Les Fourons, six communes de l'est du pays, ont été rattachées à la province flamande du Limbourg lors du compromis linguistique de 1963. Les habitants de ces régions ont, à plusieurs reprises, manifesté leur souhait de retourner à la province wallonne de Liège. Mais aucune majorité n'existe au Parlement sans les votes flamands, pour réaliser ce transfert.

Les Flamands font valoir que ce retour des Fourons à la province de Liège impliquerait une révision totale du tracé de la frontière linguistique et qu'ils pourraient exiger notamment le retour de la région de Mouscron-Comines à la Flandre. Cette question des Fourons est devenue, avec le problème de l'aire de l'agglomération bruxelloise, l'un des points délicats des relations entre communautés francophone et flamande.

Les Fourons sont un symbole. Pour la Flandre celui de la victoire sur « l'impérialisme francophone », pour la Wallonie et les francophones celui de la liberté individuelle bafouée au nom du droit du sol. Il n'est donc pas étonnant qu'avec de telles composantes psychopolitiques cette question épineuse – Gaston Eyskens comparait les Fourons à un porc-épic – ait été le point de chute du gouvernement.

Démission

Wilfried Martens, jeune président du CVP, parti social-chrétien flamand auquel appartient Gaston Eyskens, fait savoir en novembre qu'il ne veut d'aucun règlement des Fourons sans être assuré qu'une majorité parlementaire des deux tiers existe pour voter de larges pouvoirs aux régions. Cette majorité n'existant pas par la seule force des deux partis associés au gouvernement, Gaston Eyskens, qui ne trouve pas dans l'opposition les appuis escomptés, est obligé de donner sa démission. Celle-ci intervient après un ultime marathon vespéral de négociations au sein des groupes parlementaires et dans une totale confusion.

Les socialistes accusent le CVP d'avoir assassiné le gouvernement. Mais, à propos des partis associés au pouvoir, Charles Rebuffat, rédacteur en chef du Soir, le journal francophone le plus influent du pays, parle dans son éditorial consacré à la crise de « goût du suicide ». Le gouvernement Eyskens-Cools n'en est pas moins mort le 22 novembre 1972.

Leburton

Jos De Saeger, homme influent du CVP, sorte d'éminence grise, est chargé par le roi d'une mission spéciale : s'informer, négocier et estimer les chances de solution durable. Il fait savoir qu'il n'est pas candidat aux fonctions de Premier ministre. Le candidat est tout trouvé. Edmond Leburton, le « grand chef blanc » du PSB (Parti socialiste belge), qui doit son surnom à la fois à ses qualités d'homme politique et à son casque de cheveux argent, attend depuis des années l'occasion qui se présente. Coprésident du PSB avec Jos Van Eynde, il revendique pour son parti le leadership de la future coalition.

Quand Jos De Saeger est déchargé, après dix-huit jours, de sa mission, Edmond Leburton peut se préparer à former un gouvernement. Il y a bien à son égard quelques tentatives de découragement, mais il franchit avec aisance ces obstacles de dernière minute. Les Flamands lui reprochent de n'être que francophone : ils souhaitent, dans un pays où se côtoient deux grandes communautés culturelles, que le Premier ministre soit bilingue.

Le Wallon Leburton, partisan de l'unité de la Belgique, et qui accuse volontiers les fédéralistes de visées séparatistes et d'« aventurisme politique », s'efforce de prononcer quelques mots dans la langue de Vondel dans toutes les manifestations officielles où l'entendent des Flamands. L'offensive contre son unilinguisme est si violente que Le Peuple lance cet avertissement aux futurs partenaires sociaux-chrétiens : « Ce sera Leburton ou les élections ! »

Gouvernement

Les sociaux-chrétiens doivent faire contre mauvaise fortune bon cœur : les socialistes sont un parti fort et uni (encore que leurs Bruxellois francophones soient rebelles), dirigé par deux coprésidents, l'un wallon, l'autre flamand, tandis que le CVP et le PSC, jadis deux ailes d'un même parti, sont devenus deux partis distincts (qui tentent de se ressouder) avec chacun un président. Chargé de former le gouvernement vers la mi-décembre, Leburton y parvient à la fin janvier 1973. Son équipe, la plus nombreuse de l'histoire belge, compte 36 ministres et secrétaires d'État (13 socialistes, 9 CVP, 6 PSC, 4 PVV et 4 PLP, c'est-à-dire dans ces deux derniers cas des libéraux flamands et wallons).