Journal de l'année Édition 1991 1991Éd. 1991

Les éternels insatisfaits pourront toujours prétendre que l'Écosse n'envoie pas la balle aux ailes, recherche systématiquement l'axe profond, n'enchaîne qu'au ras de la mêlée et ne se découvre que sur le côté fermé, ils n'ont pas tort. Mais, comme le souligne son entraîneur, Ian McGeechan, « cela ne fait que trois ans que nous travaillons pour améliorer la variété de nos attaques. Ce n'est pas la peine de brûler les étapes. Il faut d'abord profiter de ce qui peut nous faire gagner les matches et ensuite, doucement, progressivement, y ajouter autre chose. Une plus grande prise de risques par exemple. Alors peut-être arriverons-nous à ce moment-là au niveau des All Blacks. »

Championnat de France

Le Racing Club de France est parvenu après une finale à suspense, au cour des prolongations, à remporter son septième titre de champion par 22 points à 12, aux dépens d'une équipe agenaise timorée et agressive n'hésitant pas à sortir la « boîte à gifles » pour compenser son manque d'imagination. Ce n'est pas pour rien que le XV du président Ferrasse n'a pas marqué un seul essai depuis les quarts de finale. Un élément essentiel fit pencher la balance du côté des Parisiens : leur domination à la touche, surtout si l'on prend en compte la qualité des ballons conquis. Mieux que les Agenais, ils surent jouer en avançant lorsqu'ils portèrent la balle, que ce soit par leurs avants ou leurs trois-quarts. Les hommes de Pierre Berbizier, en revanche, réalisent une première période catastrophique dans le jeu au pied, à l'image de leur demi d'ouverture Pierre Montlaur. Obnubilé par la peur de perdre, Agen avait choisi la tactique de la ligne Maginot, l'épreuve de force. En pure perte. Il s'est battu lui-même parce qu'il n'a pas osé tenter vraiment sa chance en utilisant son potentiel. Il n'était entré sur la pelouse que pour vaincre à n'importe quel prix, sans gloire, sans panache, comme en 1988 contre Tarbes. Il a échoué et ce n'est que justice.

La victoire est finalement revenue à la formation qui sut le mieux contrôler les points forts de l'adversaire, les annihiler, en employant toutes les ficelles, quitte à encourir des pénalités. Mais aussi à celle qui fit preuve de la plus grande fraîcheur physique et morale, de la plus grande activité grâce à une 3e ligne formée de Blond, de Deslandes et du miraculé Laurent Cabannes, auteur d'un essai. Au coup de sifflet final de l'arbitre, le Racing, tombeur de la forteresse agenaise, pouvait fêter son premier titre depuis trente et un ans, annonçant peut-être un règne de longue durée. Le rugby a en tout cas fait éclater ses frontières, le pouvoir du jeu a changé de région.

En challenge Yves-du-Manoir, neuvième succès pour Narbonne, vainqueur de Grenoble par 24 points à 19, dont 20 marqués par le seul Jean-Marc Lescure.

Équipe de France

Sur ses dix derniers matches, le XV Tricolore a essuyé 7 défaites, touchant le fond à Auch contre la Roumanie, victorieuse en France pour la première fois de son histoire. Ces mêmes Roumains avaient été incapables de dominer les modestes Italiens au cours des éliminatoires de la Coupe du monde. C'est dire la faiblesse actuelle de notre sélection nationale, inexistante cet été en Australie, hormis un sursaut lors du troisième test, et ridicule cet automne face à la Nouvelle-Zélande en tournée à travers l'hexagone.

En deux rencontres, les All Blacks ont mis fin à quatre ans d'illusion et montré comment un sélectionneur-entraîneur a dilapidé l'héritage d'une pensée, d'un style de jeu. Conquêtes déficientes, occupation du terrain déplorable, défense gruyère malgré deux centres malabars, jeu à la main nul, les Français se sont battus eux-mêmes. Leur tâche facilitée par tant de fébrilité et d'insuffisances, inconcevables à un tel niveau, les Néo-Zélandais n'ont même pas eu à forcer leur talent, se reposant essentiellement sur la botte magique de leur demi d'ouverture Grant Fox. Ils ont calmement appliqué les principes de base du rugby, fondés sur la rigueur, le soutien, la récupération et l'efficacité dans le jeu au pied. Mais, au-delà d'une épisodique série de défaites, c'est l'avenir du rugby français qui se trouve en danger. En privilégiant outrageusement le physique, Jacques Fouroux a sacrifié le jeu. La méthode dite « de relevage de bretelles » a vécu, le mérite rugbystique mesuré au nombre de centimètres et de kilos ne suffit plus. Le quinze de France a besoin d'un style de jeu simple, sollicitant ses forces naturelles, si admirées dans les deux hémisphères. Un retour au « French Flair » en somme avec le sérieux en plus. Fini le rugby pourcentage, place maintenant au rugby en liberté.