Le climat de confiance n'en a pas été pour autant rétabli auprès des travailleurs, et certaines couches sociales, plus durement éprouvées par le coût de la vie, n'ont pas hésité parfois à donner à leur mouvement un caractère nettement antigouvernemental. Les fameuses Panthères noires, composées pour l'essentiel de juifs d'origine orientale, ont exprimé tout au cours de l'année, et d'une façon souvent violente, le mécontentement ressenti par beaucoup, allant jusqu'à exiger la démission du Premier ministre et réclamer la fin de la discrimination entre les communautés.

Juifs soviétiques

Cette discrimination, que les dirigeants israéliens se refusent d'admettre, s'est manifestée sans détour par l'arrivée massive de juifs soviétiques.

On a pu parler à ce propos d'un véritable pont aérien Vienne-Tel-Aviv, acheminant presque quotidiennement des centaines de personnes. Pour l'ensemble de l'année 1971, environ 12 000 juifs ont quitté l'Union soviétique, dont 4 450 au cours du premier semestre 1972.

Ces vagues d'émigrants — les plus importantes depuis une dizaine d'années — ont créé et continuent de créer d'énormes problèmes aux autorités israéliennes, responsables de cette digestion. Il a fallu avant tout créer des emplois, construire des logements et développer l'industrialisation du pays. Le juif russe arrive, en effet, pratiquement sans bagages, sans argent, puisque le visa lui a déjà coûté à lui seul 1 000 dollars. C'est un homme, affirment les services d'émigration, extrêmement difficile à manipuler, ombrageux et méfiant malgré son sionisme farouche. Tout est nouveau et déconcertant pour ce nouveau venu. Ces facilités accordées aux derniers arrivants apparaissent normales dans un pays qui manque encore d'hommes et qui, pour beaucoup de raisons, se doit de les assimiler très vite.

Coalition

Mme Golda Meir, curieusement, n'a jamais été aussi populaire. Les sondages effectués ces douze derniers mois prouvent que la bonne grand-mère conserve la confiance d'une grande partie de l'opinion publique. Son pouvoir, néanmoins, a été quelque peu ébranlé, et des scissions sont apparues dans la coalition gouvernementale à propos du mariage religieux. Fin juin 1972, le parti Mapam (tendance de gauche) décidait par un vote à une large majorité de soutenir un projet de loi autorisant les mariages civils. Le parti religieux national, numériquement le plus important, s'opposait violemment à ce projet et menaçait de quitter le gouvernement s'il était approuvé.

Usant de toute son autorité et menaçant de démissionner, le Premier ministre ramenait à la raison les brebis égarées, en faisant valoir que la coalition devait observer une stricte discipline. Reste qu'il n'existe pas de mariage civil dans ce pays où les quatre cinquièmes de la population — qui a dépassé trois millions d'habitants cette année — sont athées ou indifférents.

En janvier, une lame de fond devait également miner la cohésion du gouvernement. Dans son hebdomadaire à sensation, Haolam Hazé, Uri Avnery, député de gauche non conformiste, accusait le général Dayan, ministre de la Défense, d'enfreindre les lois réglementant les fouilles archéologiques et de vendre à son profit une partie du trésor qui ne lui appartenait pas. En filigrane apparaissait la lutte pour la succession de Golda Meir entre Ygal Allon, vice-président du Conseil, et le vainqueur de la guerre des Six-Jours. Finalement, Moshé Dayan prouvait qu'il était totalement étranger à ce scandale.

Ces luttes intérieures font presque oublier que le pays est toujours en guerre. Il est vrai que les menaces du président égyptien Anouar El Sadate n'ont, au demeurant, jamais été prises au sérieux. C'est en effet avec une parfaite sérénité que les Israéliens ont attendu la fin de l'année 1971, qualifiée de « décisive » par le successeur du Rais. Le nouvel an a été franchi sans encombre et sans un coup de canon. Le général Bar Lev, qui, au même moment, quittait son commandement de chef d'état-major de l'armée israélienne, pouvait alors déclarer : « Les Égyptiens n'ont pas envie de faire de nouvelles expériences militaires après avoir perdu une guerre de mouvement et une guerre de position. »