Le maintien du statu quo en Ulster n'en favorise pas moins un glissement aux extrêmes, ainsi qu'en témoignent les résultats des élections britanniques du 9 juin. Toutes nuances confondues, les Unionistes-Loyalistes s'adjugent 15 des 17 sièges dévolus à l'Irlande du Nord. John Hume, président du SDLP, et Gerry Adams, vice-président du Sinn Fein, s'arrogent les deux autres. Avec 102 000 voix — 40 000 de plus qu'en octobre 1982 —, le Sinn Fein progresse de 10 % à 13,5 % des suffrages, tandis que le SDLP perd un peu moins de 1 % des voix.

Supermouchards

Situation qui ne laisse pas d'inquiéter, lors même que sur le terrain la guérilla s'enlise, contenue mais non vaincue, malgré une collaboration accrue des forces de sécurité de la République d'Irlande. Les deux organisations terroristes républicaines — IRA provisoire et INLA — continuent d'abattre policiers et réservistes, de tirer au mortier sur les cantonnements militaires, de faire exploser des voitures piégées et de faire monter la tension dans les ghettos nationalistes : le 21 mai, le Bogside de Derry est ainsi le siège de graves émeutes, les plus violentes que la province ait connues depuis les grèves de la faim en 1981. En représailles, les membres de l'UVF (extrémistes protestants) et de la Protestant Action Force assassinent des catholiques sélectionnés au petit bonheur et plastiquent les maisons des militants nationalistes.

Les forces de l'ordre, de leur côté, ne restent pas inactives. En application d'une prétendue shoot to kill policy, approuvée sinon ordonnée en haut lieu, soldats et policiers font feu sous les plus légers prétextes sur les terroristes ou présumés tels, au risque de commettre des bavures qui aliènent un peu plus les habitants des ghettos catholiques et entraînent les protestations très vives de certains membres de la hiérarchie, comme le Dr Edward Daly, évêque de Derry.

Mais le fait nouveau, en cette fin d'année, est l'utilisation systématique par les forces de la Couronne des supermouchards, terroristes de haut vol, repentis ou achetés à coups de remises de peine ou de promesses d'impunité et de reclassement à l'étranger sous une nouvelle identité. Une vingtaine de ces supermouchards, loyalistes et républicains, ont permis de mettre plus de 300 personnes sous les verrous. Des réseaux de l'IRA et de l'INLA, mais aussi de l'UDA et de l'UVF ont été démantelés. La violence a décru : 29 morts et 164 blessés au cours des premiers six mois, contre 97 morts et 525 blessés en 1982.

Malgré les coups portés aux organisations subversives par ce biais, le procédé, peu ragoûtant il est vrai, soulève de vives critiques jusque dans les milieux les plus légalistes. Ébranlée par ces défections et ces trahisons, l'IRA redore son blason le 25 septembre en faisant évader 38 détenus républicains de la prison de Maze, connue sous le nom de Long Kesh, véritable forteresse réputée comme étant la prison la mieux gardée d'Europe. « C'est l'incident le plus grave de notre histoire carcérale », constate Margaret Thatcher. Pour l'IRA, c'est un grand succès de propagande. L'Angleterre doit en prendre son parti et soutenir de ses deniers l'économie de cette turbulente province qui, battue en brèche par la crise autant que par les bombes, voit ses usines fermer les unes après les autres — ainsi de la firme Goodyear à Craigavon, entraînant 800 licenciements —, et le chômage grimper à des taux peu supportables : 21 % de la population active pour l'ensemble de la province, pouvant aller jusqu'à 39,9 % dans une ville comme Strasbane.

Pierre Joannon

République d'Irlande

L'opposition attaque

L'Irlande du Nord est toujours au centre des préoccupations du cabinet de Dublin. Les relations avec Londres, compromises par l'attitude du précédent gouvernement lors des grèves de la faim en 1981 et de l'affaire des Falkland, sont de nouveau au beau fixe. Peter Barry, le ministre des Affaires étrangères irlandais, s'entretient avec le secrétaire d'État pour l'Irlande du Nord le 1er février, tandis que le Premier ministre, Garret FitzGerald, rencontre Margaret Thatcher à l'occasion du sommet européen après un an et demi de quasi-guerre froide.