Aménagement du territoire

La réforme régionale

« Libérale dans son principe, pragmatique dans son fonctionnement, ouverte sur l'avenir », l'institution régionale proposée au printemps 1972 par le Gouvernement porte bien la marque de son principal inspirateur : le président Pompidou.

Là où Charles de Gaulle avait échoué, après avoir imaginé la difficile construction d'une pyramide d'assemblées ; là où le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas avait dû reculer, après avoir tenté de lancer des formules audacieuses ; là où le bouillant président du Parti radical, Jean-Jacques Servan-Schreiber, s'emparant du drapeau du pouvoir régional, part à son tour en guerre contre la centralisation abusive..., G. Pompidou poursuit sereinement son chemin et préfère aux grands vents du changement les rassurants appels d'une prudente évolution.

Aussi le projet de loi adopté le 29 juin par le Parlement reflète-t-il bien cette volonté élyséenne de ne rien bouleverser. Mais, ce faisant, le Gouvernement n'échappe pas à l'afflux des critiques : celles des tenants de la régionalisation, bien sûr, qui, au sein même de la majorité, considèrent ce projet comme par trop timoré ; mais aussi celles des défenseurs du département, qui, notamment dans les rangs de la vieille garde sénatoriale, voient dans la nouvelle institution un danger pour les élus locaux et un écran supplémentaire entre le citoyen et le pouvoir.

Ces querelles byzantines n'excitent guère, tant s'en faut, un pays peu attiré par les problèmes des institutions, fussent-elles régionales. Les questions qui, dans chaque région, préoccupent les Français sont d'un autre ordre. Elles tournent autour de ces grands problèmes qui, aujourd'hui, constituent la politique : l'emploi, le logement, les transports, la qualité de la vie. Ainsi, la montée du chômage, surtout chez les jeunes, l'inadaptation de l'offre à la demande, caractérisée par l'attrait de plus en plus puissant du secteur tertiaire, l'évolution d'une industrie souvent mal branchée sur la vie locale, le manque ou l'insuffisance des équipements les plus nécessaires, tous ces éléments majeurs de la vie quotidienne paraissent bien éloignés des doctes débats sur la participation des députés aux conseils régionaux.

Et, pourtant, les vagues de fond qui commencent à agiter l'eau paisible de la province montent toutes vers Paris. Il est impossible de comprendre les huit semaines de grève des 1 000 travailleurs du Joint français à Saint-Brieuc, si l'on ne tient pas compte de ces deux faits essentiels : la revendication de salaires égaux à ceux qui ont été versés aux travailleurs de l'usine de Bezons, en banlieue parisienne ; la fureur de ne pas trouver, au niveau de la direction, d'interlocuteurs valables sur place, toutes les décisions étant prises au siège de la CGE, à Paris bien sûr.

Ainsi, l'histoire de cette entreprise créée huit ans plus tôt dans l'enthousiasme, et que 40 communes bretonnes s'étaient arrachée, est caractéristique d'un certain échec de la décentralisation, quand les leviers de commandement restent groupés dans la capitale.

La même révolte balaie les rives de l'étang de Berre où une immense zone industrielle doit accueillir un million d'habitants d'ici à la fin du siècle. Là, ce sont les communes qui se dressent contre une administration qui prétend décider et diriger toutes choses à partir des bords de la Seine. Et c'est le député-maire de Marseille, Gaston Defferre, qui, au nom d'une vingtaine de maires, s'en prend dans un éditorial du Provençal à ces « irresponsables parisiens qui nous traitent comme des sous-développés ou des indigènes ».

Dans ce climat peu serein, la réforme lancée par le président Pompidou suffira-t-elle à promouvoir cette décentralisation des responsabilités qui, au sein des entreprises comme au niveau des collectivités locales, permet seule le bon fonctionnement des mécanismes modernes ?

Les principales dispositions de la loi

Les 19 articles du projet de loi comprennent les principales dispositions suivantes :
– la nature de la région :
Dans chacune des 22 circonscriptions d'action régionale, un établissement public est créé. Il ne s'agit pas, contrairement au projet de 1969, d'une collectivité locale ;
– ses pouvoirs :
La région n'exerce aucune tâche de gestion directe et respecte les compétences des collectivités locales (départements et communes) ; elle a pour objet de contribuer au développement économique, social et culturel de la circonscription ; consultée sur la préparation du Plan, elle peut faire des études, participer au financement des équipements collectifs ou les réaliser ;
– ses ressources :
La région bénéficie, au lieu et place de l'État, du produit de la taxe sur les permis de conduire. Elle peut instituer un supplément à la taxe sur les cartes grises et à la taxe immobilière ; elle peut en outre créer une taxe régionale d'équipement additionnelle à la taxe foncière. Mais le total des ressources fiscales de la région est limité à 25 F par habitant. Enfin, la région peut bénéficier d'autres ressources procurées par l'emprunt, des subventions de l'État ou des participations des collectivités locales ;
– ses institutions :
Le conseil régional, qui exerce le pouvoir délibératif, est composé des députés et sénateurs, des représentants des départements élus en leur sein par les conseils généraux, des délégués des agglomérations désignés en leur sein par les conseils municipaux et par les conseils de communautés urbaines.
Le comité économique, social et culturel, dont les attributions sont consultatives, est composé de représentants des activités socioprofessionnelles.
Le préfet de région est l'organe d'instruction et d'exécution des deux assemblées régionales, mais il n'est pas créé de services administratifs de la région.