On cherche donc un rattrapage financier sur le gaz. Il est brutal : les Algériens annoncent unilatéralement à tous leurs partenaires que le prix du gaz passera désormais de 3 à 6 dollars le million de BTU (Bristish Thermal Unit = 252 thermies). Des négociations difficiles s'ouvrent, en mars, avec Gaz de France, comme d'ailleurs avec les acheteurs américains de gaz algérien (la société El Paso importe 10 milliards de m3 de gaz par an pendant 25 ans au prix fixé, en 1979, de 1,15 dollar).

Le 1er avril 1980, c'est l'épreuve de force : l'Algérie suspend ses livraisons de gaz à El Paso. Elle les ralentit, puis les arrête momentanément, le 15 mars, vers la France. Paris, alarmé, affirme alors qu'il ne s'agit plus seulement de prix, mais que la sécurité même de ses approvisionnements est en cause, puisque l'Algérie, qui fournit 12,5 % des besoins français de gaz en 1980, doit à terme couvrir 25 % de la consommation française. Quoi qu'il en soit, la guerre des prix est engagée pour le gaz : les Néerlandais, eux aussi, annoncent une augmentation de 40 % de leurs prix. Cela n'aidera pas au bon déroulement des négociations franco-algériennes.

Au moment où le gouvernement algérien se lance dans cette nouvelle opération concernant le gaz, il ne pouvait prévoir qu'il serait confronté à un problème intérieur, qui prend vite des proportions inquiétantes : la querelle arabo-berbère.

Arabisants

Enfouie depuis des années, elle resurgit avec une violence et une soudaineté inattendues. L'agitation commence à la faculté de droit d'Alger, parmi les étudiants arabisants, en décembre 1979. Il existe deux filières d'enseignement supérieur : l'une est bilingue (français et arabe), l'autre arabisante (arabe seul). Dans un pays où la vie quotidienne et les actes publics continuent souvent à se dérouler en français, les arabisants sont évidemment défavorisés, et ils trouvent difficilement des débouchés. Or la doctrine officielle reste l'arabisation.

Les arabisants (environ 5 000 étudiants sur 30 000 à Alger) accusent donc le pouvoir de les avoir poussés dans une voie sans issue. Ils font une grève de trois mois, très dure, qui touche Alger, Constantine, Oran, Annaba, et qui prend parfois des accents intégristes musulmans qui inquiètent le pouvoir.

Le gouvernement pliera finalement et donnera satisfaction aux grévistes : l'usage du français est remis en question dans certaines disciplines, l'arabe est introduit dans les sections scientifiques et techniques. Il est matière obligatoire et essentielle dans tous les examens. Enfin, le FLN fixe les échéances pour arabiser la vie quotidienne et administrative : l'arabisation doit être totale dès 1985.

Berbères

Comme il était à prévoir, les francophones d'origine berbère réagissent à leur tour contre cet « impérialisme culturel ». Ils réclament droit de cité pour leur culture, la culture kabyle, et pour leur langue, le berbère. Ils s'élèvent surtout contre l'arabisation totale. Ce qui était au début une révolte purement étudiante devient très vite une profonde revendication berbère touchant toute la Kabylie.

La révolte commence le 10 mars, lorsque l'écrivain Mouloud Mammeri se voit interdire de donner une conférence sur « la poésie kabyle ancienne » à l'université de Tizi Ouzou.

Les étudiants, à Tizi Ouzou et à Alger, se mettent en grève et occupent l'université. La police réprime très brutalement une manifestation à Alger, le 7 avril : on parle d'une centaine de blessés. Une agitation permanente s'installe dans les universités. Le pouvoir semble ne pas la prendre très au sérieux. C'est un tort : le 16 avril, une grève générale immobilise toute la Kabylie. Les ouvriers et les commerçants se solidarisent avec les étudiants retranchés dans leur université à Tizi Ouzou. Le dimanche 20 avril à l'aube, les forces de l'ordre — police et armée — prennent d'assaut l'université et l'hôpital.

Du coup, c'est un début d'émeute qui embrase la Kabylie : des bâtiments officiels sont saccagés, des voitures brûlées. Toute la région est encerclée pendant trois jours, des heurts très violents opposent l'armée aux ouvriers des usines de tissage, aux médecins de l'hôpital, aux étudiants et aux jeunes Kabyles venus de la montagne. Il s'agit bien d'une révolte profonde contre le pouvoir central et non plus seulement d'une querelle linguistique.