Auteur d'une thèse sur Metternich qu'il admire, il n'aurait pas pu mieux manigancer lui-même le scénario de l'ONU : les États-Unis ont fait ce qu'ils ont pu pour ne pas trahir Tchang Kaï-chek ; ils ont échoué ; maintenant la route de Pékin est libre. Avec un éclair de malice dans l'œil, Chou En-lai lui-même parle d'« échec confortable pour Washington », feint la surprise et reçoit modestement les félicitations qui pleuvent. Il ne s'empresse pas moins d'envoyer à New York une copieuse délégation de ses meilleurs diplomates pour occuper les fauteuils abandonnés par la Chine nationaliste. Notamment au Conseil de sécurité et, peu à peu, dans tous les organismes des Nations unies.

LE COMMUNIQUÉ sino-américain ne porte pas de signature. Sa longueur, les précautions laborieuses de sa rédaction (qui en ont retardé la publication) ne l'empêchent pas d'être surtout le catalogue des désaccords des deux parties.

Les Chinois ont fait ressortir « la question cruciale qui fait obstacle à la normalisation des relations entre la Chine et les États-Unis » : T'aiwan. Derrière leur intransigeance répétée, une concession non exprimée : Pékin admet que Washington remette à plus tard la rupture avec Tchang Kaï-chek et la reconnaissance de la Chine populaire. En échange, « le gouvernement américain ne conteste pas [...] que T'aiwan est une partie de la Chine » et souhaite voir cette question... « réglée d'une manière pacifique par les Chinois eux-mêmes [...], l'objectif final étant le retrait de toutes les forces et installations militaires américaines ».

Souhaitant coexistence pacifique et normalisation de leurs relations, les deux pays s'engagent à développer les échanges de toutes sortes.

Enfin, à défaut de relations diplomatiques, Pékin et Washington « sont d'accord pour rester en contact par divers moyens... ».

Une poignée de main

Après le passage, fin décembre, à Pékin, d'une troisième mission préparatoire et l'annonce de nouvelles mesures de libéralisation du commerce entre les deux pays, le président Nixon peut précipiter son voyage.

Du 21 au 28 février, avec des crochets par Chang-hai et Hang-tcheou et les escapades touristiques classiques au palais impérial, aux tombeaux Ming et à la Grande Muraille, il séjourne surtout à Pékin, où le président Mao le reçoit, dès son arrivée, pendant une heure (dans sa bibliothèque privée, attention rare) et où, après cette caution suprême pour son initiative, le Premier ministre Chou En-lai lui consacre au total vingt-cinq heures de conversations.

Des consignes de discrétion font paraître indifférente la foule parfois si chaleureuse, mais des queues d'une longueur inhabituelle s'allongent devant les kiosques à journaux, qui enregistrent une vente record d'un numéro historique du Quotidien du peuple dont la première page ressemble à une affiche où s'étalent, très exceptionnellement, six photos des visiteurs américains.

C'est la première fois depuis plus de vingt-deux ans, depuis le départ du dernier ambassadeur américain le 2 août 1949, qu'un président des États-Unis est présenté au peuple chinois autrement que comme un agresseur impérialiste ou un tigre de papier.

À cette détente, la présidente Pat Nixon contribue par son sourire infatigable, son goût du shopping et ses compliments sur le charme de Chou En-lai, qui lui fait expédier, au zoo de Washington, un couple de pandas géants.

Plus pratique, Nixon offre une station de télécommunications, simple amorce d'une aide économique qu'il aurait secrètement promise. Un nouveau plan Marshall, dit-on. Pour la première fois, cinquante hommes d'affaires US sont invités à la foire de Canton.

La nouvelle équipe

À défaut de fêtes officielles où, scrutant la tribune d'honneur, les sinologues mettent à jour la hiérarchie des dirigeants, on a pu faire le point en dressant la liste des présents ou des envois de gerbes à l'occasion de deux enterrements : ceux du maréchal Chen Yi (ministre des Affaires étrangères) et de Hsieh Fu-chih (président du Comité révolutionnaire de Pékin). Élimination confirmée de 8 membres du Bureau politique (qui en comptait 24 après la mort de Hsieh Fu-chih) : Lin Piao, sa femme Yeh Chun, 4 responsables de l'armée (Huang Yung-sheng, Wu Fe-hsien, Li Tso-peng et Chiu Hui-tso), le maire de T'ien-tsin, Li Hseh-feng, et l'ex-secrétaire de Mao, ex-animateur de la Révolution culturelle, Chen Po-ta, suspect d'ultra-gauchisme. Son élimination et celle de Lin Piao réduisent la composition du Comité permanent du Bureau politique à : Mao Tsé-toung, Chou En-lai et Kang Cheng (théoricien qu'on avait cru écarté).

L'affaire Lin Piao

Ces succès historiques de Chou En-lai sont d'autant plus remarquables que, derrière son perpétuel sourire diplomatique, il dissimule une profonde inquiétude : depuis le printemps 1971, une nouvelle crise menace d'ébranler le régime.