Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Renaissance. (suite)

De multiples interrogations subsistent encore quant aux limites chronologiques de la période désignée, voire quant à la pertinence d'une telle coupure, surtout depuis qu'avec le double succès, très français, de l'histoire médiévale et de l'histoire économique, certains vont jusqu'à postuler un « long Moyen Âge » qui durerait jusqu'à la révolution industrielle du XIXe siècle. Il n'en reste pas moins que, dès le XVsiècle, lettrés et artistes français - et ce, jusqu'à la fin du XVIe siècle - ont conscience d'appartenir à une génération dont la vision du monde rompt avec un passé défini souvent comme « gothique ».

Spécificité française et nouvelle vision du monde.

• Plus religieuse et moins laïque qu'on ne l'a souvent dit, plus précoce que l'on a longtemps voulu le croire, sans doute plus liée à la tradition médiévale autochtone et moins fascinée par l'Antiquité que son homologue italienne, la Renaissance française possède des caractéristiques propres. Tout en restant redevable à l'humanisme transalpin - mais aussi flamand, à commencer par l'œuvre d'Érasme - ainsi qu'aux artistes découverts durant les guerres d'Italie, les protagonistes de la Renaissance française savent en effet se rappeler l'enracinement de la culture nationale dans une brillante tradition médiévale liée à la translatio studii, chère à l'Université parisienne ou aux écoles cathédrales.

La critique du concept de « renaissance » tient souvent à sa réduction au domaine littéraire et artistique : il est certain que le phénomène est avant tout culturel et « élitiste », la Renaissance ne concernant, de prime abord, qu'une infime partie de la population : les « savants » et leurs mécènes. Toutefois, cette affirmation mérite d'être nuancée si l'on songe aux implications beaucoup plus générales que comportent les mutations en cours, durant cette période, quant à la place de l'homme, à la conception du temps et de l'espace, aux formes de transmission du savoir ou au rapport avec le divin. Ainsi, on sait bien que l'humanisme replace l'homme au centre du monde et confère un rôle essentiel à l'éducation des individus. De même, la perspective à point central réorganise l'espace de la représentation, et l'architecture nouvelle fait redécouvrir un plaisir de l'habitat où l'ordre n'est pas seulement fonctionnel. L'émergence de la langue vulgaire donne peu à peu à la littérature nationale ses lettres de noblesse, et au royaume un instrument indispensable d'unification administrative (édit de Villers-Cotterêts). Les traités de comportement, à la suite du Courtisan de Castiglione, diffusent une sociabilité plus policée. L'omniprésence de la guerre favorise une pensée du politique et des rapports entre États plus pragmatique et laïque. C'est ainsi, sinon l'ensemble du royaume, au moins une bonne part de la société urbaine qui est dès lors concernée. Le nouveau goût, loin d'être confiné dans des cercles savants, parisiens ou courtisans, irrigue les provinces les plus lointaines grâce, entre autres, au développement de l'imprimerie (pour laquelle Lyon, ville-frontière et ville-pont avec la culture italienne, joue un rôle essentiel) et à un système de commandite où les gens de robe ne sont pas les moins actifs.

Les raisons de l'expérience.

• Percevant la rupture comme positive, lettrés et artistes reconnaissent une singularité radicale à l'auteur et à son œuvre, unique parce qu'humaine, humaine parce qu'unique. À cet égard, il serait erroné de conférer un poids excessif à l'imitation de l'Antiquité : le modèle est digne d'admiration mais il convient d'insuffler une nouvelle vie à ces exemples lointains et livresques, qu'il s'agisse des dialogues de Platon ou du traité de Vitruve, de la poésie d'Ovide, des comédies de Plaute ou des tragédies de Sénèque. L'objectif ne paraît pas inaccessible parce que les hommes de la Renaissance entendent, à tout moment, s'appuyer sur une « méthode », qui mesure toute création à l'aune de la « raison », et sur une « expérience », qui est intimement liée à la théorie. Ils diffusent ainsi une confiance optimiste en des temps nouveaux, riches de promesses et d'inventions à venir. La découverte d'un autre continent en est l'exemple le plus évident - et pas le moins productif pour la pensée -, par le décentrement anthropologique qu'il favorise et les questionnements qu'il suscite. Il est difficile aujourd'hui d'enfermer l'analyse de la Renaissance dans les catégories idéalistes ou formelles telles qu'elles ont été établies au XIXe siècle - à l'instar de Burckhardt ou de Wölfflin - et il est encore plus malaisé de n'y voir qu'une brillante illustration du progrès inéluctable d'une « humanité » tolérante, libérale et pacifique. Il convient aussi de mettre l'accent sur la géographie des Renaissances nationales, à travers les caractéristiques et les rythmes différents selon les pays, surtout en France, où pèse la continuité monarchique. Ce temps est également, il est vrai, celui des inquiétudes religieuses, de la Réforme et, bientôt, des luttes acharnées des « guerriers de Dieu ». Toutefois, au-delà des ambiguïtés et des contradictions, malgré l'absence d'un corps doctrinal cohérent, se dessine au fil de ces deux siècles une posture inédite, entraînant avec elle une nouvelle perception et, de ce fait, un nouveau gouvernement des signes, des choses, des mots ou des hommes. Premier moment de l'histoire où sont pensées radicalement les ruptures et les distinctions entre les « époques », et où bascule du même coup la relation de l'homme avec son passé et sa tradition, la Renaissance permet ainsi, entre autres, de considérer dans leur spécificité le classicisme du siècle suivant et l'organisation moderne de l'État français.

Renan (Ernest),

écrivain et philologue (Tréguier, Côtes-d'Armor, 1823 - Paris 1892).

Le principal représentant de l'« antichristianisme » français du XIXe siècle est un pur produit de l'éducation ecclésiastique. Fils d'un capitaine au long cours, orphelin à 5 ans, élève des petits séminaires de Tréguier et de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, il entre en 1841 à Saint-Sulpice, où l'abbé Le Hir l'initie à l'hébreu et au syriaque. Il quitte le séminaire en octobre 1845, rompt avec la foi chrétienne et se lie aux milieux positivistes (l'Avenir de la science, rédigé en 1848, publié en 1890). Il achève sa formation philologique auprès d'Eugène Burnouf et s'impose comme un spécialiste des langues sémitiques. Élu dès 1856 à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, il accomplit une mission en Syrie, où meurt sa sœur et collaboratrice Henriette Renan (1861). Professeur d'hébreu au Collège de France (1862), il voit son cours aussitôt suspendu pour avoir qualifié le Christ d'« homme incomparable ». La publication de sa Vie de Jésus (1863), exégèse rationaliste et critique des Évangiles, fait scandale, mais assure la célébrité de son auteur. Destitué de sa chaire, Renan entreprend la rédaction d'une Histoire des origines du christianisme (1863-1887). Il se rallie à l'Empire libéral, qui lui restitue ses fonctions ; cependant, la défaite de Sedan lui inspire le programme de restauration nationale de la Réforme intellectuelle et morale (1871). Membre de l'Académie française (1878), administrateur du Collège de France (1883), il publie encore une Histoire du peuple d'Israël (1887-1893) et de subtils Souvenirs d'enfance et de jeunesse (1883).