Dans l'équipe socialiste, Leburton s'est entouré d'amis sûrs. Il nomme Pierre Falize, son ancien chef de cabinet et son collaborateur direct aux mutualités, ministre de la Culture française. Son ami Willy Claes, étoile montante du socialisme en Flandre, également mutualiste, reçoit le poste clef de ministre des Affaires économiques. Édouard Close, qui dirigea la mutualité des jeunes travailleurs, se voit confier le portefeuille de l'Intérieur et Irène Pétry, la passionnaria des Femmes prévoyantes socialistes, devient secrétaire d'État à la Coopération et au développement.

Voulant avoir des assurances quant à la majorité des deux tiers nécessaire à la mise en route de la régionalisation prévue dans la Constitution rajeunie, Edmond Leburton a donné la préférence à une formule tripartite qui offre au gouvernement une allure de gouvernement d'union nationale. Son gouvernement associe donc les sociaux-chrétiens et les libéraux aux socialistes.

Partis

Cette formule satisfait les libéraux, qui ne voulaient pas apporter leur appui parlementaire sans être associés au pouvoir. Elle précipite toutefois la crise latente au sein de leur parti, et, à Bruxelles, se constitue à côté du PLP un embryon de nouveau parti libéral où l'on retrouve plusieurs sénateurs libéraux influents (Parti libéral démocratique et progressiste).

Cette formule infléchit la politique du gouvernement dans le sens des vœux des milieux d'affaires et des milieux d'indépendants dont le PLP est le défenseur naturel.

Les socialistes, en s'alliant avec les libéraux, s'attirent la mauvaise humeur de leur aile gauche et d'une partie non négligeable des militants syndicalistes. Il est vrai que, depuis des années, on présente le PLP comme le grand rassemblement des conservateurs et des réactionnaires de tout crin. Il n'est pas aisé de détruire d'un seul coup cette image chez les militants socialistes. On leur fait avaler la couleuvre du tripartisme en arguant de la nécessité de résoudre définitivement le contentieux communautaire. Les sociaux-chrétiens flamands ne sont pas plus satisfaits : ils voient d'un mauvais œil un Wallon, socialiste de surcroît, à la tête du pays (c'est la première fois qu'un socialiste wallon devient Premier ministre !).

Quant aux sociaux-chrétiens wallons, ils ont, comme toujours, une représentation ministérielle sans commune mesure avec leur force électorale ; mais ils ressentent durement l'amoindrissement de leur crédit.

Dans leurs congrès, les partis traditionnels ne disent « oui » à Leburton que du bout des lèvres. On compte dans leurs rangs un tiers d'opposants, deux tiers de résignés et guère d'enthousiastes sinon parmi les futurs ministres.

L'opposition, elle, annonce qu'elle mènera la vie dure au gouvernement. Mais ce gouvernement de la résignation est dès les premières semaines violemment secoué, sans que l'opposition y joue le moindre rôle.

Difficultés

La question d'une révision de la législation sur l'avortement est brutalement posée à la suite d'un mandat d'arrêt prononcé à charge du Dr William Peers de Namur, gynécologue réputé, qui reconnaît avoir pratiqué de multiples avortements.

Le Dr Peers fait partie de la Société belge pour la législation sur l'avortement. Une partie de l'opinion publique s'émeut et des manifestations en faveur de la libération du Dr Peers et de la libéralisation des dispositions sur l'avortement sont organisées. Socialistes et libéraux d'un côté, sociaux-chrétiens de l'autre sont en opposition de principe sur ces problèmes. La tâche du ministre libéral de la Justice, Herman Vanderpoorten, devient celle de la conciliation, de la modération et de la temporisation ! (Le Dr Peers est remis en liberté le 20 février, après un mois de détention).

Dès la fin du mois de janvier, on assiste à une première manifestation de rue des lycéens opposés à certains aspects de la réforme de l'armée proposée par Paul Van den Boeynants, ministre de la Défense nationale. Quelque 1 000 jeunes gens se heurtent aux gendarmes. Au début de février, ils sont de 8 000 à 9 000 à s'opposer aux forces de l'ordre ; on compte 50 blessés, lycéens et policiers.