La liberté d'opinion menacée ? L'indépendance de l'Université en jeu ? Ou bien l'État contesté, miné, menacé par une école de sociologues dépourvus de tout scrupule intellectuel ? On tranche comme on veut ; mais il faut trancher. Or, le gouvernement de la République et canton ne parvient pas à prendre une décision. Les semaines passent. La polémique fait boule de neige. Jean Ziegler mène une campagne qui le conduira, par deux fois, jusque sous les caméras de la télévision française, où il se présente comme un quasi-réfugié politique. Une de ses collègues, le professeur et philosophe Jeanne Hersch, l'accuse publiquement d'incompétence et de mensonge. Enfin, le 10 février 1977, le Conseil d'État genevois, par quatre voix contre trois, se prononce en faveur de la nomination du bouillant et bruyant socialiste. Sur quoi, le professeur Herbert Luthy, célèbre notamment pour avoir écrit La France à l'heure de son clocher, renvoie à l'université de Genève son parchemin de docteur honoris causa : il ne saurait — dit-il dans une lettre ouverte aux autorités de Genève — accepter une décision contraire à la sérénité comme à l'honnêteté de l'enseignement.

Quelques semaines plus tard, paraît un livre du journaliste Victor Lasserre, rédacteur en chef de l'Ordre professionnel, qui s'intitule Une Suisse insoupçonnée, et qui réfute point par point Une Suisse au-dessus de tout soupçon. Mais les duels politiques ne suivent pas les mêmes règles que les procès judiciaires : le plaidoyer fait toujours beaucoup moins d'impression que le réquisitoire.

Scandale

Or, en avril, un scandale assez monumental éclabousse les milieux dont Jean Ziegler avait fait sa cible préférée : les banquiers. On apprend soudain que trois directeurs d'une succursale tessinoise du Crédit suisse — en importance, la troisième banque du pays — ont été arrêtés. En cheville avec des hommes d'affaires, ils avaient entrepris des opérations douteuses, illégales, excessivement spéculatives. Ils ont perdu des sommes énormes, qu'on chiffre ouvertement à deux ou trois centaines de millions de francs suisses, mais qui pourraient s'approcher du milliard.

Les bourses s'énervent, le Conseil national discute, le gouvernement promet « toute la lumière », plus un éventuel resserrement des mesures de contrôle, et le parti socialiste, dont la plupart des députés considéraient Jean Ziegler comme un extrémiste ou comme un « farfelu », ne le chargent pas moins de déposer une motion parlementaire : ils demandent que les pouvoirs publics soient dotés de nouveaux moyens d'investigation, voire même qu'ils participent à la gestion des banques. « Défaillance humaine », répondent celles-ci : aucune surveillance, aucune intervention de l'État ne saurait empêcher que, parfois, des hommes chargés de « brasser » des fortunes considérables n'abusent de leur pouvoir.

Le malaise est cependant lourd. D'abord parce que l'ampleur des malversations prouve qu'on a pu, des années durant, rechercher n'importe quelle espèce de profit. Ensuite par ce que, si la rigueur la plus extrême ne règne plus dans le système bancaire suisse, alors ses clients hésiteront à lui faire confiance. À moins d'un assainissement rapide, seul bénéfice éventuel de ces nauséabondes révélations, la « place financière suisse » perdra sur tous les tableaux. Et la Banque nationale le sait, qui, de manière toujours plus insistante, réclame, non la suppression du secret bancaire, mais son assouplissement.

Par malheur, le 9 mai, une banque genevoise, Leclerc et Cie, « se trouve dans une situation difficile » au point qu'elle ne peut ouvrir ses guichets : ses clients apprennent qu'un de ses administrateurs a fait des investissements par trop audacieux...

Bilan provisoire : trois démissions à la Direction générale du Crédit suisse... et deux suicides chez Leclerc.

Votes

Au milieu de ces remous, la vie du pays suit son cours. Le 26 septembre 1976, double scrutin fédéral : le souverain refuse une initiative de la VPOD — le syndicat de la fonction publique — qui proposait d'étatiser l'assurance en responsabilité civile des automobilistes ; il refuse, de même, un projet d'article constitutionnel sur la radio et la télévision, qui garantissait pourtant leur liberté, mais l'encadrait de précautions et restrictions suspectes.