Les relations de l'Église et de l'État sont en fait loin d'être excellentes. La teneur du message du pape — lors de son pèlerinage à Jasna Gora pour le 6e centenaire de la Vierge noire — peut se résumer ainsi : « la volonté de la victoire est un devoir ». De Varsovie à Cracovie, en passant par Poznan et Katowice, devant des foules énormes agitant des banderoles et criant des slogans favorables à Solidarité, le pape reprend à son compte les revendications de l'organisation clandestine : syndicalisme pluraliste et indépendant, autogestion ouvrière. Le pouvoir avait-il espéré plus de diplomatie ? La seule concession qui lui est faite est l'acceptation par l'Église d'une rencontre très officieuse et presque à la sauvette entre le pape et Lech Walesa.

Désormais le doute n'est plus possible pour le gouvernement. L'Église n'acceptera pas le dialogue à n'importe quel prix. Le chemin est singulièrement étroit pour le général Jaruzelski qui, peu avant la venue de Jean-Paul II, a entendu gronder la voix de Moscou dénonçant « l'anti-socialisme de l'Église ».

Walesa
Le prix Nobel de la paix

Le 5 octobre, éclate la nouvelle : Lech Walesa, prix Nobel de la paix ! L'homme symbole que, depuis tant de mois, le pouvoir cherche à éliminer de la scène publique, voire de la mémoire collective de ses concitoyens, par diverses rumeurs injurieuses. Lui dont on a pu penser que, pour l'Église elle-même, il avait fait son temps. L'ouvrier électricien des chantiers navals de Gdansk, figure de proue de l'ex-syndicat Solidarité, se voit décerner la plus haute distinction. À travers le nouveau lauréat, le pays profond se sent honoré pour sa résistance à la normalisation. Entre Jean-Paul II et L. Walesa — ses deux héros —, la Pologne pleure de joie.

Naturellement, le pouvoir est loin d'apprécier. Après un temps de silence, le gouvernement fait savoir que l'attribution à Walesa du Nobel de la paix constitue « une ingérence dans les affaires intérieures polonaises ». La presse des États du bloc soviétique vient à la rescousse. À Prague, Rude Pravo titre : « le déshonneur du Nobel ». À Budapest, on parle de « contre-révolution ». À Belgrade, il est question de « manœuvre de bas étage, au profit de la guerre entre deux mondes, deux idéologies adverses ». Et, pour le Kremlin, bien sûr, ce ne peut être qu'une « provocation ».

Pour le jury Nobel, la désignation de L. Walesa se justifie par son action résolument non violente en faveur des droits des travailleurs et cela au prix de grands sacrifices personnels. L'homme est né près de Bydgoszcz en septembre 1943. Mais le héros a éclos à Gdansk en décembre 1970, lorsque, pour éviter le drame, il prêche en vain la grève plutôt que l'émeute. Cinq ans passent et c'est à Ursus et Radom, dans la banlieue de Varsovie, que les ouvriers se soulèvent. L. Walesa, à Gdansk, aux chantiers Lénine, organise une grève de solidarité. S'ensuivra pour lui une période de semi-clandestinité : tantôt embauché, tantôt congédié.

Solidarité. Mais il réfléchit, rédige un cahier de revendications, s'instruit auprès des intellectuels du KOR, de l'Église et place les premiers jalons de Solidarité. Marié à une jeune fleuriste, Danuta, il vit pauvrement. Catholique fervent, mais sans mièvrerie, il est d'humeur joyeuse, bavarde, familière. Il sait témoigner d'une vive intuition, doublée de ténacité et de courage. On s'en apercevra le 31 août 1980 quand, après deux mois de grève, entouré de ses compagnons, il fera signer à une délégation ministérielle aux abois les fameux accords de Gdansk. Syndicalisme indépendant et pluraliste, autogestion, abolition de la censure... Autant de conquêtes inadmissibles en démocratie populaire et, depuis, piétinées. Mais il reste Walesa, son charisme, la volonté d'un peuple. Et, petite consolation, l'argent du Nobel (environ un million et demi de F) ira au Fonds d'aide à l'agriculture privée, qui sera géré par l'épiscopat.

C'est Danuta, l'épouse de Lech Walesa, qui s'est rendue le 10 décembre à Oslo, en compagnie de son fils aîné Bogdan, âgé de 13 ans, pour la remise du prix Nobel. Le président de Solidarité dédie cette distinction à la Vierge noire de Jasna Gora, avant de prononcer le 15 décembre un violent réquisitoire contre le régime.

Crispation des autorités

Aussi la presse se met-elle à incriminer dès juillet « la domination et l'intolérance de la hiérarchie catholique ». L'ensemble de lois répressives votées en remplacement de l'état de guerre abrogé le 22 juillet suscite la réprobation de l'épiscopat. Mais, à l'approche du troisième anniversaire des accords de Gdansk (31 août), c'est une offensive psychologique qui est lancée contre l'Église, désignée comme l'adversaire idéologique numéro un.