Les Khmers rouges ont donc quadrillé la ville, isolé les quartiers les uns des autres et demandé à tous les habitants d'abandonner leurs logements et de partir pour la campagne. Selon les unités, ce travail s'est effectué soit avec une certaine dureté, soit avec souplesse, mais aucune exception ne semble avoir été tolérée. Des malades, des enfants, des femmes sont morts dans cet exode. Les Khmers rouges ont ensuite vidé les appartements ou les maisons de tout ce qui, à leurs yeux, représentait la corruption occidentale : postes de télévision, réfrigérateurs, climatiseurs, chaînes de haute fidélité, etc. furent jetés dans la rue et détruits. Enfin, des populations non contaminées ont pris la place des anciens occupants.

Les nouveaux dirigeants n'ont donné aucune raison à cette transfusion totale de population.

Secret absolu

Dès la prise de Phnom Penh, une véritable chape de silence est tombée sur le Cambodge. Toutes les communications ont été coupées d'avec le reste du monde, comme si le nouveau régime, jaloux de son indépendance, voulait reconstruire seul le pays. Alors que ses voisins, le Sud-Viêt-nam et le Laos, se déclarent prêts à accepter l'aide étrangère d'où qu'elle vienne pourvu qu'elle ne soit assortie d'aucune condition, le Cambodge refuse tout apport extérieur. L'homme fort du pays est Khieu Samphan, 44 ans, vice-Premier ministre du GRUNK. Marxiste convaincu, il fit ses études supérieures en France et prit le maquis en 1967, après avoir été plusieurs fois ministre de Sihanouk.

Le secret dont s'entoure le Cambodge sera à peine dévoilé par l'affaire du Mayaguez, plus révélatrice de l'état d'esprit des États-Unis après la chute de Phnom Penh que de la politique du GRUNK. Le 12 mai, un bâtiment militaire cambodgien arraisonne, dans le golfe du Siam, le cargo américain Mayaguez qui faisait route de Hongkong vers la Thaïlande avec un équipage de 40 hommes à bord, tous de nationalité américaine. Le président Ford exige la « restitution immédiate du navire, faute de quoi l'incident aurait les plus graves conséquences ». Après avoir tenté (en vain) d'obtenir la médiation de Pékin, la Maison-Blanche envoie en Thaïlande, malgré la protestation de Bangkok, quelque 1 100 marines et décide l'attaque de l'îlot de Koh Tang, face au port de Sihanoukville où le cargo a été ancré. Une véritable armada a été mobilisée, et, deux jours plus tard, le 15 mai, le Mayaguez et son équipage sont récupérés après de brefs mais violents combats. Bilan : 15 Américains tués et une cinquantaine de blessés.

Le côté le plus étrange de cette affaire a été, en définitive, le silence des autorités cambodgiennes. Elles n'ont jamais expliqué clairement les raisons de cette opération d'arraisonnement, apparemment inutile après la victoire indiscutable qu'elles avaient remportée. De son côté, par la rapidité de son action, le président Ford a sans doute, comme l'a dit H. Kissinger, « évité d'humiliantes négociations », mais le bénéfice qu'il en a retiré a été essentiellement d'ordre intérieur.

La clef de l'affaire se situe peut-être alors dans la cargaison du cargo. La Sea Land Service, compagnie propriétaire, affirme que le Mayaguez ne transportait que de la nourriture et de l'alcool pour les troupes américaines en Thaïlande. Pour Radio-Phnom Penh, le cargo faisait de l'espionnage. Quelques jours plus tard, alors que l'incident était clos, l'hebdomadaire allemand Stern publie un article selon lequel le bateau transportait des documents et du matériel des services secrets, ce qui expliquerait l'acharnement de Washington à le récupérer. La Maison-Blanche dément, en reconnaissant toutefois que le Mayaguez, avant de prendre la route de la Thaïlande, avait acheminé à Hongkong des « documents administratifs » provenant de l'ambassade US à Saigon.

Chine (Rép. populaire de)

Pékin. 814 280 000. 85. 1,8 %.
Transports. (*71 ) : 301 000 M t/km.  : 1 479 000 tjb.
Information. (70) : *12 000 000. (69) : *300 000.
Institutions. République populaire proclamée le 1er octobre 1949. Constitution de 1954 profondément modifiée par l'Assemblée nationale, réunie du 13 au 17 janvier 1975. Suppression de la présidence de la République. Le parti communiste devient l'organe suprême du pouvoir d'État. Président du parti : Mao Tsé-toung. Premier ministre : Chou En-lai. Vice-Premier ministre et vice-président du Comité central du parti : Teng Hsiao-ping.

Tremblement de terre

Le 4 février 1975 à 19 heures 36, heure locale, la terre a tremblé dans le nord-est de la Chine. Comme toujours en pareil cas, les autorités chinoises n'ont donné aucune précision sur ce séisme, sauf la magnitude (7,3) et les coordonnées de l'épicentre (40,6° de latitude nord et 12,8° de longitude est) situé à moins de 40 kilomètres au sud-ouest d'Anshan, le grand centre sidérurgique. Commentant le tremblement de terre, l'agence Chine nouvelle a toutefois parlé de catastrophe et de pertes à divers degrés. Les villes de Ying-keou et de Hai-cheng sont parmi les localités les plus touchées. Mais rien n'a été dit des conséquences du séisme sur les usines d'Anshan. Les secousses ont été ressenties à Pékin, soit à plus de 500 kilomètres au sud-ouest de l'épicentre.

Pékin choisit l'Europe

La République populaire de Chine célèbre son 25e anniversaire avec éclat. Au palais de l'Assemblée du peuple, le 30 septembre 1974, veille de la fête nationale, les 4 500 personnes conviées à un banquet acclament le Premier ministre Chou En-lai, le seul dont la carrière n'ait pas subi d'éclipsés pendant ce quart de siècle de séismes politiques, économiques et diplomatiques. 1975 est l'année de la refonte complète des institutions et de la mise en place des futurs responsables de l'après-maoïsme : les plus capables, les plus valides de la vieille garde historique, même si beaucoup doivent être réhabilités après un purgatoire de rééducation idéologique imposé par la révolution culturelle. « Il faut rallier tous ceux qui peuvent être ralliés » réclame un éditorial du 1er octobre 1974.

Transition

Les deux piliers du régime sont physiquement usés. Pékin s'empresse de démentir la nouvelle d'une « grave attaque » dont Mao Tsé-toung (81 ans) aurait été victime, en octobre 1974 ; son absence est remarquée pendant la session historique de l'Assemblée, en janvier 1975. En un an, Chou En-lai fait seulement trois apparitions en public. Depuis mai 1974, à la suite d'un infarctus pense-t-on et d'une opération au cours de l'été, le Premier ministre séjourne dans un hôpital de Pékin. Il y reçoit de temps à autre des visiteurs de marque, pendant quatre-vingts minutes parfois, sans fatigue apparente. De sa chambre de malade, il continue de diriger le pays avec l'aide de Teng Hsiao-ping, un vieux camarade de luttes dont il a fait son double après avoir décidé sa réhabilitation et planifié, par étapes précipitées, son irrésistible ascension. Après les promotions éclairs des années précédentes, les jeunes du groupe de Changhai (les sinologues américains les baptisent la mafia de Changhai) sont maintenus en deuxième ligne, prêts à prendre la relève, derrière une première ligne de vieux chargés de la transition sous la houlette de Teng. Dispositif peu à peu téléguidé par Chou En-lai lui-même, qui, dans tous les secteurs, place des fidèles qui lui sont d'autant plus reconnaissants qu'ils lui doivent leur nomination et, souvent, leur réhabilitation. Et, à l'occasion du 25e anniversaire du régime, une cinquantaine de nouveaux pardons sont annoncés, en bloc.

La nouvelle constitution

La nouvelle Constitution, votée en janvier 1975 par l'Assemblée, renforce la prédominance du parti communiste « noyau dirigeant du peuple chinois tout entier », dont « tous les citoyens ont le devoir d'approuver la direction ». Direction qui s'exerce même sur « l'organe suprême du pouvoir d'État » : l'Assemblée dont le Comité permanent remplace le président de la République. La fonction est supprimée pour qu'aucun homme ne soit plus tenté d'en abuser à la façon du dernier titulaire, Liou Chao-chi. Cette nouvelle Constitution durcit les institutions et assouplit certaines libertés individuelles. Le paradoxe n'est qu'apparent. C'est volontairement que cette libéralisation lâche un peu la bride à une contestation populaire qui, depuis la révolution culturelle, a prouvé son pouvoir détergent, son efficacité d'arme utilisée par les dirigeants pour redresser en permanence les déviations. Ainsi, on précise que Mao lui-même a fait inscrire le droit de grève, qui ne figurait pas dans la Constitution précédente. Sous-entendu : pour qu'on l'utilise dans la bonne ligne. Sont également inscrits dans la nouvelle Constitution : « la liberté de parole, de correspondance, de presse, de réunion, d'association, de cortège, de manifestation, de pratiquer ou ne pas pratiquer une religion, de propager l'athéisme ». Avec des freins aux excès éventuels : le domicile est inviolable, pas d'arrestation « sans la décision d'un tribunal populaire ou l'approbation d'un organe de la sécurité publique ». Simultanément, la structure de la société se durcit. La Chine n'est plus « un État démocratique populaire », mais « un État socialiste de dictature du prolétariat »... « dictature intégrale sur la bourgeoisie dans le domaine de la superstructure, y compris les divers secteurs de la culture ». Enfin, disparaissent « la propriété capitaliste » et « la propriété des travailleurs individuels » qui figuraient dans la Constitution de 1954. « Les deux formes essentielles de propriété des moyens de production » ne sont plus que « la propriété socialiste du peuple entier et la propriété collective socialiste des masses travailleuses ». Cela « pour l'étape actuelle ». Ce qui laisse entendre qu'aux étapes suivantes d'autres constitutions marqueront des progrès vers un socialisme plus intégral.

Coup de théâtre

Dans le même temps, des équipes au loyalisme éprouvé préparent dans le plus grand secret, pour janvier 1975, le coup de théâtre qu'on attend depuis dix ans : la réunion d'une nouvelle Assemblée du peuple, le vote d'une nouvelle Constitution qui supprime le poste de président de la République pour ne plus risquer des aventures du type Liou Chao-chi ou Lin Piao, l'élection d'un gouvernement loyal et de composition soigneusement dosée, la prise de tous les pouvoirs par le parti communiste, dont les dirigeants se retrouvent à la tête du gouvernement et de l'armée, obéissant pour la première fois à des civils. Avec, pour chef suprême, le président du parti Mao Tsé-toung et, pour chef réel, le vice-président Teng Hsiao-ping.