Henri Ménudier

Autriche

L'après-Kreisky

La décision de Bruno Kreisky d'abandonner le pouvoir au lendemain des élections législatives du 24 avril marque incontestablement une date dans l'histoire de l'Autriche contemporaine.

Chancelier pendant treize ans, quatre fois plébiscité par le suffrage universel, ce socialiste formé à l'école suédoise avait réussi à donner de son pays une image nouvelle, paisible mais réformatrice, neutre mais active. L'établissement d'un consensus populaire après les déchirements de la guerre et de l'après-guerre, l'application de nombreuses mesures destinées à assurer une plus grande justice sociale, l'affirmation de l'État comme partenaire économique ont été les objectifs prioritaires de son gouvernement.

En 1983, l'Autriche apparaissait préservée des ravages de la crise internationale, avec un chômage inférieur à 4 %, une inflation ne dépassant guère 5 %, soit des taux largement inférieurs à ceux des autres pays de l'OCDE. À la veille des élections, la gestion socialiste pouvait ainsi apparaître comme exemplaire, même si ces résultats avaient été obtenus par la réduction draconienne de la main-d'œuvre immigrée et un endettement considérable de l'État. Mais c'est surtout dans le domaine de la politique étrangère que la personnalité hors du commun de Bruno Kreisky avait trouvé son expression, et avait permis à l'Autriche de jouer un rôle que sa neutralité et son poids démographique (à peine 8 millions d'habitants) semblaient lui dénier. Favorable au dialogue avec Moscou, Bruno Kreisky, d'ailleurs ancien ministre des Affaires étrangères, avait fait de Vienne une des plaques tournantes des échanges Est-Ouest. Plus engagé encore dans les affaires du Proche-Orient par ses convictions personnelles, il avait voulu, lui, juif mais antisioniste, se poser en garant de la cause palestinienne.

Fin de règne

Âgé de 72 ans, atteint par la maladie, très déçu par certains de ses collaborateurs compromis dans des affaires de corruption, Bruno Kreisky pose des conditions à son maintien au pouvoir. Dès l'ouverture de la campagne électorale, il affirme qu'il ne restera à la chancellerie que si le parti socialiste conserve la majorité absolue. Les électeurs ne la lui accordent pas. Ils ne la donnent pas pour autant au grand parti d'opposition de droite, le parti populiste. Avec 47,80 % des suffrages, et 90 sièges, le parti socialiste SPÖ demeure le premier parti d'Autriche. Mais son recul est sensible, en particulier dans son fief de Vienne : il perd plus de 3 % des suffrages et 5 députés. Le parti populiste (ÖVP), en revanche, gagne 3 sièges et progresse dans tous les Länder. Ses 81 sièges et ses 43,20 % des voix ne lui permettent pas, cependant, de revendiquer la direction du gouvernement.

L'après-Kreisky commence ainsi dans une certaine ambiguïté. Le parti socialiste doit trouver un partenaire pour garder le pouvoir. Une grande coalition avec le parti populiste avait été exclue d'avance par Bruno Kreisky. Reste l'alliance avec le petit parti libéral (12 sièges). Malgré le dynamisme de ses nouveaux dirigeants — son président Norbert Steiger n'a que 39 ans —, celui-ci a enregistré un net recul aux élections, perdant près du sixième de ses voix, mais gagnant (par le jeu de la loi électorale) 1 siège. Il accepte la main tendue des socialistes et participe au pouvoir pour la première fois de son histoire.

La visite du pape

Les négociations pour former le nouveau gouvernement sont laborieuses, de profondes divergences séparant socialistes et libéraux, notamment en matière économique. Le nouveau chancelier Fred Sinowatz — dont le nom avait été avancé par Bruno Kreisky — peut présenter le 18 mai la liste de son équipe ministérielle. Le poste de vice-chancelier, 3 portefeuilles, 3 secrétariats d'État vont aux libéraux. Les socialistes conservent 11 ministères — dont ceux des Finances, des Affaires sociales et des Affaires étrangères. Ce dernier poste revenant à Erwin Lanc, un vétéran du parti. L'Éducation est confiée à Helmut Zik, une personnalité très populaire à Vienne, longtemps directeur de la Télévision et, depuis 1979, chargé du département culturel du gouvernement.