Le premier acte se déroule le 22 juillet 1969, devant les Cortes, réunis solennellement. Le général Franco, en uniforme blanc, vient faire ratifier le choix de son successeur. En dépit de l'émotion du Caudillo, dont le discours est entrecoupé de sanglots, la désignation de Juan Carlos Bourbon y Bourbon ne constitue guère une surprise.

On connaissait la prédilection de Franco pour le jeune prince, et l'élimination successive de ses concurrents au cours des mois précédents ne laissait aucun doute. La seule révélation du message du chef de l'État réside dans cette phrase : « Devant Dieu et devant l'histoire, j'ai décidé de proposer comme roi, le jour venu, le prince d'Espagne. » Ainsi Don Carlos s'appellerait-il désormais prince d'Espagne et il serait roi, le jour venu, et non pas régent, comme en laissait le loisir la loi de succession de 1947.

Toutefois, il s'agit d'un sacre différé, étant entendu que le prince ne montera sur le trône que lorsque, « par la loi naturelle », le pouvoir échappera des mains de son tuteur. Autre point important, et le Caudillo l'a souligné lui-même, c'est une instauration qui est en jeu et non pas une restauration. « La royauté que nous établissons ne doit rien au passé [...]. C'est seulement lorsque la couronne aura été posée sur la tête du prince que commencera l'ordre régulier de la succession. »

Docilement, les Cortes entérinent la désignation du prince d'Espagne, par 491 voix contre 19.

Le deuxième acte, qui a lieu le 29 octobre, suscite beaucoup plus de remous. C'est l'arrivée en masse au pouvoir, à la faveur d'un remaniement ministériel, des technocrates appartenant de près ou de loin à l'Opus Dei. Principaux bénéficiaires : Lopez Rodo, qui avait été un excellent ministre de la Planification, conserve son portefeuille ; Lopez Bravo, qui avait brillé à l'Industrie, remplace Castiella aux Affaires étrangères ; l'Information et le Tourisme échoit à Sanchez Délie, très lié lui aussi à la Obra. Les ministres du Logement, du Commerce et de l'Industrie appartiennent aussi à l'Opus Dei. Le principal artisan de ce raz de marée est le très puissant et très secret amiral Carero Blanco, vice-président du gouvernement.

Élimination de la Phalange

Mais ce remaniement ministériel marque aussi l'élimination presque totale de la Phalange, la fidèle vieille garde ; le général Alonso Vega, qui détenait le ministère de l'Intérieur, est nommé, pour consolation, troisième capitaine général du royaume, après Franco lui-même et le général Munoz Grandes. Mais c'est la disparition de Jose Solis, ministre des Syndicats et secrétaire général du Mouvement, qui sera ressenti avec le plus d'amertume par les phalangistes, qui fêtaient précisément ce 29 octobre le 36e anniversaire de la fondation de leur organisation. Ils eurent toutes les raisons d'exhaler leur rancœur devant le triomphe de ceux qu'ils considèrent depuis un certain temps déjà comme leurs ennemis : « Franco, oui ! Opus, non ! » et encore : « Phalange persécutée... À bas les technocrates ! », criaient-ils sous les coups des policiers.

C'est d'ailleurs tout ce qu'ils pouvaient faire après avoir vainement tenté, trois mois plus tôt, de lancer contre la puissante organisation le scandale de l'affaire Matesa, comme une machine de guerre, afin de la compromettre. Et le suicide quelque temps plus tard de Francisco Herranz, ancien chef national des milices phalangistes, pour protester contre la « trahison » dont la Phalange est victime ne suscite pas beaucoup de commentaires.

Dans son message de fin d'année, le général Franco met, avec son autorité habituelle, les choses au point : « Tant que Dieu me prêtera vie, je serai à vos côtés au service de la patrie. » S'en prenant ensuite aux « spéculations malintentionnées » auxquelles a donné lieu la désignation du prince d'Espagne comme futur souverain, il affirme que la monarchie assurerait la continuité du régime et « libérerait l'Espagne des doutes et des hésitations » lors de sa disparition.

Le Caudillo s'applique d'ailleurs à démanteler la puissance du Mouvement par des mesures d'importances variées, qui vont du changement de la couleur de la chemise d'uniforme phalangiste qui de bleue devient blanche, jusqu'au décret du 4 avril, où, précisant la compétence et les attributions du Mouvement national, il en limite, en fait, le rôle politique. La nomination comme ministres de Garcia Ramai, délégué des syndicats, et de Fernandez de Miranda, secrétaire général du Mouvement, consacre cette dépossession et la dépendance de la Phalange.