Pour réussir ce bouclage magistral, l'événement et sa longue préparation ne sont connus que lorsque tout est terminé. Les textes sont soigneusement rédigés, les listes rigoureusement établies avant l'approbation prévue de la nouvelle Assemblée, dont les membres ne sont pas vraiment élus mais plutôt cooptés après de laborieuses discussions aux niveaux local, régional, provincial. La session parlementaire de cinq jours est menée tambour battant du 13 au 17 janvier 1975, en pleine capitale. Celle-ci terminée, des feux d'artifice et des proclamations de Radio-Pékin apprennent aux Chinois et au monde entier que le régime maoïste vient de se donner une armature toute neuve, plus solide. On apprend même, deux semaines plus tard, que l'ex-président Liou Chao-chi ne serait pas mort, contrairement à ce qui avait été publié dès 1972, confirmé en 1973 et réaffirmé par un journal communiste de Hongkong, en novembre 1974. Aucun démenti n'avait suivi afin de lever le dernier obstacle à la suppression de la fonction de président de la République. Une fois la réforme en place, on apprend de source pékinoise que le Krouchtchev chinois n'est pas mort et continue, quelque part, « à se corriger par le travail ».

Les risques de subversion en partie écartés, la campagne « Pi-lin-Pi-Kong » (anti-Confucius et anti-Lin Piao) devient plus verbale. Les éditoriaux continuent à rappeler l'armée à l'obéissance, mais au mot d'ordre « critique-rectification » se substitue de plus en plus « consolidation-unité ». À Pékin, une inscription attribuée à Mao lui-même précise : « La révolution culturelle dure déjà depuis huit ans. Il est temps maintenant que les choses s'apaisent. Le parti tout entier et l'armée tout entière doivent s'unir. » On ne recommande plus d'« aller à contre-courant » pour aviver la contestation, mais de « promouvoir la production » et même d'« accélérer la croissance économique ».

Le congrès national du peuple

La troisième législature bat les records à la fois de brièveté et de longévité. Les 3 040 députés du Congrès national du peuple ne siègent que deux semaines, du 20 décembre 1964 au 4 janvier 1965. Jamais réuni depuis et bien qu'élu pour quatre ans, ce Parlement fantôme survit plus de dix ans à travers les remous de la révolution culturelle et de la purge Lin Piao, qui rendent son renouvellement impossible. Souvent annoncée comme un signe de normalisation, sa convocation est constamment ajournée jusqu'au soir du samedi 18 janvier 1975 où, dans la capitale brusquement illuminée, réveillée par des feux d'artifice, les hauts-parleurs de Radio-Pékin annoncent qu'une première session d'un nouveau Parlement vient de se tenir en cinq jours, du 13 au 17 janvier. Il est élu pour cinq ans et doit se réunir une fois par an. Ainsi cette quatrième législature commence par un double secret, stupéfiant pour le monde occidental et frustrant pour les journalistes en poste à Pékin : les élections (totalement clandestines) de 2 885 députés et leurs réunions quotidiennes, étrangement passées inaperçues dans le palais du Congrès sur l'immense place Tien An-men, au cœur de la capitale. Ce qui semble confirmer l'existence de souterrains reliant le palais à la Cité interdite voisine, où habitent les dirigeants. Au lendemain de cette session éclair, le président du nouveau congrès, le vieux maréchal Chu Teh (89 ans), réunit le bureau. Sont nommés : Chi Peng-fei (ex-ministre des Affaires étrangères), secrétaire général du bureau, et Chiang Hua, président de la Cour suprême.

Les avatars du camarade Teng

Né en 1904 dans le Sseu-tch'ouan, lointaine province où l'on cultive un certain esprit d'indépendance, Teng Hsiao-ping n'a que six ans de moins que Chou En-lai. Tous deux font partie de la même génération des survivants de la Longue Marche. Il devient vice-Premier ministre en 1952, et prépare les nouvelles institutions. En 1963, pendant le voyage de Chou En-lai en Afrique et au Proche-Orient, il est nommé Premier ministre par intérim. Dans le parti, son ascension est fulgurante. Secrétaire général du Comité central, il accède au Bureau politique après avoir dénoncé le « bloc antiparti » et écarté « le traître Kao Kang et ses complices ». Plus tard, membre du Comité permanent, il dénonce les critiques des Cent Fleurs et on le désigne, avec quelques très rares privilégiés, comme « proche compagnon d'armes » de Mao, aux côtés duquel il apparaît en public. Mais, dès le début de la révolution culturelle, en 1966, les gardes rouges le dénoncent comme traître n° 2 après Liou Chao-chi. On rappelle ses relations fréquentes avec les Soviétiques, son hostilité à la collectivisation rapide et ses habitudes bourgeoises. Humilié en public, forcé à faire son autocritique, il disparaît brusquement à la fin de 1966 dans un camp de rééducation où, dit-on, il tente de se suicider en janvier 1967. L'année suivante encore. Le quotidien du peuple le dénonce comme « renégat, agent secret, révisionniste contre-révolutionnaire ». Après sept années d'absence totale, en 1973, Teng réapparaît brusquement en public avec son ancien titre de vice-Premier ministre et le rôle de plus en plus évident de porte-parole de Chou En-lai dont il annonce lui-même la semi-retraite « à cause de sa santé et de son grand âge ». Réapparition suivie d'une nouvelle ascension éclair : au congrès d'août 1973, il entre au Comité central, en janvier 1974 au Bureau politique, un an plus tard, il devient vice-président du parti. Deux semaines avant que le nouveau Parlement confirme son titre de premier vice-Premier ministre il est nommé chef d'état-major général. Il détient les trois pouvoirs, qui en font pratiquement le numéro 1 de la Chine populaire. Même s'il n'est théoriquement que le numéro 3 derrière Mao Tsé-toung et Chou En-lai, vieux et très malade, qui lui ont déjà passé le relais.

Le nouveau gouvernement

Premier ministre : Chou En-lai