En septembre, il procède — pour la troisième fois depuis le conflit de juin 1967 — à un remaniement de l'état-major. Cela lui permet tout à la fois d'éliminer des hommes tenus pour responsables de revers militaires, de redonner confiance à ses troupes et de convaincre l'opinion que les complaisances du passé ne se reproduiront plus.

Nasser manifeste une égale fermeté à l'égard du personnel politique. Le 21 septembre, un scandale éclabousse l'un des hommes les plus en vue du régime : Ali Sabri, intime collaborateur du chef de l'État depuis son accession au pouvoir, en 1952, et dirigeant du parti unique, l'Union socialiste arabe. L'officieux Al Ahram, en effet, annonce qu'Ali Sabri à démissionné de tous les postes qu'il occupait à la suite de l'inculpation pour fraude douanière de certains membres de son entourage. Il est remplacé par Chaaraoui Gomaa, ministre de l'Intérieur, à la Commission de l'organisation, mais conserve, sur la demande du Raïs, toutes ses autres fonctions, notamment au comité exécutif, l'organisme suprême du parti. Cette demi-disgrâce est généralement interprétée comme une mesure destinée à réduire l'importance d'un homme qui tendait à occuper une place démesurée au sein de l'appareil de l'État.

Tel aurait été également le but de la nomination comme ministre de l'Information, à la faveur d'un remaniement ministériel le 26 avril 1970, de Mohamed Hassanein Heykal, rédacteur en chef d'Al Ahram et confident du président égyptien. Contraint d'accepter des responsabilités gouvernementales, malgré ses protestations réitérées, Heykal paraît perdre ainsi la position privilégiée d'éminence grise qu'il occupait. Peu après, d'ailleurs, deux de ses proches collaborateurs sont arrêtés par les services secrets : sa secrétaire privée, Nawal Mahalaoui, et Loutfi El-Kholi, rédacteur en chef d'Al Talia (l'Avant-garde), revue mensuelle publiée par Al Ahram. La presse égyptienne fait le silence sur ces arrestations. Des informations publiées à l'étranger font état d'un complot contre la sûreté de l'État, tout en mettant hors de cause Heykal.

Tous les pouvoirs dans la même main

Vingt et un mois après la démission de la vice-présidence de la république de Zakarya Mohyeddine, le chef de l'État égyptien décide, le 20 décembre, de lui donner un successeur en la personne d'Anouar El-Sadate, ancien président de l'Assemblée nationale, qui se distingue surtout par sa fidélité inconditionnelle au Raïs. Ce dernier concentre pratiquement tous les pouvoirs entre ses mains : il est tout à la fois président de la République, président du Conseil, secrétaire général du parti et commandant suprême des forces armées. En outre, il veille personnellement au maintien de l'ordre.

Il réussit à affaiblir les groupes d'opposition, notamment parmi les étudiants, dont plusieurs dizaines de milliers sont enrôlés pour la durée de la guerre. Il neutralise les gauchistes, qui prônent une guerre à la vietnamienne contre Israël.

Situation économique favorable

D'autres facteurs, cependant, favorisent le pouvoir. Le rétablissement spectaculaire de l'économie, les concessions accordées à la bourgeoisie et des mesures sociales en faveur des classes populaires engendrent un climat d'apaisement. Le coût de la vie est stabilisé ; les ouvriers bénéficient d'augmentations de salaires ; d'exceptionnelles récoltes, en particulier de coton et de riz, dont les prix sont en hausse sur le marché mondial, suscitent une certaine aisance dans les campagnes.

En outre, aux termes de la troisième réforme agraire, décrétée le 16 août 1969, plusieurs milliers d'agriculteurs accèdent à la propriété terrienne, dont le plafond a été abaissé de 100 à 50 feddans par personne (soit 21 ha) et à 100 feddans par famille. Pour la première fois depuis de nombreuses années, la balance des paiements est excédentaire et la balance commerciale s'équilibre. La production industrielle et agricole connaît un essor appréciable. Celle du pétrole fait un bond, en un an, de 12 à 18 millions de tonnes, ce qui procure au gouvernement une nouvelle source de devises. Le projet de construction d'un oléoduc Suez-Alexandrie se concrétise, le 13 juillet 1969, par l'adjudication des travaux à un consortium européen, présidé par la firme française SOCEA, filiale de Pont-à-Mousson.

Relations avec le monde arabe

Dans le domaine diplomatique, le président Nasser pratique une politique empreinte de prudence, en particulier à l'égard du monde arabe. Il s'efforce d'entretenir de bons rapports à la fois avec les régimes conservateurs, dont certains renflouent le budget égyptien, et les États progressistes. En décembre, il tente de concilier les intérêts de l'Arabie Saoudite et ceux de la république populaire du Sud-Yémen, qui revendiquent toutes les deux la région frontalière de Wadia. En octobre-novembre, il agit en médiateur entre Libanais et Palestiniens, qui concluent sous son égide un accord scellant leur collaboration. De même, son intervention contribue à rétablir le calme en Jordanie quand des conflits opposent, en février et en juin, le roi Hussein aux organisations de fedayin.