Le Viêt-nam (non encore réunifié, mais soudé par la même idéologie) constitue la plus puissante nation du Sud-Est asiatique. Avec ses 45 millions d'habitants et une armée qui, du fait de la récupération du matériel américain, est l'une des plus fortes et des plus modernes du monde, le Viêt-nam devient un pays clef. Les choix politique et économique qu'il fera, les modèles qu'il proposera, les relations qu'il nouera avec les autres nations déterminent l'avenir même de cette région, dominée jusque-là par les Américains.

Il aura fallu, en définitive, une troisième guerre du Viêt-nam pour parvenir à la paix. Les accords de Paris, signés en janvier 1973 (Journal de l'année 1972-73) entre Hanoi, Saigon, Washington et le GRP n'ayant jamais été appliqués dans leurs clauses essentielles, il était inévitable que la lutte reprenne entre les troupes du GRP et celles du général Thieu. Une lutte à la fois militaire et politique.

De janvier 1973 à juin 1974, les combats – avec des hauts et des bas – ne cessent pratiquement pas. L'issue en reste incertaine. Le chef de l'État sud-vietnamien, fort du soutien matériel des États-Unis, contrôle toutes les capitales provinciales. Maître absolu du pays, il s'oppose à la création d'un Conseil national de la réconciliation à trois composantes (GRP, Saigon, neutralistes), susceptible de débloquer la situation. Le GRP, pour sa part, contrôle de vastes zones où il s'efforce d'implanter son administration.

Paradoxalement, ce sont les Américains qui portent (sans en mesurer l'ampleur) un premier coup à leur protégé. En août 1974, ils décident de réduire de manière substantielle leur aide militaire au Sud-Viêt-nam : Washington prend peu à peu conscience que le général Thieu n'est plus l'homme de la situation.

L'effondrement de l'économie sud-vietnamienne (la piastre sera dévaluée pour la dixième fois cette année), l'extension et le renforcement des zones communistes, la lassitude et le doute qui s'emparent des troupes gouvernementales, une opposition de plus en plus vive encore renforcée par la communauté catholique, pourtant globalement conservatrice, sont autant de signes de la déliquescence du pouvoir.

Deux journalistes français tués

Cette année encore, des journalistes sont morts dans l'exercice de leur métier d'informateurs. Paul Léandri, correspondant de l'agence France-Presse au Sud Viêt-nam, est tué le 14 mars d'une rafale de mitraillette tirée par un policier. Il avait été convoqué par les services de l'immigration pour être interrogé sur l'origine d'une information. Le 27 avril, au moment de l'avance des troupes du GRP, Michel Laurent, photographe de l'agence Gamma, et Christian Hoche, envoyé spécial du Figaro, sont pris dans un accrochage. Le premier est tué au cours de la fusillade. Le second, grièvement blessé. Quarante-huit correspondants de presse, photographes et cameramen sont morts durant la guerre d'Indochine. Vingt-six sont portés disparus.

Déroute

La marge de manœuvre du chef de l'État se réduit de jour en jour et, à Washington, on envisage même une déposition de l'homme fort du Sud Viêt-nam pour le remplacer par une personnalité plus crédible.

On ne change pas de monture au milieu du gué. Thieu et ses alliés américains sont pris de vitesse par le GRP. Le gouvernement révolutionnaire, soutenu par les forces nord-vietnamiennes, semble avoir estimé que le fruit était mûr et déclenche, à la mi-décembre, une grande offensive le long de la frontière cambodgienne et dans le Delta.

Pendant plusieurs semaines les combats font rage et, le 7 janvier, Phuoc Binh, chef-lieu de la province de Phuoc Long, tombe aux mains des révolutionnaires. C'est le commencement de la fin ou, plutôt, le début d'une débâcle, car autant jusque-là l'armée de Saigon avait résisté aux assauts de ses adversaires, autant, à partir de mars, elle abandonne le terrain sans se battre réellement, permettant au GRP d'occuper la totalité du pays en un mois et demi. Des erreurs de stratégie et la réduction de l'aide américaine expliquent sans doute en partie cette déroute, mais la véritable cause est que l'armée de Thieu, en dépit d'un matériel ultramoderne, est une armée sans conviction, qui a perdu peu à peu ses raisons de lutter. Tout, désormais, va aller très vite.