Le jeudi 17 novembre, deux jours avant le voyage prévu en Israël, le président Sadate rend visite à Damas au président Assad, qu'il ne peut convaincre. La Syrie n'est pas d'accord avec la démarche égyptienne, mais elle ne l'entravera pas. Moins prudents, l'Iraq, la Libye, le FDPLP et le Front du refus condamnent énergiquement l'Égypte. L'OLP reste circonspecte, et Riyad est muette. Fort de ces demi-acquiescements, le président Sadate s'envole pour Jérusalem, le samedi 19 novembre à 20 heures.

Lorsque la télévision retransmet les images de l'arrivée — le gouvernement israélien au grand complet, le drapeau frappé de l'étoile bleue flottant aux côtés du drapeau égyptien, Sadate se penchant vers Golda Meir — l'émotion est grande dans les rues du Caire. À la veille du voyage, quelques opposants s'étaient manifestés : le parti du rassemblement progressiste avait demandé au président de renoncer à son projet, et deux ministres (Ismail Fahmy, ministre des Affaires étrangères, Mohammed Ryad, vice-ministre des Affaires étrangères) avaient démissionné. Seront-ils suivis ? Non. Très vite il apparaît que les Égyptiens dans leur grande majorité approuvent leur rais. Au fur et à mesure de la visite en Israël, l'enthousiasme monte au Caire. Le discours de Sadate devant la Knesset — reconnaissance totale d'Israël et garantie de sécurité si Israël restitue les territoires conquis et reconnaît une entité palestinienne autonome — emporte l'adhésion. La prière à la mosquée Al-Aqsa et la visite au mémorial juif de Yd Vachem sont admirés comme autant d'actes de courage.

En deux jours, à Jérusalem, Sadate a acquis une dimension internationale qui n'échappe pas à son peuple. Mais les critiques arabes se donnent maintenant libre cours avec de plus en plus de violence ; des ambassades égyptiennes sont attaquées en Libye et en Grèce. Par une réaction d'orgueil national bien compréhensible, ces attaques ne font que resserrer les rangs autour du rais, désormais candidat « à la balle d'un terroriste et aux prix Nobel de la paix », écrit un journal égyptien. Le 21 novembre au soir, le président égyptien rentre au Caire dans une atmosphère de triomphe populaire. Mais combien de temps ce climat favorable durera-t-il ?

Enlisement

Il faut bien reconnaître, en effet, que Sadate rentre de Jérusalem les mains vides, ou presque : en réponse à son geste, les Israéliens n'ont fait encore aucune proposition concrète. Or, du côté arabe, le camp du refus s'organise. L'Algérie, l'Iraq, la Syrie, la Libye, l'OLP et le Sud-Yémen font momentanément taire leurs divergences et se réunissent à Tripoli pour condamner l'Égypte.

Une relance s'impose. Sadate l'opère en convoquant brusquement, au Caire, une conférence préparatoire à la conférence de Genève. Il y invite les deux grands (ainsi réintégrés dans le processus de négociation), Israël, l'Égypte, et les pays du champ de bataille. Cette conférence dite « du Caire » s'ouvre le 14 décembre à Mena House, au pied des pyramides, devant quatre chaises vides : l'URSS, la Syrie, la Jordanie et les Palestiniens ont refusé d'y assister. Mais sont présents les Américains, un représentant de l'ONU et surtout une importante délégation israélienne, dont l'arrivée suscite en Égypte une intense curiosité, assortie d'un accueil chaleureux. Dans son ensemble, le peuple égyptien croît, veut croire à la paix.

La conférence pourtant s'enlise, les délégués israéliens n'ayant, semble-t-il, rien à négocier. Un espoir renaît lorsqu'on apprend que Menahem Begin s'envole pour Washington pour y soumettre le « plan de paix » israélien au président Carter.

Ce plan apporte-t-il enfin une réponse positive aux propositions égyptiennes ? Hélas ! les six points du « plan Begin » font plutôt l'effet d'une douche froide en Égypte ! En effet, Israël propose un « autogouvernement » (self rule) pour les Arabes de Cisjordanie, qui auraient des représentants élus ; mais il n'est pas question de supprimer la présence militaire israélienne dans les territoires occupés, et l'autogouvernement, qui n'est pas limité dans le temps, ne semble en aucun cas devoir déboucher sur l'entité palestinienne souhaitée par les Arabes. Le Sinaï serait presque totalement restitué. Mais il n'est pas question de rendre Jérusalem, où seuls les Lieux saints pourraient être mis sous le contrôle de leurs autorités religieuses respectives.