Jamais la résistance palestinienne — par commando interposé — n'avait frappé aussi cruellement, aussi sauvagement. Les services de sécurité n'avaient pas eu l'idée de se méfier de trois Asiatiques polis, trois militants de l'Armée rouge unifiée, qui n'ont, a priori, absolument rien à voir avec le conflit israélo-arabe. De surcroît, vingt et un jours auparavant, les forces israéliennes avaient reconquis de haute lutte sur les fedayin un Boeing de la Sabena, immobilisé à Lod. La leçon semblait avoir été psychologiquement payante, et l'on imaginait mal que le docteur Habache puisse utiliser des révolutionnaires d'un continent lointain.

Drôle de paix

Cet épisode tragique de la piraterie aérienne, mêlée ici intimement à la guérilla palestinienne, devait entraîner dans la même semaine une opération de représailles sur le Sud-Liban, où cinq officiers supérieurs syriens étaient capturés.

Il n'empêche qu'Israël continue de s'installer de plus en plus confortablement dans la drôle de paix. Certes, le bruit du canon se fait parfois entendre, comme en mars et en juin, au cours d'opérations de nettoyage dans le Fathaland libanais, mais sur les trois autres lignes de démarcation le calme règne. D'ailleurs, le cessez-le-feu sur le canal de Suez n'a-t-il pas été reconduit ipso facto au début de l'année ? Pour la première fois peut-être depuis la guerre des Six-Jours un sentiment général de sécurité s'est installé dans le pays.

On entend parler de profits de guerre, de complexes militaro-industriels, et un débat s'est même engagé sur le point de savoir s'il existait ou non en Israël (où ont trouvé refuge coup sur coup un criminel américain et un Français poursuivi pour escroquerie) une filiale du syndicat du crime d'outre-Atlantique. La soif de consommation et la recherche du bien-être ont en tout cas mobilisé nombre d'hommes d'affaires nationaux et internationaux.

C'est ainsi que les secteurs de pointe commencent à se développer rapidement (matériel téléphonique, équipements à usage militaire, aviation, etc.) et que le ministre des Finances, Pinhas Sapir, a pu indiquer que les exportations israéliennes avaient doublé en quatre ans, pour atteindre 1 800 millions de dollars en 1971.

Inflation

Pourtant ces facettes brillantes ne doivent pas détourner l'attention de facteurs qui appartiennent en propre aux nations en voie de développement. Le record à l'exportation, par exemple, est insuffisant pour éviter que la balance commerciale, en raison de la fourniture d'avions de combat par les États-Unis, ne soit largement déficitaire. Elle devait s'élever cette année à 1 335 000 dollars, ce qui représente une augmentation d'environ 11 % par rapport à l'année dernière. La dette extérieure représentera, en 1972, quelque 4 200 millions de dollars, c'est-à-dire le taux d'endettement le plus élevé du monde par habitant (1 333 dollars).

Les conjoncturistes commencent à s'inquiéter de cette situation, tout en faisant remarquer que l'économie du pays reste essentiellement axée sur l'effort de guerre où, cette année encore, le budget de la défense a dépassé les 5 700 millions de livres. La crise monétaire internationale, qui a contraint l'État hébreu à dévaluer sa monnaie en août 1971, n'a cessé d'alimenter l'inflation et de plonger les experts dans les affres d'une difficile arithmétique. Un train de sévères mesures a été envisagé : par exemple, un arrêt complet de toute construction d'utilité publique ou la vente de propriétés immobilières gouvernementales. Mais la course prix-salaires n'a cessé de se poursuivre, au point qu'un kilo de viande correspond aujourd'hui au montant d'une journée de travail. Les Israéliens, qui ont pourtant le sens de l'humour, n'ont guère goûté cette boutade du ministre des Finances : « Si la viande coûte trop cher, mangez du poulet ! »

Grèves

La dynamique de croissance s'est, par conséquent, trouvée paradoxalement ralentie par un climat de grogne et de rogne. Ce qui a fait dire au Premier ministre Golda Meir que « le véritable danger qui guettait Israël n'était pas à l'extérieur, mais à l'Intérieur ». Des grèves sauvages — manifestations de revendications pratiquement inconnues jusqu'alors — ont éclaté, particulièrement à l'automne 1971, dans les secteurs publics et étatiques (douaniers de l'aéroport de Lod, employés du port d'Ashdod, facteurs, etc.). Pour faire face à ce vent de fronde, le gouvernement, à deux reprises, a fait appel aux tribunaux, qui ont exigé des grévistes la reprise du travail. C'était la première fois dans l'histoire du mouvement ouvrier que de telles décisions étaient prises contre ceux que Golda Meir a qualifiés de houligans, voire de collaborateurs, comme le quotidien Maariv. Un projet de loi devait être aussitôt adopté par le conseil des ministres afin de réglementer le droit de grève et conférer un caractère légal aux conventions de travail signées dans le secteur public.