En dépit de ces multiples précautions constitutionnelles, les dirigeants de Belgrade envisagent avec une certaine angoisse l'éventualité de la disparition du maréchal, qui reste, avec Franco et Mao, le dernier survivant des Grands qui ont marqué l'histoire du siècle. Alors que, ces dernières années, Belgrade craignait avant tout pour l'unité du pays, sans cesse menacée par les tendances séparatistes qui agitent les 6 républiques et les 2 territoires autonomes, il semble qu'en 1974-1975 ce soit la place de la Yougoslavie d'après-Tito dans le monde qui préoccupe les dirigeants yougoslaves. La pérennité de la fédération ne peut être assurée, pense-t-on à Belgrade, qu'en préservant à l'intérieur l'autogestion et, à l'extérieur, un strict non-alignement.

Ce souci d'équilibre dans les relations internationales se traduit notamment au niveau des voyages officiels du chef du gouvernement. Djemal Bijedic se rend à Washington (en mars), puis à Moscou (en avril) ; il se rendra à Pékin avant 1976.

Normalisation

De même, Belgrade s'efforce d'améliorer, ou de renforcer, ses liens avec ses voisins immédiats, plus ou moins susceptibles de se rallier à sa conception du non-alignement. D'où la normalisation des rapports avec l'Albanie et le développement des relations avec la Roumanie.

La Yougoslavie et l'URSS ont adopté une position presque similaire à la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) à la réunion des MBFR (Négociations sur la réduction des forces en Europe centrale) ou aux réunions préparatoire sur le sommet des PC européens, ont franchi un nouveau pas en élaborant ensemble un chasseur à réaction (de la classe du Mig-21), qui fut présenté en grande pompe à la presse internationale le 15 avril.

Enfin, la Yougoslavie s'intéresse de très près à deux expériences originales, celle du Portugal et celle du Viêt-nam. En accord avec Bucarest, Belgrade souhaiterait obtenir, ou provoquer, le retrait simultané du Portugal de l'OTAN, et de la Roumanie du pacte de Varsovie. Quant au Viêt-nam, Belgrade estime que les autorités de Hanoi et de Saigon chercheront maintenant à garder leurs distances à l'égard de Moscou et de Pékin, ce qui, implicitement, ne peut que consolider la ligne yougoslave.

Simultanément, les dirigeants de Belgrade s'efforcent de constituer une sorte de front des pays méditerranéens en s'appuyant au départ sur Le Caire et Alger, mais dans l'espoir d'y attirer ou d'y intéresser l'Italie, la Grèce et la France. La visite de Jean Sauvagnargues à Belgrade (mai 1975) a d'ailleurs permis d'effacer tous les malentendus entre les deux pays.

Kominformistes

Les relations entre Belgrade et Moscou ont été marquées par deux périodes de tension, à l'automne 1974 et au printemps 1975.

En septembre, la presse yougoslave annonce, à grand renfort de publicité, la découverte d'un groupe de kominformistes (terme qui désigne les partisans de la reconstitution d'une structure permanente des pays socialistes ; c'est le Kominform qui avait mis la Yougoslavie au ban de la société socialiste en 1948). Ce terme désigne essentiellement, à l'heure actuelle, les partisans de Moscou.

Début octobre 1974, l'Union soviétique riposte en organisant en Hongrie, dans la région du lac Balaton, à une centaine de kilomètres de la frontière yougoslave, de grandes manœuvres conjointes avec l'armée hongroise.

Alors que la presse est-européenne critique vivement (mais sans la nommer) la Yougoslavie, les autorités de Belgrade répliquent par une série d'exercices auxquels participent des unités militaires, mais aussi des formations de défense populaire civiles.

Belgrade annonce, en mars, la découverte d'un nouveau groupe de kominformistes. Au même moment, une vive polémique éclate entre les deux pays au sujet du rôle respectif de l'armée rouge et de la résistance yougoslave. Le maréchal Yakoubovski, commandant en chef du pacte de Varsovie, ayant minimisé le rôle de la résistance yougoslave dans un article publié le 2 avril par le journal tchécoslovaque Rude Pravo, le maréchal Tito lui répond très violemment, n'hésitant pas, au passage, à dénoncer le ralliement plus que tardif de la Bulgarie à la lutte antifasciste. Tito va jusqu'à déclarer : « J'ignore si l'armée bulgare a mené de durs combats. »