Plus grave, l'Histadrouth risque de rendre inutiles les mesures antiinflationnistes en exigeant 17,5 % de hausse générale des salaires pour compenser l'augmentation de l'indice du coût de la vie. L'écart s'étant creusé entre riches et pauvres, ceux-ci n'admettent plus l'austérité que si elle est égale pour tous. Cependant, le gouvernement annonce aussi des mesures qui visent les possédants : impôts plus lourds sur les transactions financières, commerciales, immobilières, foncières ; arrêt des importations d'automobiles, de récepteurs de télévision ; forte taxation des voyages à l'étranger, etc. L'ensemble de ce plan devant réduire de 700 millions de dollars le déficit-gouffre de la balance commerciale ; arrêter l'hémorragie des devises et au contraire, en faire entrer dans les caisses ; refréner une consommation qui n'a jamais autant augmenté (+ 6,5 % depuis la guerre du Kippour : deux fois plus que l'année précédente) ; aplatir, enfin, la double spirale prix-salaires de l'inflation.

Scandales financiers

Voilà les Israéliens à nouveau confrontés avec la contradiction qui engage leur avenir : la condamnation à perpétuité à une économie artificielle de guerre endémique ou l'aspiration naturelle à la vie normale des pays occidentaux développés. Ils peuvent d'autant moins se détourner de cette tentation que leur année de pénitence annoncée par l'État moralisateur baigne dans une incroyable vague de scandales financiers, de krachs bancaires, d'affaires de corruption, pots-de-vin, malversations. À tel point que le gouvernement semble favoriser ces cascades de révélations pour en finir avec les tenants de l'ancien régime, au sein duquel beaucoup sont compromis.

Jugé en mai 1975, l'accusé le plus voyant est justement un ami très proche de Pinhas Sapir, ancien ministre des Finances, chef de l'appareil du parti travailliste au pouvoir, aujourd'hui président de l'Agence juive et responsable n° 1 de l'immigration. Son ami traduit en justice est Mikhaël Tsour, directeur général de la compagnie de navigation ZIM, d'Israël Corporation (donc bras droit du baron Edmond de Rothschild) et administrateur de plusieurs grosses sociétés. Beaucoup d'autres sont dénoncés : le directeur général de la banque Israël-Grande-Bretagne, condamné à douze ans de prison pour détournements ; le directeur général (obligé de démissionner) d'une entreprise de travaux publics créée par la centrale syndicale Histadrouth ; le trésorier d'une œuvre de bienfaisance (ce qui risque de jeter la suspicion sur les autres) ; un haut fonctionnaire de la municipalité de Tel-Aviv ; deux constructeurs de logements, etc.

Même l'armée, pure et dure, garante de la survie de la nation, est aussi gangrenée : un ex-général et un commandant ont touché chèques et cadeaux (dont un service d'argenterie). Tous ces scandales et beaucoup d'autres remplissent les journaux et déclenchent la grogne populaire, lorsque, pour colmater leur trésorerie, les partis politiques réclament à l'État une subvention de 50 millions de livres. Et, surtout, lorsque, moins de trois mois après le lancement du plan d'austérité (vite jugé insuffisant), le ministre des Finances annonce de nouvelles mesures plus dures (notamment de nouveaux impôts) malgré l'augmentation de l'aide américaine qui atteint 700 millions de dollars pour 1975. Présenté par le ministre comme un véritable « budget de guerre », le budget 1975-76 (amputé de 40 % par les dépenses militaires) prévoit une réduction des crédits des ministères, la suppression de 2 200 emplois de fonctionnaires, une hausse des tarifs postaux, des taxes sur certains produits et un impôt de l'employeur : 7,5 % des salaires, en plus des charges habituelles ! Le spectre de la récession et du chômage se dessine. La Histadrouth revient à la charge.

On ne change pas de pilote pendant la tempête. Et puis le Premier ministre Itzhak Rabin est l'interlocuteur préféré des Américains. Deux motifs pour prolonger le sursis d'un gouvernement qui ne dispose que d'une voix de majorité parlementaire, malgré la décomposition du parti travailliste, malgré la dissidence de son ancien secrétaire général, Ariel Eliav, qui fonde un nouveau parti du centre gauche, malgré quelques démissions épisodiques de ministres, malgré l'opposition des faucons du Likoud qui n'arrivent pas à imposer leur participation à un gouvernement d'union nationale.