Le 10 mars, les forces du Front occupent, après un tir d'artillerie, la ville de Ban Me Thuot, capitale de la province de Darlac, dans les hauts plateaux ; en trois jours, ils prennent le contrôle de trois chefs-lieux de districts. Les éléments basés à Kontun et Pleiku, au nord de la zone des combats, reçoivent l'ordre de porter secours à Ban Me Thuot, mais ils ne parviendront pas au lieu de leur mission. Les deux villes sont déjà encerclées par les révolutionnaires. C'est alors que le général Thieu, craignant de voir son armée disloquée et décimée systématiquement, décide d'abandonner à son adversaire la majeure partie des hauts plateaux et ordonne à ses troupes de se replier vers les côtes, de manière à reconstituer dans ces régions plus sûres une base d'attaque. Mais ce qui devait être une retraite stratégique se transforme en déroute. Mal informées, mal commandées, stupéfaites de l'avance communiste, les troupes gouvernementales se replient en désordre, entraînant dans leur sillage des centaines de milliers de civils affolés.

Reddition

En six semaines, le Viêt-nam du général Thieu devient une peau de chagrin. Les unes après les autres, les capitales provinciales. Hué, Da Nang, Quang Tri, Buo Loc, Dalat, Nha Trang, tombent aux mains des troupes du Front, parfois après de brefs combats, parfois sans tirer un coup de feu. Parfois aussi les soldats du Front sont appelés par les habitants eux-mêmes pour mettre fin à la confusion créée par la débâcle. Par avion et par bateau, des milliers de Vietnamiens fuient leur pays (130 000 environ gagneront les États-Unis), tandis que les Américains commencent à évacuer leurs ressortissants. Au milieu d'avril, les forces gouvernementales ne contrôlent pratiquement plus que la région de Saigon – et encore de façon précaire.

Acculé à une défaite inévitable, le président Thieu démissionne le 21 avril 1975, le jour même où saute l'un des verrous qui protègent la capitale : Xuan Loc. Le chef de l'État déclare qu'il a pris cette décision dans l'espoir qu'elle conduirait à un règlement pacifique et éviterait la prise de Saigon. Il critique violemment les États-Unis, qui, selon lui, n'ont pas tenu leurs engagements, et désigne, conformément à la Constitution, le vice-président Tran Van Huong pour le remplacer à la tête du pays.

Pour le GRP, la démission de Thieu (qui s'est réfugié à Formose) est insuffisante. Il exige le départ de Huong, lequel, après avoir ordonné la libération de tous les suspects et de tous les prisonniers politiques, transmet, le 28 avril, ses pouvoirs au général Duong Van Minh, le gros Minh, leader de la troisième force (neutraliste) qui devait être l'élément essentiel du Conseil national de la révolution. Celui-ci lance aussitôt un appel au cessez-le-feu, mais il est désormais trop tard. Un porte-parole du GRP estime que les positions du nouveau chef de l'État ne sont « guère conformes » aux exigences des révolutionnaires et demande aux personnes de la troisième force de se ranger aux côtés du peuple. Pratiquement, le Front réclame une reddition sans condition.

C'est la fin. Le 29 avril, tandis que l'artillerie révolutionnaire bombarde l'aéroport de Tan Son Nhut et que les Américains évacuent par hélicoptères leurs derniers ressortissants, des chars et les troupes du GRP et de Hanoi commencent leur progression vers la capitale. Le 30 avril au matin, après une nuit de folie où les Saigonnais se livrent au pillage des magasins et des installations américaines, le gros Minh, dans une courte allocution, annonce sa reddition inconditionnelle : « Nous allons vous remettre le pouvoir afin d'éviter toute effusion de sang » ; les chars pénètrent dans la ville. À 14 heures, au palais présidentiel, le gouvernement révolutionnaire reçoit la reddition de l'armée et prend en charge l'administration de Saigon.

Réunification

Une nouvelle ère commence pour le Sud Viêt-nam. Ce même 30 avril, le GRP diffuse les points de son programme à la population : fermeture des lieux mal famés, nationalisation des biens ayant appartenu aux Américains ou à des dignitaires de l'ancien régime, liberté de culte, protection des biens (ceux des étrangers en particulier) et « obligation pour tous de soutenir la révolution ». La publication de ces commandements était pour une part inutile, car les Saigonnais se sont, le plus souvent, mis rapidement à l'heure du nouveau régime : un million de personnes assistent aux fêtes de « la victoire de la révolution », du 15 au 17 mars.