Dès lors, une question se pose : Hanoi ne souhaiterait-il pas un changement de régime à Phnom Penh ? Et la guerre engagée aujourd'hui sur les questions de frontière n'aurait-elle pas pour objectif ultime le renversement de l'équipe actuellement au pouvoir ?

Les Vietnamiens le nient, mais les Cambodgiens les accusent déjà d'avoir fomenté un coup d'État en avril 1977, et c'est justement à cette époque que le parti communiste khmer a été épuré de tous ses dirigeants partisans d'une solidarité indochinoise.

Autre signe de cette discordance à la fois idéologique et historique : pour la première fois depuis trois ans, Radio Phnom Penh signale l'existence du PCK, et Pol Pot souligne qu'il a été fondé en 1960, soit bien après l'éclatement du premier PC indochinois créé par Hô Chi Minh. Encore une manière de refuser ou de nier l'hégémonie vietnamienne.

Moscou-Pékin

Relativement masqué — au moins sur le théâtre indochinois — par la guerre contre les Américains, le différend entre les deux grands du communisme réapparaît en pleine lumière avec le conflit Hanoi-Phnom Penh. Bien que l'on ne connaisse pas l'importance de l'aide apportée par Pékin aux Cambodgiens, les Chinois, depuis le début du conflit, n'ont pas caché leurs préférences. La presse chinoise expose sans réserve ni doute les thèses cambodgiennes et ne consacre en règle générale qu'une place insignifiante aux arguments vietnamiens.

Quand Pol Pot se rend à Pékin en visite officielle (28 septembre - 4 octobre 1977), il est reçu avec tous les honneurs dus à son rang et à ses choix politiques. Quand son collègue vietnamien Le Duan lui succède deux mois plus tard (20-23 novembre), il est, lui aussi, reçu avec tous les honneurs dus à son rang, mais visiblement les dirigeants chinois supportent mal l'indépendance vietnamienne dans une région dont ils estiment qu'elle relève de leur sphère d'influence.

Moscou adopte évidemment une position inverse et épouse en fait les thèses vietnamiennes. Mais non sans prudence. Les Soviétiques, qui ont été expulsés comme les Occidentaux lors de la prise du pouvoir par les Khmers rouges (Journal de l'année 1974-75), ne veulent pas rompre définitivement avec le régime cambodgien.

Ainsi, aucune issue — ni militaire, ni diplomatique — ne semble probable entre Hanoi et Phnom Penh, au printemps 1978. Subitement la tension s'installe, début juin, entre la Chine et le Viêt-nam. Des dizaines de milliers de Chinois installés au Viêt-nam (ils sont environ un million dans le pays) franchissent la frontière, et la presse de Pékin ne trouve pas de mots assez durs pour stigmatiser le « pseudo-communisme » des dirigeants vietnamiens. Déjà, sans doute, divers incidents avaient opposé les deux nations sœurs (notamment à propos des archipels Paracels et Spratly dans la mer de Chine), mais ils n'avaient jamais pris cette ampleur. À l'origine de cette nouvelle discorde : la nationalisation, en mars 1978, du commerce privé, qui touchait au premier chef les Chinois de Cholon. Pékin envoie, le 15 juin, sans autorisation officielle, deux paquebots à Hô Chi Minh-Ville pour faciliter le rapatriement de ses ressortissants. Il est évident que l'exode des réfugiés chinois n'est qu'un prétexte saisi par Pékin dans ce combat à la fois souterrain et public qu'est le contrôle idéologique et politique de la péninsule indochinoise. Hanoi aurait, semble-t-il, la capacité de pousser plus avant ses opérations militaires, mais une occupation de la capitale cambodgienne risquerait sans doute de provoquer une intervention de Pékin, qui ne saurait accepter une remise en cause de l'ordre indochinois Phnom Penh, pour sa part, ne peut prétendre repousser les troupes vietnamiennes, mais l'appui et la caution des Chinois constituent la meilleure garantie des dirigeants cambodgiens.

Le conflit khméro-vietnamien a fait passer au second plan les problèmes intérieurs du Viêt-nam ; mais ceux-ci demeurent plus urgents que jamais. Le premier est incontestablement la situation économique, sur laquelle pèsent encore les désastres de trois années de guerre auxquelles sont venus s'ajouter deux ans de mauvaises conditions climatiques.