À l'intérieur même du pays, 500 milliards de zlotys, soit un quart de la masse monétaire, circulent sans couverture marchande. Ce trou inflationniste qui sape toute tentative d'assainissement s'approfondit, dès la fin du premier trimestre 1983, de 130 milliards. Le gouvernement s'est pourtant ingénié à ponctionner cet excédent monétaire par des hausses de prix qui, pour 1982, ont été de 241 % pour les produits alimentaires et de 171 % pour l'énergie.

Désastre économique

On comprend donc qu'en février 1983, lors de son discours prononcé à Katowice devant l'organisation du Parti ouvrier unifié polonais (POUP), le général Jaruzelski s'interdise tout triomphalisme. Mais, s'il reconnaît des « erreurs », il n'en fustige pas moins « les paniquards et les démagogues ». Pour le reste, il confesse avec vigueur : « Notre navire socialiste vogue sur une route convenable. Le navire du renouveau socialiste est insubmersible. »

Pour mieux arriver à ses fins, le général Jaruzelski estime néanmoins nécessaire d'accroître son emprise sur l'appareil d'État. Un remaniement ministériel, approuvé du bout des lèvres par la Diète (Parlement), lui permet de remplacer le général Moczar à la tête de la Chambre suprême de contrôle NIK (semblable à la Cour des comptes) par un militaire tout dévoué à sa personne, le général Tadéusz Hupalowski.

D'autre part, un plan de rigueur économique de trois ans est adopté. En 1985, dans le meilleur des cas, le revenu national distribué ne représentera que 80 % de sa valeur de 1978. Le revenu national devrait progresser de 10 à 12 % et la production industrielle d'environ 15 %. En fait, malgré une décentralisation économique fort peu orthodoxe, mais seule susceptible de libérer les énergies, le gouvernement se trouve devant un problème pratiquement insoluble. Comment pallier l'insuffisante utilisation du potentiel industriel quand la faiblesse des finances de l'État paralyse les investissements en matières premières ? Et comment se concilier une population en pratiquant régulièrement des hausses de prix pour réduire la demande ?

En avril 1983, un kilo de tomates se vend à Varsovie 2 400 zlotys, soit le cinquième du salaire mensuel moyen. La production de la viande avait été en 1982 inférieure de 15 % à celle de 1981, année noire entre toutes. Or Zbigniew Michalek, chargé de l'agriculture auprès du Comité central, laisse entendre que 1983 ne sera pas meilleure. De façon générale, le rendement céréalier est en baisse, notamment par défaut de machines agricoles. Du bétail a dû être abattu, faute de céréales pour le nourrir. Et l'exode rural continue, bien que 15 millions de Polonais (43 % de la population) vivent encore à la campagne.

L'attitude de l'Église

Pour relever le pays à bout de souffle, sur qui donc l'équipe Jaruzelski peut-elle s'appuyer ? Si l'on en croit Mgr Dabrowski, secrétaire de la Conférence épiscopale, « il n'y a que le Parti et l'Église. Tout le reste, ajoute-t-il, c'est de la littérature ! ». De fait, Solidarité étant hors la loi, l'Église apparaît en 1983 comme le seul interlocuteur du pouvoir. Mgr Glemp, dont l'élévation au cardinalat en janvier a été saluée par les autorités, ne fait l'unanimité ni dans le clergé ni chez les laïcs. Parce qu'il est prudent, on le soupçonne de connivence avec le régime, et on lui préfère Mgr Tokarczuk et Mgr Macharski, respectivement évêques de Prezmysl et de Cracovie, au parler plus brutal.

En réalité, l'Église reste bien la caisse de résonance de l'opposition. Mais le primat, qui, à l'occasion de la seconde visite du pape (16 au 22 juin), veut obtenir une amnistie et le rétablissement des libertés, sait prendre parfois ses distances avec le syndicat clandestin Solidarité lorsque celui-ci parle de grève générale ou incite aux manifestations de rue. Cependant, Mgr Glemp ne condamnera pas l'appel du syndicat quand ce dernier, à l'occasion du 1er mai, exhortera les travailleurs à ne pas prendre part aux cortèges officiels mais à manifester en marge. Appel qui sera entendu par 100 000 personnes.