Depuis quatorze ans l'Espagne piétine devant la porte du Marché commun. Il n'est donc pas étrange que les efforts du nouveau gouvernement se soient plus particulièrement portés vers cette direction. Le 19 novembre 1969, Lopez Rodo se rend à Bonn pour obtenir de son homologue allemand, W. Scheel, son soutien dans la nouvelle offensive que s'apprête à lancer son gouvernement. De son côté, Lopez Bravo vient en voyage officiel à Paris du 9 au 11 février 1970, où il s'entretient avec les dirigeants français de ses buts. Il est relayé dans la capitale française par son collègue à la Planification, ce qui tendrait à faire croire que l'équipe espagnole semble avoir trouvé en France une oreille plus attentive à ses revendications que dans les autres capitales européennes. Le 13 janvier, le ministre des Affaires étrangères avait rencontré, à Bruxelles, un membre de la Commission économique européenne pour « un échange de vues sur la négociation d'un accord préférentiel entre la Communauté et l'Espagne ». Le 22 juin, Michel Debré se rend à son tour à Madrid et signe avec les dirigeants espagnols un accord de coopération militaire (échange d'armements et d'unités).

L'Europe n'est pas le seul souci de Lopez Bravo. Il lui faut également résoudre le délicat contentieux américano-espagnol sur les bases américaines en Espagne. Après deux visites à Washington, le ministre espagnol reçoit à son tour W. Rogers, le 31 mai 1970, à Madrid. L'accord sur le renouvellement du bail des bases, pendant depuis deux ans, a été prolongé jusqu'au 26 septembre 1969. Mais dès le 18 juin les négociations reprennent entre les deux pays. L'importance stratégique de ces implantations est trop précieuse pour les Américains pour qu'ils les abandonnent.

Autre point important de l'action de Lopez Bravo : la révision du Concordat, qui l'amène au début de l'année 1970 au Vatican. Mais l'entêtement du général Franco à conserver son droit de veto pour la désignation des évêques maintient les négociations dans l'impasse depuis un an et demi.

Enfin, poursuivant sa politique d'amitié avec les pays arabes, Madrid se déclare, le 6 juin, favorable à l'autodétermination de ses territoires sahariens.

De son côté, Lopez Rodo, le père de la planification espagnole, peut exposer un bilan positif de son secteur. En février 1970, une publication de l'OCDE révèle que le taux de croissance du produit brut national de l'Espagne a été, en 1969, de 8 % en volume. « À prix constants, expliquent les experts, la consommation privée a pu s'accroître de 7 à 8 % en 1969 par rapport à 1968. » La masse des salaires aurait augmenté de 12 % en 1969, les investissements fixes des entreprises de 10 à 15 %. Toutefois, cette expansion s'accompagne d'un dangereux déséquilibre extérieur. La balance des échanges avec l'étranger marque un déficit de 2,8 millions de francs en 1969, alors qu'il n'était que de 1,4 en 1968. Les réserves en devises ont diminué de 262 millions de dollars, passant de 1 095 à 833 millions de dollars.

Les débuts du nouveau gouvernement ont donc été marqués par des innovations assez spectaculaires ; il a obtenu de gros titres dans la presse internationale. Il n'en demeure pas moins que les graves problèmes intérieurs conservent leur acuité. Le cycle agitation-répression n'a pu être enrayé.

Agitation et répression

Au mois de janvier, 33 000 mineurs, sur les 35 000 que comptent les bassins des Asturies, sont en grève. Les grèves sont toujours illégales en Espagne. Et l'on en compte plus de 1 000 en deux ans.

Les grèves des Asturies illustrent surtout le déclin de la part du charbon dans l'économie nationale. Les arrêts de travail vont se poursuivre jusqu'au début de février, avec une nouvelle fièvre au mois de mars.

D'autre part, la répression continue à s'abattre avec une extrême rigueur. À la fin de 1969, le nombre des prisonniers politiques s'élève à 1 058. Le total des prisonniers politiques et de droit commun atteint, en juin 1970, 12 173, soit une augmentation de 11 % par rapport à 1968. Au cours des seuls mois de décembre et de janvier, le tribunal de l'ordre public a prononcé 95 condamnations. Personne n'est épargné : aussi bien le leader syndical Marcelino Camacho que la duchesse de Medina Sidonia, et le 3 juin on comptait 30 prêtres détenus à la résidence pénitentiaire sacerdotale de Zamora. Mais la répression frappe surtout le Pays basque, où, le 28 octobre 1969, un militant du mouvement séparatiste ETA est condamné à mort, ce qui déclenche un vaste mouvement de grève dans la province.