Dès le 19 août, les premiers manifestants se rassemblent sur la place Wenceslas, à Prague. La police charge. Les Praguois reviennent pourtant toujours plus nombreux le lendemain et le surlendemain. Dans la nuit du 20 au 21, c'est l'émeute. Les chars tchécoslovaques interviennent pour démolir les barricades dressées par les manifestants. On tire à Prague, mais aussi à Brno, on matraque à Bratislava et à Libérée, tandis que toute la Tchécoslovaquie prend le deuil et boycotte les lieux publics. Bilan de ce deuxième 21 août 1969 : 5 morts, des centaines de blessés, plus de 1 300 arrestations.

Aussitôt, des attaques concertées sont dirigées contre les libéraux. Le 27 août, le président du Conseil Cernik, qui avait été une des figures de proue du printemps de Prague, tente de tirer son épingle du jeu en critiquant la « politique à double face » de Dubcek. Mais son ralliement est trop tardif pour lui valoir autre chose qu'un sursis. Après une intense préparation psychologique, le plénum du Comité central se réunit le 25 septembre. Ses décisions sont brutales, d'autant plus brutales que Dubcek et Smrkovsky ont refusé de faire une autocritique. Le premier est chassé du présidium et de la présidence de l'Assemblée fédérale. Le second est, avec 28 autres membres libéraux, éliminé du Comité central et perd son poste de président de la Chambre du peuple. Des exclusions du parti sont aussi prononcées, dont la plus marquée sera celle du général Prchlik, sanctionné pour avoir, en juillet 1968, dénoncé les contraintes du pacte de Varsovie. Une résolution significative et longtemps attendue par les Soviétiques vient couronner cet édifice : le Comité central annule son texte du 21 août 1968 condamnant unanimement l'intervention soviétique. Le bien-fondé de la présence des chars russes en Tchécoslovaquie est enfin reconnu.

L'exclusion de Dubcek

Dès lors, l'épuration peut s'abattre sans frein aucun sur tous ceux qui en avaient contesté la nécessité. En premier lieu, les journalistes. Ils sont les plus durement touchés parce que les plus exposés : en quelques semaines, la presse est définitivement normalisée et 750 journalistes se retrouvent sans travail. Au Parlement, les députés libéraux démissionnent, quand ils ne sont pas purement et simplement exclus. À l'Académie des sciences, à l'Université, au Conseil national tchèque, dans la diplomatie, partout on élimine... C'est au sein même du parti que l'entreprise se révèle la plus ardue. Pour déceler les suspects à la base, la nouvelle direction engage une vaste opération de contrôle des cartes. L'un après l'autre, chaque communiste tchécoslovaque doit s'expliquer. Longue et pénible procédure qui n'a pas encore touché son terme. Au sommet, il reste encore, alors que la Tchécoslovaquie aborde l'année 1970, quelques cas douteux. Un nouveau plénum réglera le problème le 28 janvier. Cette fois-ci, ce sont les ralliés qui en feront les frais. Cernik et Polacek (président des syndicats) sortent du présidium. Le premier est remplacé à la tête du gouvernement par Lubomir Strougal, qui remanie entièrement son cabinet en éliminant notamment Pelnar, ministre de l'Intérieur, un autre rallié. Les derniers coups de la normalisation seront frappés en mars. Smrkovsky, Cisar et des dizaines d'autres responsables libéraux sont exclus du parti. Dubcek qui, entretemps, a été chassé du Comité central, apprend à Ankara, où on l'a envoyé comme ambassadeur, qu'il est suspendu du PC. Il est rappelé à Prague, révoqué, puis soumis à d'incessants interrogatoires d'une commission d'enquête, qui fait adopter par le Comité central sa décision de l'exclure du parti. Au lendemain du 26 juin 1970, l'ancien chef du parti tchécoslovaque a perdu le droit de se dire communiste.

Le libéralisme tchécoslovaque a vécu. La normalisation triomphe. Quel est son bilan ? Elle n'a réussi que dans une seule de ses tâches. La plus facile et aussi la plus redoutable : l'épuration. La direction du parti tchécoslovaque a créé en quelques mois un immense vide là où naguère s'agitaient les talents intellectuels et les générosités politiques. Elle reste face à face avec une population hostile, mais privée désormais de tous leaders pour un éventuel mouvement de protestation. L'économie, qui est revenue sous l'impulsion de Gustav Husak au système de gestion planifiée et centralisée, voit se briser les espoirs qu'avait fait naître la réforme d'Ota Sik. Les revenants du stalinisme sont désormais une force autonome qui pousse à la répression, sans tenir compte d'ailleurs de certains désirs de modération perceptibles dans l'attitude soviétique. Il n'y a pas de grands procès politiques — Husak s'y oppose —, mais on les prépare à toutes fins utiles. Ici et là, des hommes ont été condamnés : un ouvrier à un an de prison pour avoir déchiré le drapeau, un journaliste à dix-huit mois parce qu'il avait critiqué l'URSS... Cela ne va pas plus loin. Seules de nouvelles accusations contre Dubcek pourraient libérer le mécanisme des procès.

Délation et orthographe

Jaromir Hrbek, ministre tchèque de l'Éducation nationale, est devenu, avec deux textes, l'un des symboles de la normalisation en Tchécoslovaquie. La délation et la dénonciation ont été, en effet, hissées par lui au rang de vertus civiques. Le 16 septembre, il s'était adressé une première fois aux recteurs et doyens des universités pour leur demander de dénoncer les professeurs et les étudiants suspects d'anti-soviétisme. Devant l'insuccès de cette initiative, il récidive en octobre en envoyant un questionnaire politique détaillé à tous les fonctionnaires dépendant de son ministère. Deux phrases donnent le ton de ce texte. D'abord, une mise en garde : ... « vous rendez-vous compte que vous serez jugés aussi par vos collaborateurs et que d'éventuelles divergences entre leur déposition et la vôtre seront étudiées ? » Ensuite une promesse : « On ne tiendra pas compte dans les réponses des fautes d'orthographe. »

Un traité exemplaire

Si la Tchécoslovaquie a encore un semblant de vie politique intérieure, elle a cessé d'être un facteur indépendant sur la scène internationale. Elle semble surtout destinée à jouer le rôle de polygone pour les applications des nouvelles théories diplomatiques de l'URSS. Ainsi, Brejnev et Kossyguine sont venus à Prague, le 6 mai, pour signer un traité d'amitié, présenté aussitôt comme exemplaire à tous les pays de l'Est. Et, en effet, il entérine pour la première fois la fameuse doctrine de la souveraineté limitée en reconnaissant à l'URSS et aux autres pays socialistes « le droit et le devoir » d'intervenir là où le socialisme serait menacé. « Ce traité crée un nouveau type de relations », commente A. Gromyko, ministre des Affaires étrangères. La Tchécoslovaquie épurée et normalisée aura à servir d'exemple.

U.R.S.S.

237 798 000. 11. 1,2 %.
Économie. Production (66) : A 24 % + I 59 % + S 17 %. Énerg. (67) : 3 957.
Transports. (*67) : 234 429 M pass./km, 2 160 528 M t/km.  : 12 062 000 tjb. (67) : 53 500 000 000 pass./km.
Information. (67) : *616 quotidiens ; tirage global : 69 560 000. (67) : *80 700 000. (67) : 22 700 000. (67) : 9 680 000.
Santé (66). 503 220. Mté inf. (67) : 26,3.
Éducation (66). Prim. : 39 058 000. Sec. et techn. : 8 070 000. Sup. : 4 123 200.
Institutions. Fédération de républiques socialistes. Constitution de 1936. Président du présidium : Nicolaï Podgorny ; succède à Anastase Mikoyan. Président du Conseil : Alexeï Kossyguine. Premier secrétaire du Parti : Leonide Brejnev.

Brejnev occupe le devant de la scène

L'Union soviétique a rarement donné une image de crise et de secousses internes aussi frappante que durant les mois écoulés. Au sommet aussi bien qu'à la base les choses bougent : procès engagé contre les défaillances de l'économie par Leonid Brejnev, le chef du parti, incessante guérilla menée par les intellectuels contestataires contre le système, réhabilitation progressive de Staline et signes apparents de dissensions au sein de la direction.