Dans la nuit du 31 décembre 1974 au 1er janvier 1975, lançant dans la bataille des forces plus importantes que lors des attaques précédentes, ils déclenchent une offensive contre Phnom Penh. Mais, rapidement, leur stratégie montre qu'ils visent moins l'occupation de la capitale que son asphyxie progressive grâce au contrôle du Mékong. Dès le mois de février, le fleuve est fermé à la navigation et les Américains sont obligés de mettre en place un double pont aérien à partir de la Thaïlande et de Saigon afin de ravitailler la population et de fournir en armes et en munitions une armée qui, comme au Sud-Viêt-nam, perd peu à peu les raisons de se battre.

Début mars, la partie est quasiment gagnée, et les événements se précipitent. À Washington, l'opinion publique et le Congrès restent sourds au appels et demandes répétés du président Ford, estimant que ce n'est pas une aide supplémentaire qui renversera la situation. À Phnom Penh, la situation économique est catastrophique, le riz commence à manquer. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Australie, la France évacuent leurs ressortissants et ferment leurs ambassades (à partir du 15 mars, seul un consul représentera Paris). Les Khmers rouges accentuent leur pression sur l'aérodrome, obligeant les Américains à interrompre plusieurs fois leurs ponts aériens. Le 30 mars, Moscou rompt ses derniers liens avec le régime de Lon Nol et décide de ne reconnaître comme seul représentant légal du Cambodge que le GRUNK (Gouvernement royal d'union nationale) du prince Sihanouk (la France fera de même le 12 avril). Le 1er avril, Lon Nol quitte le pays.

Sihanouk reste à Pékin

L'occupation de Phnom Penh par les Khmers rouges n'a pas changé le statut du prince Sihanouk. Il demeure le chef de l'État, mais il reste à Pékin. Cette situation paradoxale n'a pas reçu d'explication officielle. Il semble que Khieu Sampan, l'homme fort du pays, ne tienne pas à ce que le prince, qui a symbolisé l'unité de la résistance au régime Lon Nol, mais qui représente aussi un neutralisme libéral plus proche du monde occidental que du camp communiste, s'installe dans la capitale. Reste à savoir si cette situation peut durer longtemps. À la fin du mois de juin, on laissait entendre dans l'entourage de Sihanouk à Pékin qu'il préférerait se démettre de ses fonctions plutôt que de jouer le rôle d'un chef d'État-fiction... qui n'est le chef d'aucun État.

Capitulation

Le départ du chef de l'État, sous la pression évidente des Américains, n'a pour but que de faciliter une éventuelle solution négociée. Son successeur, le général Saukham Khoy, ira même jusqu'à envisager une « reddition conditionnelle », mais à son tour il quitte le pays. Les États-Unis tentent alors une ultime démarche pour convaincre Sihanouk de rentrer à Phom Penh prendre le pouvoir tandis qu'un Comité suprême, dernier vestige du régime de Lon Nol, lui fait une proposition de cessez-le-feu. Le prince rejette l'un et l'autre : la capitulation sans condition est la seule issue.

Il n'y aura même pas de capitulation réelle. Le 17 avril, après qu'un inconnu, Keth Dara (qui sera vite neutralisé par les troupes du FUNK), eut, à la tête de 200 étudiants, désarmé les quelques soldats républicains qui avaient eu la volonté de résister, les Khmers rouges (uniformes de coton noir, foulard blanc et cocarde rouge à leurs fusils) font leur entrée dans la ville, accueillis triomphalement par la population. Phnom Penh est tombée comme un fruit trop mûr, sinon déjà pourri. Manifestement, la capitale a été conquise trop vite et presque trop facilement par rapport aux prévisions des révolutionnaires. Cela explique peut-être la rapidité des réactions des nouvelles autorités, puisque, le jour de la libération, l'évacuation de la ville est décidée, tandis que les étrangers (1 000 personnes environ) devaient se réfugier à l'ambassade de France. (En deux convois, ils seront reconduits à la frontière thaïlandaise, le 3 et le 8 mai, après avoir vécu totalement isolés dans l'enceinte de l'ambassade.)

L'évacuation de Phnom Penh

L'évacuation complète de Phnom Penh, entre le 17 et le 20 avril 1975, quelques heures après l'arrivée des Khmers rouges, a stupéfié le monde. Personne – aussi bien dans les capitales occidentales que dans les capitales communistes – ne s'y attendait, et le fait qu'aucun journaliste n'ait pu être le témoin permanent de l'événement n'a pas permis d'en mesurer l'ampleur réelle et les conditions exactes. Ce n'est que peu à peu, après avoir recoupé des récits contradictoires et parfois démentis, que la presse internationale est parvenue à reconstituer quelques-unes des étapes de cette évacuation.