Ainsi, le 1er décembre, lors de la grande réunion annuelle du Mouvement dans la vallée des Morts, le président des cercles Jose Antonio Primo de Rivera pouvait-il dire : « Nous avons combattu pour une Espagne meilleure que nous n'avons pas. »

On est en droit de se demander, cependant, si l'on retrouvera la même résignation amère dans l'armée, « garante de l'ordre constitutionnel », selon la loi organique. Également absente du partage de l'héritage, mais fidèle à son rôle de grande muette que lui a attribué une fois pour toutes le Caudillo, l'armée espagnole s'est tenue à l'écart du débat Phalange-gouvernement. Mais le 4 mai 1970, un fait nouveau intervient. Lors d'une prise d'armes qui se déroule à l'école d'état-major en présence du prince Juan Carlos et de l'amiral Carero Blanco, le directeur de l'École, le général Ariza, assure le prince d'Espagne de sa loyauté. Puis il ajoute : « Si l'on exige de nous cette loyauté, il est juste, en contrepartie, que nous sachions ce que nous aurons à défendre et pourquoi nous devrons le faire. » Il se lance ensuite dans une violente critique de la politique du gouvernement à l'égard de l'armée.

Huit jours après, le général Ariza est limogé, mais comme il s'agit d'un chef jouissant d'un grand prestige parmi ses pairs, il est à craindre que ses propos ne reflètent les sentiments d'une grande partie de l'armée. Dans ce cas, les technocrates au pouvoir trouveraient dans les bases mêmes du régime une contestation beaucoup plus redoutable que celle d'une Phalange agonisante.

Sous la houlette bienveillante du Caudillo, le gouvernement des deux Lopez (Rodo à la Planification, Bravo aux Affaires étrangères) lance, avec un extraordinaire dynamisme, ses opérations dans deux directions essentielles : la diplomatie et le développement.

Si les grandes lignes de la politique étrangère du nouveau gouvernement se retrouvent dans les discours des deux maîtres effectifs du régime, Franco et Carero Blanco, sa mise en œuvre revient à Lopez Bravo. Le 30 octobre, à l'issue du premier conseil des ministres du nouveau cabinet, le vice-président affirme : « L'Espagne appartient au monde occidental et c'est vers lui qu'il faut orienter sa politique extérieure [...]. Nous sommes disposés à négocier sur la base des dernières propositions faites par le Conseil des ministres du Marché commun, conscients de ce que la Communauté économique européenne constitue le principal noyau autour duquel se développera la collaboration continentale. » À propos des relations hispano-américaines : « Le gouvernement renforcera encore ses liens avec les États-Unis. »

Un peu plus tard, dans son message de fin d'année, le général Franco lui-même souligne : « L'Europe est plus vaste que les habituels schémas hérités de la dernière guerre pourraient nous le faire penser [...]. Pour cette raison, nos contacts avec les nations de l'Est deviennent plus étroits. »

Délégation soviétique à Madrid

À vrai dire, depuis dix ans déjà, l'Espagne entretient des relations commerciales avec les pays du bloc socialiste, et le prédécesseur de Lopez Bravo au palais de Santa Cruz, Castiella, avait largement amorcé cette politique de rapprochement. Toutefois, c'est au jeune nouveau ministre qu'il appartient d'avoir frappé le grand coup psychologique en osant rencontrer secrètement, le 3 janvier 1970, à Moscou, le vice-ministre des Affaires étrangères soviétiques, Kovialev.

À cette occasion, on a pu évoquer à Madrid l'éventualité prochaine de la signature d'un accord commercial hispano-soviétique et même l'établissement de relations diplomatiques, bien que le sous-secrétaire d'État au Commerce, Cuesta, ait déclaré que les possibilités d'augmentation des échanges commerciaux entre les deux pays « ne supposent pas d'implication d'une autre nature ».

À la fin du mois de mars, une délégation soviétique vient s'établir à Madrid pour s'occuper des affaires concernant la marine marchande de l'URSS. Dès le 14 juillet 1969, les relations diplomatiques sont rétablies avec la Pologne ; des accords commerciaux hispano-hongrois sont signés le 18 décembre ; le 20 avril 1970, une représentation consulaire polonaise s'installe à Madrid.