Le projet gouvernemental est présenté le 26 septembre 1972, le premier train de mesures entrant en application le 6 novembre : c'est essentiellement un blocage des revenus et des prix, valable 90 jours – délai qui sera prolongé de 60 jours en janvier 1973 –, aux taux suivants : pour les salaires, aucune augmentation supérieure à 2 livres par semaine, de manière à contenir la hausse dans les limites de 5 à 10 % ; pour les prix, pas d'augmentation supérieure à 5 % pour les prix de détail (alors qu'ils avaient monté de 11 % les trois mois précédents), 4 % pour les prix industriels. Une assistance de l'État est prévue pour certaines industries nationalisées.

Ce coup de frein à la hausse ne doit cependant pas ralentir l'expansion, l'objectif prioritaire restant malgré tout d'atteindre un taux de croissance de 5 % en 1973.

La seconde phase du plan Heath entre en application au mois d'avril. Elle assouplit la rigueur chiffrée de ces mesures, mais renforce les moyens de contrôle en créant deux organismes de réglementation, la commission des prix et le bureau des salaires.

Syndicats

Pour réussir dans un pays de structures et de traditions libérales, le plan gouvernemental devait s'appuyer sur une politique de concertation avec le patronat et surtout les syndicats. Tel est bien le souci du Premier ministre, mais les négociations engagées au cours de l'été se terminent par une rupture. La Confédération des syndicats britanniques (TUC) se refuse en effet à cautionner un blocage général des salaires, alors qu'à ses yeux le blocage des prix reste illusoire dans un pays qui importe la moitié de ses denrées alimentaires et les trois quarts des matières premières, et n'en contrôle donc pas le coût.

La décision du Premier ministre d'appliquer néanmoins son plan anti-inflation par voie d'autorité ne peut, dans ces conditions, que déclencher une épreuve de force avec les syndicats. Épreuve de force d'autant plus violente que la réglementation du droit de grève instituée par la loi Carr a continué à provoquer des conflits, et en particulier celui des dockers qui dure trois semaines (juillet 1972).

Justifiées par la hausse des prix que le gouvernement, effectivement, ne réussit pas à ralentir radicalement, les revendications de salaires se multiplient et les grèves éclatent dans tous les secteurs.

Le point culminant de cette agitation semble atteint à la fin de l'hiver : 47 000 gaziers, 29 000 conducteurs de locomotives, 220 000 auxiliaires des hôpitaux, 52 000 ouvriers de chez Ford, 4 500 enseignants londoniens ont arrêté le travail. En mars 1973, ce seront près de 500 000 travailleurs qui débrayeront. Sans transports, sans chauffage, sans hôpitaux, sans écoles, l'Anglais moyen – et surtout les millions de banlieusards londoniens qui ne peuvent aller travailler – découvre tout à coup l'ampleur de la crise.

Exploitant son avantage, la gauche syndicale parvient à faire convoquer un congrès extraordinaire de la TUC qui lance un ordre de grève générale pour le 1er mai. Le gouvernement va-t-il céder ?

Détente

En fait, le mouvement de protestation commence à s'essouffler. La manifestation du 1er mai se solde par un demi-échec, bien des fédérations se méfiant désormais d'une action qu'elles jugent trop politisée. Insensiblement le climat se modifie au profit du gouvernement, de plus en plus soutenu par l'opinion lasse des arrêts de travail et découragée par le manque de crédibilité de l'opposition travailliste qui, lorsqu'elle était au pouvoir, avait bel et bien tenté d'appliquer la politique qu'elle conteste aujourd'hui. Les mineurs, consultés à la base, refusent à une large majorité de s'engager dans une grève qui prendrait l'allure d'un défi au gouvernement. Les gaziers doivent reprendre le travail sans avoir obtenu davantage que l'augmentation légale de 4 %. La résistance des trade-unions semble dès lors bien entamée.

D'autant plus que les perspectives économiques paraissent meilleures, comme le souligne pour la première fois un rapport de l'OCDE. L'expansion se poursuit et la cible des 5 % sera vraisemblablement atteinte ; le chômage baisse, les industriels manifestent, tant en Grande-Bretagne qu'en Europe, un dynamisme nouveau. Certes, de sérieux points noirs subsistent : la hausse des prix n'est que ralentie, et l'introduction de la TVA au début de l'année fiscale, en avril, a forcément une influence défavorable dans ce secteur ; la balance commerciale est lourdement déficitaire et la flottaison de la livre se traduit par une dévaluation de fait de près de 12 %, qui n'a pas, d'ailleurs, que des désavantages.