communication

Action de communiquer avec quelqu'un, d'être en rapport avec autrui, en général par le langage ; échange verbal entre un locuteur et un interlocuteur dont il sollicite une réponse

HISTOIRE

Pendant longtemps, le terme de « communication » ne fut appliqué qu'aux seuls moyens et voies de transport. L'essor des médias, à partir des années 1920, introduisit la notion de communication « de masse », qui est placée au centre d'un ample débat sur la culture à l'ère de la civilisation industrielle. Le développement des technologies électroniques et informatiques, à partir des années 1960, met la communication au cœur même de l'organisation de nos sociétés, qui sont prises désormais dans les mailles de plus en plus serrées des réseaux techniques transfrontières.

Certains historiens cherchent à trouver les prémices de la « communication » dans les civilisations les plus anciennes : papyrus égyptiens, peintures rupestres ou encore postes assyriennes. Toute société organisée a, en effet, ses modes propres de communication. Mais ce n'est qu'avec l'apparition des réseaux techniques, au xixe s., qu'un corps de connaissances pratiques et théoriques s'est constitué sur la communication comme dispositif de pouvoir, comme mode de gouvernement.

Des transports aux médias

Les saint-simoniens et la conception du réseau

Tout commence en 1793, lorsque la Convention dédie à l'usage des armées le télégraphe optique ou aérien, encore appelé « télégraphe à bras », invention de Claude Chappe. Pendant près de soixante ans, les divers régimes de la France n'autoriseront, au nom de la sécurité de l'État, que cet usage militaire. Seule la transmission des résultats de la loterie nationale pourra bénéficier ensuite de la télégraphie aérienne : encore s'agit-il, pour le gouvernement, d'enrayer la fraude et la spéculation. Le grand public n'aura réellement accès à cette technique qu'en 1867. L'imbrication du réseau télégraphique dans le dispositif du pouvoir est attestée par son tracé : à l'image du réseau routier, et plus tard du réseau ferroviaire, il est construit en étoile à partir de Paris.

La question du contrôle de l'État

Dès l'apparition du télégraphe optique, la question est posée de savoir qui, de l'État ou de l'initiative privée, peut contrôler la gestion du réseau de communication. Chaque grande nation industrielle y répond à sa façon : si la Grande-Bretagne préfère confier cette gestion aux entreprises privées, la Prusse militarisée choisit l'État. Mais c'est l'invention et la construction des chemins de fer qui donnent lieu aux débats doctrinaux les plus significatifs. En France, dans les années 1830-1840, il n'est guère de penseurs politiques qui ne se soient prononcés sur le régime d'exploitation du réseau ferroviaire. Ainsi, Pierre Joseph Proudhon déclare son hostilité au contrôle de l'État. En revanche, dans les années 1870, l'Internationale ouvrière soutient la nécessité d'établir un « service public ». Les disciples de Saint-Simon comprennent les premiers le rôle stratégique que sont appelés à jouer, à l'ère industrielle, les réseaux de communication. Ils prédisent, dans les années 1830, que ces réseaux permettront une nouvelle communauté, une nouvelle entraide et une nouvelle fraternité entre les hommes. Ainsi Michel Chevalier, futur conseiller de Napoléon III, célèbre-t-il l'invention du rail comme moyen d'« association universelle ».

La dérive industrialiste

Mais, par la suite, les saint-simoniens tendent à oublier les préoccupations socialistes au profit du seul industrialisme (aspect de la doctrine de Saint-Simon développé entre 1816 et 1820) : de plus en plus, ils se font les promoteurs du libéralisme économique, au service duquel doivent se mettre les réseaux de communication modernes. C'est à des adeptes du saint-simonisme comme les frères Pereire ou Adolphe d'Eichtal que l'on doit la construction des lignes de chemin de fer, l'établissement des premières routes de paquebots transatlantiques et l'impulsion des projets de canaux intermaritimes comme celui de Suez qui bouleverseront les routes commerciales du globe.

De la communication comme utopie

Dès l'apparition du chemin de fer fleurissent les spéculations les plus hardies sur les conséquences morales et sociales de la « communication » et de ses réseaux. Michel Chevalier (1806-1879) voit dans les futurs réseaux ferroviaires un moyen de « réconcilier l'Orient et l'Occident », de « réveiller l'Espagne endormie dans son idéologie cléricale » et de secouer le retard séculaire des moujiks de l'empire tsariste. Il écrit dans le Globe, organe des doctrinaires du saint-simonisme : « Dans l'ordre politique, le moyen le plus efficace de les [les moujiks] réveiller de leur somnolence consistera à placer près d'eux les exemples d'un mouvement extraordinaire, à les exciter par le spectacle d'une prodigieuse vélocité et à les inviter à suivre le courant qui circulera à leur porte. » Cette vision prophétique accompagnera longtemps, jusque dans le siècle suivant, les discours sur les bienfaits civilisateurs des technologies de la communication. L'Américain Lewis Mumford n'écrit-il pas en 1934 « qu'il existe maintenant les éléments pour s'approcher presque autant de l'unité politique que cela a pu être possible un jour dans les plus petites cités de l'Attique » ? Le retour à la communauté enfuie fait partie intégrante de cette vision idéale, paradoxalement empreinte de déterminisme technologique. On la retrouve aujourd'hui dans les discours sur les promesses du réseau Internet.

Communication de masse et souci de l'opinion publique

La seconde moitié du xixe s. est marquée par l'apparition des grandes techniques de communication telles que le télégraphe électrique, le câble sous-marin, le téléphone, le cinéma, le phonographe, la photographie, la rotative. Elle voit aussi s'ouvrir l'ère des masses : lois sur la liberté de la presse, diffusion de journaux à grand tirage, légalisation des syndicats, gestation d'une opinion publique moderne. Les premières théories sur le comportement collectif s'élaborent.

Face à la montée des classes perçues comme dangereuses par la bourgeoisie – les ouvriers –, des ouvrages apparaissent qui traduisent la peur des foules « impulsives, irritables, incapables de raison et d'esprit critique, agies par leur trop-plein émotionnel ». L'exemple majeur en est la Psychologie des foules (1895) du psychopathologue Gustave Le Bon, ouvrage dont l'influence se fera sentir bien au-delà de cette période troublée par l'affaire Dreyfus, premier banc d'essai des batailles médiatiques. À la même époque, Gabriel de Tarde, l'un des pères fondateurs de la psychologie sociale, commence à envisager non plus les foules mais les publics, et pose les premiers jalons d'une réflexion sur les conditions d'exercice de la démocratie de masse.

La propagande

Mais il faut attendre la Première Guerre mondiale pour voir se former et entrer en application une doctrine de gouvernement de l'opinion par la propagande. La nature de la guerre a changé : les populations civiles sont de plus en plus impliquées, à travers les privations, l'enrôlement dans l'industrie d'armement, la guerre des airs. Au cours de cette période sont mis en place à la fois des mécanismes de censure et des instances de propagande, avec des modalités différentes selon les pays ; après l'armistice, les Allemands reconnaîtront ne pas avoir accordé suffisamment d'importance à la dimension psychologique de la guerre – Adolf Hitler en fera, en revanche, un objet de préoccupation majeure. Quoi qu'il en soit, c'est à partir de l'expérience de la Grande Guerre que l'Américain Harold D. Lasswell conçoit l'ouvrage fondateur de la sociologie de la communication de masse : Propaganda Technique in the World War (1927). Lasswell inventera la fameuse formule censée poser toutes les questions pertinentes à propos de la communication de masse : « Qui dit quoi, par quel canal, à qui et avec quel effets ? »

La publicité

L'entre-deux-guerres est aussi la période où prennent forme les premiers modèles de la communication commerciale. Au cours des années 1920, qui voient naître la radio, les dirigeants de l'industrie américaine prennent conscience du bénéfice qu'il y aurait à gérer les besoins des consommateurs ; aussi recherchent-ils les meilleures façons d'appréhender les attentes et les désirs de leurs clientèles potentielles. Naissent alors aux États-Unis de grandes agences de publicité qui puisent dans les ressources de la psychologie du comportement (béhaviorisme) pour tenter de cerner le consommateur. Les premières études de marché, les premiers sondages au service du management de la demande sont mis au point, et le concept de « cible » publicitaire s'affine.

Le dispositif publicitaire moderne est né. Son vecteur principal et terrain d'expérimentation est la radio commerciale, dont les gestionnaires imaginent, pour construire ses audiences de masse, la « mise en réseau » des stations (network) et des opérations de sponsoring associant les entreprises au financement des programmes. Le premier genre de fiction de la culture de masse audiovisuelle fait son apparition dans ce contexte : le soap opera, dont la dénomination même traduit bien l'alliance entre les fabricants de savon et les concepteurs de programmes.

Dans les autres grands pays industriels, l'idée de service public fait son chemin. Ainsi, en Grande-Bretagne, la BBC est-elle interdite de publicité. Tandis qu'en France, où le système radiophonique est hybride, la publicité n'est autorisée que sur les postes commerciaux qui sont tolérés jusqu'à leur réquisition à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Des médias à la « société de communication »

De l'entre-deux guerres à nos jours se sont développées de nombreuses théories de la communication et des débats sociologiques sur la communication et la culture de masse.

La communication n'est plus ce qu'elle était. Hier encore réduite à l'« industrie du divertissement », elle innerve de plus en plus de champs professionnels et de secteurs d'activité économique.

L’industrie de l’information

Le premier à avoir l'intuition du rôle structurant des nouvelles machines à communiquer est Norbert Wiener, le père de la cybernétique. Dans son ouvrage Cybernetics or Control and Communication in the Man and the Machine (1948), il diagnostique – alors que l'on est tout juste à l'aube de l'informatique – que la société du futur s'organisera autour de l'information. L'ennemi principal est l'entropie, c'est-à-dire la tendance qu'a la nature à détruire l'ordonné. « Le montant de l'information, écrit-il, est la mesure de son degré d'organisation ; l'entropie, celle de son degré de désorganisation. » L'information, ses machines et ses réseaux sont selon lui seuls capables de lutter contre l'entropie. À condition que l'information puisse circuler sans entraves. Parmi celles-ci, il identifie le secret, l'exclusion de certaines catégories sociales, les logiques de marché et de profit, les stratégies de pouvoir.

Ce n'est toutefois que dans les années 1970, avec le développement convergent de l'électronique, de l'informatique et des télécommunications, que le thème de la « société de l'information » acquiert toute sa pertinence. En 1977, un économiste américain d'origine française, Marc Uri Porrat, définit à la demande du gouvernement des États-Unis les trois grands secteurs de l'« industrie de l'information » : l'information de base (banques de données, information financière et commerciale) d'une part ; l'information culturelle (films, séries et programmes de télévision, dépêches, livres, magazines, journaux) d'autre part ; les savoir-faire ou know how (représentés par les brevets, le management, le conseil, la formation, l'information scientifique et technique) enfin.

Information, économie, pouvoir

En ces années 1970, les contextes nationaux et internationaux sont dominés par la crise. Dans les allées du pouvoir, des conseillers présentent les nouvelles technologies de l'information et de la communication comme une voie de sortie de la crise, du point de vue politique aussi bien qu'industriel. Deux rapports officiels sont significatifs de ces options stratégiques.

La société « technétronique »

Un rapport est publié en 1975 par la Commission trilatérale, cellule de réflexion composée de personnalités politiques, de cadres dirigeants et d'hommes d'affaires de l'Amérique du Nord, de l'Europe et du Japon, et qui affiche pour objectif – l'économie n'étant pas la seule déstabilisée par le choc pétrolier – de faire face à la « crise de gouvernabilité des démocraties occidentales ». À la tête de la Commission se trouve Zbigniew Brzezinski, futur conseiller du président Jimmy Carter, qui a été l'un des premiers à penser les retombées du développement mondial des réseaux de communication sur les relations internationales. En 1969, il crée l'expression « société technétronique » pour désigner la nouvelle société du futur « dont la forme est déterminée sur les plans culturel, psychologique, social et économique par l'influence de la technologie et de l'électronique – tout particulièrement dans le domaine des ordinateurs et de la communication ».

Le Rapport sur l'informatisation de la société

En France, à la demande du président Giscard d'Estaing, Simon Nora (1921-2006) et Alain Minc établissent en 1978 un Rapport sur l'informatisation de la société, qui interprète le thème de la communication dans un sens large. Selon ces auteurs, l'imbrication croissante des ordinateurs et des télécommunications – la « télématique » – ouvre un horizon radicalement neuf, car elle véhicule « de l'information, c'est-à-dire du pouvoir ». La communication et ses technologies apparaissaient dans cette perspective comme les moyens d'un « nouveau mode global de régulation de la société ». Nora et Minc proposent à la fois une stratégie de développement de ces technologies – qui permette d'affronter un environnement où la concurrence est âpre – et une approche du politique visant à enrayer la perte du consensus social. Ils affirment qu'après des siècles de « centralisation publiquement critiquée et obscurément réclamée » la nouvelle société des réseaux télématiques augure des modes plus souples de gestion de ce consensus, car « la palabre informatisée et ses codes doivent recréer une agora informationnelle, élargie aux dimensions de la nation moderne ».

Les années 1980 relativiseront ces projets de salut par les réseaux technologiques. Les analyses qui les sous-tendent, élaborées à un moment où l'État-nation providence et capitaine d'industrie gardait toute sa légitimité, se heurteront aux logiques pragmatiques du marché aujourd'hui étendues au monde entier.

Communication et entreprise

La communication occupe désormais une place centrale dans la restructuration de nos sociétés. Ses technologies accompagnent le redéploiement des pouvoirs et des contre-pouvoirs dans l'espace domestique, l'école, l'entreprise, le bureau, l'hôpital. La communication pénètre de plus en plus de sphères d'activité, en propageant une technologie de gestion des relations sociales. Le modèle « entrepreneurial » (ou « manageurial ») a ainsi attiré, dans les années 1980, de nombreuses institutions, comme les municipalités. Le contexte est en effet au déclin de l'État providence et de l'idée de service public, et à la montée de l'entreprise, de sa hiérarchie de valeurs, de ses normes d'efficacité et de performance. Or le modèle d'organisation de l'entreprise proposé par les managers du IIIe millénaire est un modèle de communication. Il succède au schéma vertical et hiérarchique qui avait prévalu sous le fordisme. L'entreprise de l'avenir se définit avant tout comme « communicante » : en son intérieur, pour créer le consensus nécessaire à la performance de son personnel ; en son extérieur, parce que l'image est devenue un capital inscrit au bilan.

La communication en environnement hostile

Une des meilleures illustrations de la nouvelle fonction relationnelle de l'entreprise est le développement d'une « communication de crise », dite encore « communication en environnement hostile ». Deux événements majeurs ont précipité l'arrivée de ce type de communication au cours des années 1980 : la bataille des OPA (offres publiques d'achat) et l'émergence des « risques technologiques majeurs ». L'OPA est la figure par excellence de la situation de crise, aussi bien pour l'attaquant qui veut s'emparer d'une proie (l'entreprise à acheter) que pour l'attaqué qui doit se défendre des prédateurs. L'OPA se présente en fait comme une véritable guerre financière et psychologique : des scénarios de communication accompagnent les stratégies de déstabilisation de l'adversaire, où presque tous les coups de publicité sont permis, y compris ceux qui frôlent la manipulation. La manœuvre réussie, l'attaquant fait appel au dispositif de communication de crise pour gérer la restructuration et, au besoin, le « décrutement » massif du personnel.

Activité industrielle et opinion publique

Pollution, explosion, naufrage : tous ces risques ont forcé les entreprises, à travers le monde, à repenser leurs relations avec la société dans le cadre de la montée de la conscience écologique. Les années 1970 sont marquées par l'accident de l'usine chimique de Seveso en Italie (1976) et la catastrophe nucléaire de Three Miles Island aux États-Unis (1979), qui constituent autant d'avertissements. Puis les années 1980 voient l'émanation toxique de Bhopal (Inde) qui, début 1985, fait plus de 2 300 morts et occasionne pour le troisième groupe chimique américain, Union Carbide, la perte de plus du tiers de son chiffre d'affaires ; l'explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en URSS (1986) ; l'écoulement de produits toxiques dans le Rhin à la suite de l'incendie d'un entrepôt de la firme Sandoz à Bâle (1986)… et tous les naufrages de supertankers qui ont suivi celui de l'Amoco Cadiz (1978, sur les côtes de Bretagne).

Ces événements largement médiatisés ont fait avancer la réflexion sur les moyens de gérer la crise en profondeur, en traitant le mode de gestion même de l'entreprise. Pour être capable de faire face au redoutable imprévu, il est apparu indispensable de penser la crise et la déstabilisation en « temps de paix ». Ainsi le responsable du service de relations extérieures de la firme Sandoz, mis en place après l'accident de Bâle, a-t-il pu affirmer : « Il faut développer une perception cybernétique des relations publiques. »

À juste titre, de nombreux chercheurs s'interrogent sur les conséquences de cette professionnalisation des stratégies de communication, comme le faisait déjà, en 1961, le philosophe allemand Jürgen Habermas à propos de la colonisation progressive de l'espace public par les techniques de la publicité et du marketing. La nouvelle phase de rationalisation de la communication civique de l'entreprise et sa diffusion comme modèle de communication posent avec acuité la question de la « privatisation » des lieux de débat de la démocratie.

L'internationalisation de la communication

Fort significativement, la première organisation moderne à associer des nations est, en 1865, l'Union internationale télégraphique. Elle est suivie peu après par l'Union postale universelle. Cette affirmation de la dimension internationale accompagne la progression de toutes les grandes techniques de communication à distance et ne cesse de s'étendre : alors qu'à la première assemblée de l'Union internationale télégraphique ne participaient qu'une vingtaine d'États, l'Union internationale des télécommunications réunit de nos jours près de la totalité des pays membres de l’O.N.U.

Les débuts de la grande diffusion culturelle

Au milieu du xixe s., les grandes agences de presse européennes – la française Havas est fondée en 1835, l'allemande Wolff en 1849, la britannique Reuters en 1851 – essaiment à travers le monde, à la recherche de nouvelles internationales pour les journaux à grand tirage qui se développent alors. L'agence américaine Associated Press, créée en 1848, n'acquiert une envergure internationale qu'au tournant du siècle.

Mais les deux premières industries culturelles à étendre de façon déterminante leur réseau de production et de distribution hors frontières sont, au début du xxe s., le cinéma et les bandes dessinées (ou comics).

Dès cette époque, les firmes cinématographiques françaises Pathé frères et Gaumont, hégémoniques sur les marchés extérieurs, s'installent dans des pays aussi divers que le Brésil, la Turquie ou la Suède. Puis, après la Grande Guerre, elles doivent céder la place aux Majors américaines et à la toute-puissante firme allemande UFA (Universum Filmaktiengesellschaft). L'industrie cinématographique inaugure également, dès les années 1920, la coproduction internationale. Il est à noter que la prise de conscience d'une partie des intellectuels européens vis-à-vis de la culture de masse américaine vient de leur contact, pendant l'entre-deux-guerres, avec un cinéma hollywoodien qu'ils jugent déjà trop envahissant.

La bande dessinée américaine – qui apparaît vers 1894 dans les journaux de William Hearst et de Joseph Pulitzer – est exportée dès 1909. Les professionnels de l'industrie des comics sont les premiers à se poser la question de l'adaptation des contenus aux mœurs et coutumes des clients étrangers. Ainsi, les premières bandes diffusées sur le marché international sont du genre family strip, les histoires familiales paraissant mieux à même d'emporter l'adhésion des publics nationaux les plus divers.

Objectif politique de la diffusion de produits culturels

La lutte contre la propagande des régimes nazi et fasciste précipite en Occident le lancement d'émissions radiophoniques en langues étrangères. Elle est aussi à l'origine de l'internationalisation du Reader's Digest (le « condensé du lecteur »), dont les éditions latino-américaines de l'époque ont pour but explicite de contrer les puissances de l'Axe dans la région. Dans le même cadre ont lieu les premières tentatives de brouillage des émissions de l'ennemi, comme celle organisée en 1934 par le gouvernement autrichien d'Engelbert Dollfuss qui, bien qu'allié de Mussolini, s'oppose farouchement à Hitler et veut empêcher ses concitoyens d'écouter la propagande nazie.

Le « village global »

L'idée que l'humanité forme une « communauté électronique » remonte à 1969, lorsque le Canadien Herbert Marshall McLuhan, professeur à l'université de Toronto, publie Guerre et paix dans le village planétaire, (1971). L'expression « village global » commence ainsi une longue carrière, confortée par de multiples événements significatifs de l'interdépendance planétaire. Mais on ne peut limiter l'apport de McLuhan à cette formule choc qui fait aujourd'hui partie du prêt-à-penser de la communication. En vérité, il a été le premier (Pour comprendre les médias, 1964) à remettre en cause la tendance à ne considérer les médias qu'à travers leurs messages, c'est-à-dire leur contenu, tendance particulièrement forte dans les pays comme la France où l'on attribue au service public de télévision une fonction pédagogique et culturelle. À l'inverse d'une tradition encline à percevoir les médias essentiellement comme des manipulateurs de consciences, il a su montrer l'importance de leur impact sensoriel. Enfin, on lui doit d'avoir mis en évidence l'interaction qui se produit entre les différents médias à partir de celui qui est le plus technologiquement développé, la télévision.

Interdépendance et dépendance

À la fin des années 1960 également, alors que le changement technologique prend le pas sur le changement social, le slogan de « révolution des communications » prend son essor aux États-Unis. La prééminence d'une seule puissance sur le marché international des biens culturels – Zbigniew Brzezinski n'écrit-il pas à l'époque que « 65 % des communications mondiales partent des États-Unis » ? – suscite de la part de certains pays une réaction d'hostilité. Pour eux, le village global risque de n'être qu'un village des affaires, un corporate village. Cette contestation donne corps à la notion d'impérialisme culturel, qui dénonce dans l'interdépendance tant célébrée le masque d'une dépendance aggravée.

« Voix multiples, un seul monde »

Toute la décennie 1970 est marquée par les revendications des pays du tiers-monde en faveur d'un rééquilibrage des flux de produits culturels, avec pour cible principale les grandes agences de presse occidentales. La plupart des batailles pour un « nouvel ordre mondial de l'information et de la communication » (NOMIC) sont livrées à l'intérieur de l'Unesco, l'organisme des Nations unies pour l'éducation, la culture et la science. Une commission y est chargée de l'étude des problèmes de communication : présidée par l'avocat irlandais Sean McBride, prix Nobel de la paix 1974 et fondateur d'Amnesty International, elle compte d'éminents journalistes et écrivains, tels Hubert Beuve-Méry ou Gabriel García Márquez. Le rapport de cette commission (publié sous le titre « Voix multiples, un seul monde »), qui conclut favorablement à un rééquilibrage, ne peut rallier les délégations américaine et britannique ; celles-ci, qui y voient une menace pour la liberté de circulation des flux, claquent la porte de l'Unesco respectivement en 1984 et 1985. Il est vrai par ailleurs que le double langage de certains gouvernements du tiers-monde, qui d'un côté réclament un nouvel ordre mondial de la communication et de l'autre emprisonnent leurs propres journalistes ou artistes, a fait se détourner beaucoup de pays de la bataille.

Dans les années 1980, les vents des politiques néolibérales ont, semble-t-il, balayé de l'arène internationale jusqu'à l'idée même d'inégalité des échanges en matière de communication.

Réguler ou libéraliser les flux d'information ?

Peut-on, doit-on réguler les flux de communication internationaux ? Après la Seconde Guerre mondiale, cette question a été au centre des débats dans les grands organismes représentatifs de la communauté internationale. Deux thèses s'affrontaient : celle soutenue par l'Union soviétique et les pays de l'Est, qui invoquaient le principe de non-ingérence pour interdire les émissions en provenance de l'étranger ; celle défendue par le Département d'État américain, qui prônait le laisser-faire dans le domaine de l'information (free flow of information) comme dans celui du commerce. Pendant toute la durée de la guerre froide, les positions restent figées avec, d'un côté, des régimes qui pratiquent le secret et la rétention de l'information et, de l'autre, les pays où la norme est la surabondance, voire la saturation de l'information. Les pouvoirs en place à l'Est cherchent par tous les moyens à empêcher leurs citoyens de capter les émissions venant de l'Ouest, allant jusqu'à criminaliser l'écoute des radios étrangères. Cependant, les techniques de brouillage se révèlent de moins en moins efficaces pour arrêter les flux qui apportent dans ces sociétés « de pénurie » les modèles de consommation de l'Occident. La République démocratique allemande (RDA), particulièrement perméable aux messages qui viennent de l'Allemagne fédérale toute proche, est la première à ressentir ces effets. L'inquiétude des responsables soviétiques transparaît en 1972 dans la proposition qu'ils font devant l'Unesco et l'Assemblée générale des Nations unies d'une convention pour la réglementation des émissions des satellites de diffusion directe, alors que ce type de satellite est loin à l'époque d'être opérationnel et que les antennes paraboliques ne sont encore qu'une vue de l'esprit. La proposition est d'ailleurs accueillie favorablement par près de cent voix contre une seule, celle des États-Unis, décidément hostiles à toute forme d'intervention étatique.

La politique du gouvernement américain est d'autant plus inflexible sur le principe du free flow of information que ces tentatives d'établissement d'une réglementation pour la transmission des programmes audiovisuels risquent à ses yeux de menacer la structure de l'ensemble de l'industrie de l'information. En conséquence, les autres débats qui, dans les années 1970, se déroulent au sein des Nations unies – sur la nécessité de réglementer les flux transfrontières de données informatiques ou les opérations de télédétection des satellites qui photographient en permanence le globe – n'aboutissent pas davantage à de vrais dispositifs juridiques ; tout au plus des « codes de bonne conduite » sont-ils adoptés.

La globalisation

Avec les années 1980, qui voient le triomphe de la privatisation à l'Ouest, puis l'effondrement du communisme à l'Est, ces préoccupations passent à l'arrière-plan. La dérégulation gagne, de proche en proche, l'ensemble des réseaux de communication : lignes aériennes, chemins de fer, transports terrestres, télécommunications, audiovisuel. La notion de service public s'efface devant les seules lois du marché, avec des modalités particulières selon les secteurs et selon l'histoire propre à chaque pays. Une véritable mutation affecte les modes de communication et d'organisation de la production.

D'autre part, la notion de globalisation (ou mondialisation), qui remplace celle d'internationalisation, fait aujourd'hui fortune dans les milieux d'affaires. Pour les entreprises, elle signifie un changement d'échelle : les marchés de capitaux, les produits, les services, le management et les techniques de fabrication sont devenus « globaux », c'est-à-dire mondiaux. Bien évidemment, les réseaux de communication sont au centre de cette nouvelle organisation planétaire des entreprises.

La globalisation des biens et des services implique aussi la recherche d'une « cible globale » : tenter de toucher le plus de consommateurs possible avec le même message devient une priorité (dont se charge le « marketing global »). Les partisans de la globalisation à outrance s'opposent à ceux qui, reconnaissant les tendances à l'homogénéisation des besoins, soutiennent qu'il en existe d'autres comme la démassification et la segmentation.

Signe du déplacement des priorités par rapport aux années 1970, les débats internationaux sur le devenir des réseaux ont émigré vers des organismes techniques comme le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), puis l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La circulation de l'information fait désormais partie d'une discussion plus ample sur le libre-échange, sur la libéralisation des flux de services – base de la société tertiaire d’aujourd’hui –, qui concernent aussi bien les films que les savoir-faire, les flux du tourisme que les flux financiers.

PHILOSOPHIE

La société contemporaine, que l'on dit souvent être une société de consommation, tend aussi à être de plus en plus une société de communication.

L'avènement de l'ère de la communication

Plusieurs mutations permettent d'expliquer l'importance que revêt le fait de la communication aujourd'hui.

Un nouveau rapport à l'espace

La découverte du Nouveau Monde, la formation des États modernes, le développement des techniques de transmission ont induit un changement radical du rapport à l'espace. Au monde clos, à la cité autarcique de la Grèce antique a fait suite un espace ouvert, dont l'amplitude dépasse le pouvoir d'action concret de l'homme. Au xixe s., Benjamin Constant, dans son discours intitulé De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819), attirait l'attention sur les conséquences de ce que l'on pouvait déjà appeler la « mondialisation » du commerce : l'individu remplaçait le citoyen de la démocratie grecque, les échanges n'étaient plus limités aux relations de proximité.

Paradoxalement, cet élargissement considérable de l'espace va de pair avec une négation de l'espace : les progrès de la vitesse réduisent les distances. Le lancement du premier Spoutnik, en 1955, a inauguré une nouvelle ère : celle où l'espace est comme vaincu ; la technique permet de vivre simultanément le même événement en dépit de l'éloignement. La retransmission des jeux Olympiques donne lieu à une réalisation spectaculaire. Le développement d'Internet prolonge cette abolition de l'espace concret.

Un nouveau consensus

Le recul du sentiment religieux et la faillite des idéologies politiques ont pour conséquence d'estomper la référence à une transcendance immuable, « non négociable ». L'idée se fait jour que les individus, idéalement égaux, négocient entre eux leurs valeurs. La désacralisation ou le désenchantement permettent ainsi de justifier la logique de la communication globale : rien, en droit, n'échappe au consensus. Cette valorisation de principe du fait de la communication est renforcée par l'exemple de la barbarie totalitaire, qui a montré l'horreur du dialogue systématiquement violenté.

Une nouvelle pratique sociale

L'égalité par l'école et par la citoyenneté républicaine de même que le vaste mouvement d'urbanisation ont accéléré la circulation des personnes tout autant que celle des biens et des informations. La « mobilisation » des masses autour de projets fédérateurs, que ce soit la guerre ou la reconstruction, a contribué à détacher l'individu de son « enracinement » pour en faire un être communicant.

Une nouvelle conscience collective

L'éveil d'une conscience écologiste, qui voit la Terre comme un « vaisseau spatial », comme un tout dans lequel rien ne peut être séparé de l'ensemble, conduit à justifier la thématique centrale de la communication : tout communique avec tout. Le nuage radioactif de Tchernobyl a eu des retombées en France. La communication est, dans cette mesure, d'abord un fait objectif avant même d'être une pratique sociale ou culturelle. Dans ce contexte s'explique l'importance accordée à l'idée de solidarité, de responsabilité collective.

Les effets contrastés de la communication

L'effet de médiatisation

Dès 1962, Herbert M. McLuhan, auteur de la Galaxie Gutenberg, a montré l'incidence du moyen de transmission sur le contenu transmis. L'imprimé avait promu un univers analytique et rationnel, abstrait et parcellaire, où l'individu, seul face au texte, avait l'initiative de la lecture et de l'interprétation. La radio et la télévision – la « galaxie Marconi » – modifient le message dans sa forme même : à la réponse linéaire et rationnelle suscitée par l'écrit, elle substitue une réponse immédiate de l'ensemble de la sensibilité humaine. L'image instaure un rapport non analytique et plus immédiatement réactif au message ; on préférera donc les « petites phrases » ou la force de suggestion du clip aux argumentations des livres. La forme en vient à modifier le fond. La communication n'est jamais neutre ; ses effets sont, en conséquence, ambigus.

L'effet de contre-pouvoir

Dans le domaine politique, les médias jouent un rôle de « quatrième pouvoir », selon l'expression de Balzac (la Revue parisienne, août 1840) empruntée à Edmund Burke, contemporain de la Révolution française. Les promoteurs de la révolution de 1789, comme Camille Desmoulins, Mirabeau, Hébert ou Marat, sont des journalistes. La révolution de 1830, elle aussi, est due en partie à des hommes de presse (dont Adolphe Thiers). Clemenceau, patron de l'Aurore, publie le J'accuse d'Émile Zola, le 13 janvier 1898.

Jean Jaurès fonde l'Humanité en 1904. Léon Blum anime ensuite le Populaire. Albert Londres, qui entend « porter la plume dans la plaie », contribue à la fermeture du bagne de Cayenne après un reportage qui fait sensation. Les journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, font éclater le scandale du Watergate, qui contraindra le président Nixon, réélu triomphalement en novembre 1972, à démissionner le 9 août 1974.

L'effet de propagande

Toutefois, les moyens d'information ne se limitent pas à cet effet de contre-pouvoir. La radio, par exemple, qui promettait, dans les années 1920, d'être un puissant outil de démocratisation, se révèle, au cours de la décennie suivante, comme l'instrument de propagande le plus puissant jamais inventé. La guerre des ondes, après 1940, accompagne celle des armes. La communication ne joue plus le rôle de quatrième pouvoir dès lors qu'elle conditionne le pouvoir lui-même.

L'État contemporain succombe sous la loi du direct, et l'homme d'État qui réagit « à chaud », qui se montre « proche des gens », apparaît plus comme un individu quelconque que comme le représentant de la collectivité, ce qui induit un mépris du politique. En retour, le pouvoir peut se servir de la puissance de la communication de masse pour agir en vertu d'une stratégie marketing. L'exemple de Silvio Berlusconi reste emblématique : « Sua Emittenza » (contraction de « éminence » et de « émetteur ») remporte 44 % des voix et acquiert la majorité absolue à la Chambre des députés en mars 1994 avec un parti, Forza Italia, créé soixante jours plus tôt. La conjonction de l'argent (holding Fininvest), du sport-spectacle (présidence du Milan AC) et du pouvoir médiatique (trois chaînes de télévision, plusieurs journaux, la quasi-totalité de la presse du cœur) a créé un consensus par les méthodes du merchandising. Aussi a-t-on pu parler de « télépopulisme » et de « télécratie » : la séduction programmée remplace le débat.

La communication de masse change ainsi la nature même du pouvoir (Georges Balandier, le Pouvoir sur scène, 1992). Le recours aux images virtuelles, à la télévision, ne peut que porter à son comble le risque d'intoxication.

L'effet d'imitation

L'ambivalence de la communication se retrouve dans le rapport à la liberté. Dans une « démocratie de masse », la communication rend possible un lien social. En outre, elle permet les conditionnements et les comportements mimétiques. Dès la fin du xixe s., le sociologue Gabriel de Tarde avait montré que l'individu agit en fonction de l'idée qu'il se fait de l'action des autres (les Lois de l'imitation, 1890). C'est pourquoi les sondages sont profondément ambigus : ils façonnent le phénomène qu'ils prétendent décrire.

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