoxale mais logique dans le cours des affrontements politiques, les girondins et les fédéralistes de l'été 1793 sont assimilés à la Contre-Révolution, ce qui conduit une partie d'entre eux en prison ou à la mort, avant qu'ils soient réhabilités après la chute de Robespierre. Enfin, cet usage du mot explique que l'Incorruptible ait pu accuser les hébertistes, représentants extrémistes des sans-culottes, d'être contre-révolutionnaires, parce qu'ils étaient athées, et soupçonnés de recevoir de l'argent du gouvernement anglais. Le mot « Contre-Révolution » a donc désigné, jusqu'en 1794, un ensemble de plus en plus incohérent et de moins en moins précis d'opposants aux hommes en place.