Mais, surtout, la chute de l'ancien régime constitue aussi une victoire des petites gens, et notamment du sous-prolétariat de la capitale et du petit peuple rural de l'hinterland, sur l'establishment afro-américain, qui représente à peine 5 % de la population totale.

William Tolbert était issu de ce lobby, comme William Tubman dans l'ombre duquel, avant de lui succéder, il avait travaillé durant plus de vingt ans en qualité de vice-président. Comme toutes les familles afro-américaines, celles de Tubman et de Tolbert étaient apparentées. Ayant maintenu un système de domination politique, économique et sociale basé sur l'inégalité, les deux hommes avaient, comme les dix-sept personnalités qui les précédèrent à la tête de l'État libérien, gouverné au profit exclusif de leur caste. Certes, Tolbert avait promulgué des réformes non négligeables (abaissement de l'âge légal des électeurs, suppression de l'impôt sur les cases), mais, en dépit d'une bonne volonté évidente, il restait, par toutes les fibres de son être, inféodé aux grosses entreprises locales et, à travers elles, aux firmes multinationales.

Brutale mutation

L'assassinat de Tolbert et celui de plusieurs de ses ministres, l'arrestation le 14 juin de son fils dans les locaux de l'ambassade de France, les conditions scandaleuses dans lesquelles ont immédiatement été instruits certains procès, les pillages et les brimades qui ont accompagné la prise du pouvoir par les militaires faisaient redouter une situation dangereusement instable. Bien que le Conseil populaire de rédemption des militaires ait eu soin de placer de nombreux opposants civils au sein du cabinet, dont Gabriel Bacchus Matthews au poste de ministre des Affaires étrangères, les inquiétudes se sont manifestées, tant à Monrovia qu'à l'extérieur du pays.

Tout en proclamant sa volonté d'« instaurer l'égalité économique et sociale », le jeune chef de l'État (il est âgé de 28 ans) s'est donc employé à rassurer dès son premier discours. Il s'est engagé à tourner le dos à « la chasse aux sorcières et à protéger la propriété privée et les fruits du travail honnête ». Bien plus, il a indiqué que les anciens ministres reconnus innocents de corruption pourraient collaborer avec les nouvelles autorités.

Pour le Libéria, cette mutation brutale efface l'image d'une caste indestructible d'hommes d'affaires solidement en place. Cette situation est une invitation à revoir certaines idées reçues sur la patrie du sergent-chef Samuel K. Doe ; par exemple, celle de la dernière vitrine africaine de l'Empire américain et celle de l'État de la Firestone. Depuis de longues années déjà, les Américains n'étaient plus les seuls investisseurs locaux, de plus en plus largement relayés par les Suédois, les Allemands et les Japonais — voire les Italiens. Depuis longtemps également, le latex avait cessé d'être la principale ressource d'exportation du Liberia — remplacé par le minerai de fer, dont le pays est le premier exportateur africain.

Reste un cliché traditionnel, vivace, et encore exact : celui d'un État possédant, grâce à l'artifice du pavillon de complaisance, la première flotte marchande du monde.

Libye

Tripoli. 2 750 000. 2. *3 %.
Économie. PIB (77) : 7 422. Productions (77) : A 2 + I 69 + S 29. Énerg. (76) : 1 589. CE (77) : 53 %.
Transports. (75) : 263 100 + 131 300. : 885 000 tjb. (77) : 479 M pass./km.
Information. (75) : 2 quotidiens ; tirage global : 41 000. (76) : 110 000. (75) : 10 000. (75) : 30 000 fauteuils ; fréquentation : 23 (73) : 64 000.
Santé. (76) : 2 558.
Éducation. (76). Prim. : 592 239. Sec. et techn. : 198 330. Sup. (74) : 11 997.
Armée.  : 42 000.
Institutions. État indépendant le 24 décembre 1951. République proclamée par le coup d'État militaire du 1er septembre 1969, qui renverse la monarchie constitutionnelle du roi Idriss Ier. Devient République arabe populaire libyenne le 22 novembre 1976. Chef de l'État : colonel Moammer el-Kadhafi, demeuré le véritable maître bien que démissionnaire de toutes ses fonctions officielles le 1er mars 1979. Secrétaire général du Congrès général du peuple : Abdel Atti el-Abidi ; secrétaire général adjoint : Mohamed Zwai. Président du Conseil : commandant Abdel Salam Jalloud.

Les revirements et la diplomatie coup de poing du colonel Kadhafi

Le régime de Tripoli connaît ses premières sérieuses difficultés intérieures, à la suite de l'intensification de la révolution culturelle qui aliène des secteurs de plus en plus nombreux de l'opinion. À partir de septembre 1979, les comités révolutionnaires étendent leurs activités à l'extérieur des frontières libyennes et commencent, à l'appel du colonel Kadhafi, à prendre le contrôle des ambassades libyennes à l'étranger, transformées en bureaux populaires. Les diplomates chevronnés, soupçonnés de tiédeur révolutionnaire et accusés d'avoir une mentalité de fonctionnaires, sont évincés progressivement de leurs fonctions et remplacés par des inconditionnels, partisans d'un nouveau style de travail plus percutant.

Incohérences

L'application des principes de la démocratie directe dans le domaine de la diplomatie explique en grande partie les incohérences de la politique étrangère libyenne fondée désormais sur l'« action révolutionnaire des masses ». C'est ainsi que, tout en réaffirmant vers la mi-novembre sa solidarité avec le régime de Téhéran, la Libye condamne à propos de l'affaire des otages américains « toute action contre les missions diplomatiques et leur personnel ».