Dans des discours et des déclarations successives, le chef de l'État explique au fil des semaines les raisons qui l'ont conduit à administrer aux Russes ce que la presse internationale qualifie de camouflet, à prendre une décision qui modifie le rapport des forces dans la région.

Le président Sadate reproche au Kremlin d'avoir limité unilatéralement les livraisons d'armement, d'entretenir par son attitude la situation de « ni guerre ni paix », de recommander aux Arabes la cession de territoires à Israël, en échange d'un règlement définitif. Seuls les Américains, estime-t-il le 24 juillet, sont capables d'exercer des pressions sur l'État juif pour l'amener à abandonner pacifiquement ses conquêtes. Le 5 octobre, le président égyptien corrige cette appréciation ; il déclare en substance que Moscou et Washington étaient d'accord pour ne pas modifier le statu quo par la force et que l'expulsion des Soviétiques était en réalité destinée à rendre à l'Égypte sa liberté d'action pour délivrer, par ses propres moyens, le Sinaï.

Une campagne de presse virulente se développe en Égypte contre l'URSS, permettant à des journalistes officieux de compléter le réquisitoire du chef de l'État. Hassanein Heykal écrit dans Al Ahram que les Russes étaient incapables de livrer à l'Égypte des bombardiers aussi perfectionnés que les Phantom américains ; Ihsan Abdel Kouddous accuse le Kremlin d'avoir violé le traité d'amitié conclu entre les deux pays au printemps de 1971, d'être de connivence avec la Maison-Blanche pour maintenir la supériorité militaire d'Israël. Malgré tout, assure le ministre de l'Information Mohamed Zayyat, l'Égypte continuera à fournir des facilités portuaires à l'URSS, « ainsi qu'à toute autre puissance qui les solliciterait, y compris les États-Unis... »

Désenchantement

Le gouvernement américain demeure insensible à ces appels du pied, se refuse à tout commentaire concernant l'expulsion des militaires soviétiques, s'abstenant même d'exprimer une quelconque satisfaction. Certes, des messages courtois sont échangés entre les présidents Nixon et Sadate, le 23 juillet, à l'occasion du 20e anniversaire de la révolution égyptienne ; certes encore, Hassanein Heykal – selon ce dernier – est invité à rencontrer le conseiller de Nixon, Henry Kissinger. Mais Washington continue à soutenir, en toute occasion, la politique israélienne. Heykal invite ses lecteurs, le 29 septembre à ne pas désespérer ; il faudrait attendre, écrit-il, les élections présidentielles aux États-Unis pour que se manifestent les véritables intentions de Washington. Le conseiller du président Sadate, Hafez Ismaïl, est cependant déçu par son entretien avec Richard Nixon, le 23 février. Réélu, le chef de la Maison-Blanche n'a, en aucune manière, modifié son attitude à l'égard du conflit.

Le désenchantement des dirigeants du Caire est d'autant plus grand qu'ils s'étaient, entre-temps, rendu compte de la vanité de leurs espoirs concernant le rôle que pourrait jouer l'Europe. Celle-ci, pensaient-ils, serait en mesure d'exercer une certaine influence sur la politique américaine tout en se substituant à l'URSS en tant que partenaire privilégiée de l'Égypte. Le président Sadate déclarait en effet, le 21 août, que l'expulsion des militaires soviétiques devrait ouvrir la voie à une aide accrue des puissances européennes, notamment dans le domaine de l'armement.

Ses vœux n'ont été que très partiellement comblés. Les prêts accordés notamment par la RFA – 80 millions de dollars – et la Grande-Bretagne – 12 millions de dollars – sont très loin de pouvoir rivaliser avec l'aide financière et économique massive de l'URSS. Cette dernière est, de même, irremplaçable pour ce qui est de l'armement. La France rejette une requête du Caire relative à la suppression de l'embargo que pratique Paris à l'égard des « pays du champ de bataille », parmi lesquels figure l'Égypte. Les négociations engagées avec Londres dès le 31 juillet, en vue de l'achat de matériel militaire, traînent en longueur.

Endettement

Pourtant, le gouvernement du Caire avait fait le nécessaire pour pouvoir disposer de fonds, en devises fortes, destinés à l'acquisition d'un armement d'origine occidentale. Sa tentative de désengagement à l'égard de l'URSS lui a valu encouragements et soutiens parmi les États arabes conservateurs, en particulier l'Arabie Saoudite. Une tournée en décembre dans les principautés du golfe Persique a permis au Premier ministre Aziz Sedki de recueillir plus de 250 millions de dollars, fournis par le Koweit, Qatar et Abou Dhabi.