Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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propriété (droit de), (suite)

Un droit contrôlé.

• Dans la première perspective, doctrine et jurisprudence s'allient pour faire triompher, au début du XXe siècle, la théorie de l'abus des droits. Celle-ci reconnaît que le propriétaire, bien que titulaire d'un droit légitime, peut, dans l'exercice de celui-ci, commettre une faute engageant sa responsabilité. Plus tard, sans prétendre sanctionner le moindre abus mais afin de protéger les intérêts du corps social, le législateur, dans maintes circonstances, restreint encore les prérogatives du propriétaire. Les exemples foisonnent : en droit rural, avec l'organisation par la loi du 13 avril 1946 du droit de préemption et du maintien dans les lieux au profit du preneur ; en matière de logement urbain où, pour faire face à la crise survenue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la loi édicte un véritable code des loyers avec fixation impérative des prix et des conditions du bail. Depuis, les textes renforçant les droits du locataire au détriment de ceux du propriétaire n'ont fait que se multiplier.

Parallèlement, et pour les mêmes motifs, on a jour après jour reconsidéré l'objet du droit. Si la propriété est une fonction sociale, certains biens, en effet, par nature, doivent être exclus de l'appropriation individuelle. Aussi, la Constitution de 1946 stipule-t-elle dans son préambule - repris par la Constitution de 1958 - que « tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». Au nom de ces principes, houillères, entreprises de gaz, d'électricité, régie Renault, sont nationalisées. À partir de 1981, les mêmes principes produisent les mêmes effets, jusqu'à ce qu'en 1986 le libéralisme redevienne à la mode et justifie, dès 1993, une vague de privatisations : flux et reflux du mouvement attestent la liaison - toujours intime - entre propriété et idéologie.

Un droit sans cesse renouvelé.

• Que reste-t-il du droit de propriété ? De son absolutisme, peu de chose. En effet, outre sa limitation par l'abus, le droit de propriété s'est morcelé : le monarque d'antan est devenu copropriétaire (10 juillet 1965) puis multipropriétaire (3 janvier 1986) ; son droit absolu est devenu jouissance ... un peu comme autrefois. De son exclusivisme, il reste également peu de chose. Les réglementations publiques, toujours plus minutieuses (urbanisme, environnement...), amputent régulièrement les prérogatives et la liberté du propriétaire. Quant à la perpétuité de la propriété, elle est aussi remise en cause par le caractère consomptible de plus en plus accusé des biens qui en sont l'objet. Mais, tandis que les attributs du droit s'amenuisent, tandis que certains biens sont exclus de l'appropriation privée, d'autres les remplacent. Biens incorporels pour l'essentiel : fonds de commerce, droits d'auteur, brevets d'invention, dessins et modèles..., sans oublier les biens mobiliers, dont le développement a contraint le législateur à renforcer la protection.

Aujourd'hui, la propriété n'est plus seulement foncière, elle est aussi mobilière ; elle n'est plus surface, elle est également espace ; elle n'est pas exclusivement bourgeoise, elle a éclaté pour se démocratiser. Elle est diffusée partout, et son histoire est loin d'être achevée.

prostitution.

La prostitution est aujourd'hui considérée, par certains, comme un fléau social, alors que les sociétés anciennes l'ont tolérée, voire organisée.

Si, dans l'Orient antique, des chefs de famille offraient les femmes de la maison à leurs hôtes, la Grèce et Rome tentèrent de limiter la prostitution à des quartiers urbains circonscrits afin de préserver la moralité des familles. La prostitution était cependant jugée nécessaire, particulièrement pendant le Moyen Âge.

Une prostitution garante de l'ordre social.

• Si les sources de l'époque « barbare » sont très lacunaires sur le sujet, il n'en est pas de même pour le reste du Moyen Âge : les chercheurs d'aujourd'hui abordent l'histoire de la prostitution par le biais des édits royaux, mais aussi à travers des documents municipaux, judiciaires ou notariés et des miniatures de manuscrits.

Aux XIe et XIIe siècles, la prostitution est plus ou moins contrôlée par l'Église ; au XIIIe siècle, elle est boutée hors de la ville, sans que les prostituées encourent de peines. Tout change aux XIVe et XVe siècles lorsque les « malheurs des temps » (peste, guerres, famines, etc.) amènent à la ville de nombreuses filles de la campagne, venues chercher un emploi ou cacher une grossesse accidentelle, consécutive à un viol le plus souvent. Les statuts de ville réglementent alors la prostitution : des quartiers ou pâtés de maisons sont réservés aux prostituées ; les bains publics et tavernes ne doivent pas se trouver à proximité d'une église, et les « bordelages », dirigés par une « abbesse », recueillent les filles mères ou des veuves dans l'impossibilité de subvenir à leurs besoins ; des lois somptuaires leur interdisent de se vêtir comme les honnêtes femmes, de manière à éviter des confusions : leurs vêtements doivent avoir une certaine longueur ou couleur. C'est l'époque d'une véritable institutionnalisation de la prostitution. Un rôle social important lui est conféré : sortir de la misère quelques marginales, mais surtout endiguer les violences sexuelles des célibataires, limiter la sodomie et l'adultère. Le prostibulum publicum devient un lieu de sociabilité cimentant les groupes d'âges et les groupes sociaux. Aussi, les filles reconquièrent-elles les centres villes et des consuls font-ils construire des bordels sur les deniers publics (Tarascon, en 1357 ; Castelnaudary, en 1445).

Le temps de l'exclusion.

• Les mentalités évoluent au XVIe siècle et, certains facteurs d'équilibre ayant disparu, la prostitution, ou plutôt ce qu'elle engendre (jeux, meurtres, etc.), finit par incommoder et par être considérée comme amorale. À cause de ces débordements, la fonction sociale de la « fille bordeleuse » ou « amoureuse » est oubliée. « Filles de joie », de plus en plus souvent maquerellées par leur famille pour faire face à une paupérisation excessive, et riches courtisanes nouvellement apparues, qui trouvent clientèle et protecteur auprès des plus fortunés (ainsi Agnès Sorel avec François Ier), s'attirent la vindicte des prédicateurs, qui haranguent les foules urbaines. La population demande alors leur expulsion de nombreuses villes et, en 1560, l'édit d'Amboise promulgue la fermeture définitive des maisons publiques.